Sous le titre d’une énigmatique altérité, AnOther, désignant aussi la répétition, Dana Gingras plonge la salle dans une obscurité profonde et une ambiance sonore insistante, puissante, férocement martelée. L’espace résonne d’une avalanche de sons, de rythmes frappés, éraflés, cadencés, qui vous traversent le corps, vous font vibrer sur place, vous noient dans un puits sombre directement relié aux martèlements de votre cœur.
AnOther est un piège, une prison, un lieu dévasté. Vingt-trois écrans de tailles diverses, accrochés sur le fond de scène, vibrent ensemble en noir et blanc, striés et innervés, puis colorés à la manière d’un étal de maquillage. L’installation réagit aux commandes d’un ordinateur, dirigé au sol à l’avant de la scène. À l’arrière de ces écrans publicitaires, peut-être aussi outils de surveillance, une scène «démarrée» à la manière des péninsules du Bateau ivre de Rimbaud surgit par intermittence. Il s’agit d’un espace autre, très beau, d’où se dépensent deux musiciennes japonaises, qui commandent les puissants effets sonores.
Dans l’espace scénique se trouve posté un élément vivant. Cette vie-là va répondre aux images vidéo, récurrentes, d’une danseuse hystérique, paniquée, cinétique, prisonnière d’un corridor. De celle-ci, on aperçoit le visage, les membres liés, la chevelure hirsute, le corps se jetant contre la paroi, divulgué sur tous les écrans. Cette violence évoque des cauchemars de viol et autres traumatismes. Est-il suggéré un cataclysme, une catastrophe écologique, une apocalypse? L’angoisse est tangible.
Au centre de l’espace, le relief noir, plastifié, se met à bouger. De cet habitat luisant, un étrange personnage, que danse Dana Gingras, se déballe et s’anime. On dirait un mutant se dépêtrant d’une marée noire. La cage initiale ne retient plus cet animal, emballé par l’atmosphère survoltée qui, loin de faiblir, semble toujours croître en intensité. Malgré le caractère sombre du drame, la joie de la dépense et de la lutte se dégage de la danse, rite poussé au bout de la dépense. Au terme de cet exorcisme, la danseuse se libère de sa carapace brillante, et quelques ombres humaines se dessinent alentour, blanches, masquées.
La chorégraphe Dana Gingras a changé d’univers: elle s’intéresse désormais davantage au multimédia qu’aux recherches sur le mouvement dansé, travaillant l’installation, le son, la résonance, l’impact sur le spectateur. Mais elle demeure intense et fulgurante. Cet animal au cœur du dispositif de la catastrophe survit à ses propres excès. C’est la voie, certes ludique, qui se dégage de ce Fukushima engagé à métaphoriser son expérience comme une menace inévitable et une urgence à confronter.
Concept et direction: Dana Gingras. Création et interprétation: Dana Gingras, Sonya Stefan, Sayaka Botanic et Tommi Tokyo (Group A). Musique: Group A. Vidéo: Sonya Stefan. Scénographie: Dana Gingras, Mikko Hynninen et Sonya Stefan. Dramaturgie: Kathy Casey. Conseillère: Marie Brassard. Répétitrice: Karine Denault. Éclairages: Mikko Hynninen. Son: Sebastien Fournier. Costumes: Masks – TICA. Une production d’Animals of Distinction. Présenté au Wilder, par l’Agora de la danse, jusqu’au 14 avril 2018.
Sous le titre d’une énigmatique altérité, AnOther, désignant aussi la répétition, Dana Gingras plonge la salle dans une obscurité profonde et une ambiance sonore insistante, puissante, férocement martelée. L’espace résonne d’une avalanche de sons, de rythmes frappés, éraflés, cadencés, qui vous traversent le corps, vous font vibrer sur place, vous noient dans un puits sombre directement relié aux martèlements de votre cœur.
AnOther est un piège, une prison, un lieu dévasté. Vingt-trois écrans de tailles diverses, accrochés sur le fond de scène, vibrent ensemble en noir et blanc, striés et innervés, puis colorés à la manière d’un étal de maquillage. L’installation réagit aux commandes d’un ordinateur, dirigé au sol à l’avant de la scène. À l’arrière de ces écrans publicitaires, peut-être aussi outils de surveillance, une scène «démarrée» à la manière des péninsules du Bateau ivre de Rimbaud surgit par intermittence. Il s’agit d’un espace autre, très beau, d’où se dépensent deux musiciennes japonaises, qui commandent les puissants effets sonores.
Dans l’espace scénique se trouve posté un élément vivant. Cette vie-là va répondre aux images vidéo, récurrentes, d’une danseuse hystérique, paniquée, cinétique, prisonnière d’un corridor. De celle-ci, on aperçoit le visage, les membres liés, la chevelure hirsute, le corps se jetant contre la paroi, divulgué sur tous les écrans. Cette violence évoque des cauchemars de viol et autres traumatismes. Est-il suggéré un cataclysme, une catastrophe écologique, une apocalypse? L’angoisse est tangible.
Au centre de l’espace, le relief noir, plastifié, se met à bouger. De cet habitat luisant, un étrange personnage, que danse Dana Gingras, se déballe et s’anime. On dirait un mutant se dépêtrant d’une marée noire. La cage initiale ne retient plus cet animal, emballé par l’atmosphère survoltée qui, loin de faiblir, semble toujours croître en intensité. Malgré le caractère sombre du drame, la joie de la dépense et de la lutte se dégage de la danse, rite poussé au bout de la dépense. Au terme de cet exorcisme, la danseuse se libère de sa carapace brillante, et quelques ombres humaines se dessinent alentour, blanches, masquées.
La chorégraphe Dana Gingras a changé d’univers: elle s’intéresse désormais davantage au multimédia qu’aux recherches sur le mouvement dansé, travaillant l’installation, le son, la résonance, l’impact sur le spectateur. Mais elle demeure intense et fulgurante. Cet animal au cœur du dispositif de la catastrophe survit à ses propres excès. C’est la voie, certes ludique, qui se dégage de ce Fukushima engagé à métaphoriser son expérience comme une menace inévitable et une urgence à confronter.
AnOther
Concept et direction: Dana Gingras. Création et interprétation: Dana Gingras, Sonya Stefan, Sayaka Botanic et Tommi Tokyo (Group A). Musique: Group A. Vidéo: Sonya Stefan. Scénographie: Dana Gingras, Mikko Hynninen et Sonya Stefan. Dramaturgie: Kathy Casey. Conseillère: Marie Brassard. Répétitrice: Karine Denault. Éclairages: Mikko Hynninen. Son: Sebastien Fournier. Costumes: Masks – TICA. Une production d’Animals of Distinction. Présenté au Wilder, par l’Agora de la danse, jusqu’au 14 avril 2018.