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Amélie Dallaire et la liberté

David Ospina

Comédienne de formation, Amélie Dallaire a obtenu son diplôme du Conservatoire d’art dramatique de Montréal en 2006. Sa première pièce, Queue cerise, a été créée à la salle Jean-Claude-Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui en 2016, dans une mise en scène d’Olivier Morin. Elle travaille actuellement à sa deuxième pièce, Ombre, et poursuit l’écriture de La conférence, un texte à découvrir au prochain Zoofest.

À l’occasion du 17e Festival du Jamais Lu, Amélie Dallaire dévoile La fissure, une pièce dans laquelle Fred et Françoise sont «soumis à la tension angoissante d’une soirée qui échappe à leur plan». Le couple tente «de trouver des solutions concrètes pour préparer un souper décent pour leurs invités» alors que les «émotions brouillent les corps et les esprits». Pour l’auteure, c’est toujours un ressenti qui déclenche l’écriture. «C’est une sorte de sensation interne, précise-t-elle, une intuition que je peux presque voir, presque toucher en moi, dans mon cerveau, j’imagine, mais que je visualise plutôt dans ma poitrine. Ça fait ésotérique, mais c’est très concret et en même temps très difficile de l’expliquer avec des mots. C’est-à-dire que pour matérialiser cette sensation j’utilise des mots, mais ils servent à tracer les contours de quelque chose d’invisible.»

Ainsi, l’écriture, pour Amélie Dallaire, permet de circonscrire des émotions, de leur donner un corps, une forme. «C’est étrange de tenter d’arracher du néant quelque chose qui voudrait peut-être y rester, partage-t-elle. Je suis rarement habitée par un sujet précis au départ, du moins pas consciemment. Si j’étais capable d’expliquer cette chose impalpable, si j’étais apte à l’exprimer en mettant en ordre les bons mots, je n’écrirais peut-être pas du théâtre, ou peut-être que oui, mais d’une autre manière, j’aurais un style différent. C’est cette difficulté à nommer qui façonne ce que j’écris. Peut-être aussi tout ce que je suis? Ces temps-ci j’ai l’impression d’être à la découverte de mon langage.»

Dans La fissure, sous la banale chicane de couple, l’auteure affirme que «se tapit l’esprit de la relation, comme un troisième personnage qu’on ressent, mais qu’on ne voit jamais»: «Se joue entre eux, sous les dialogues, une autre histoire. C’est elle que j’essaie d’écrire. C’est pour ça que mes deux personnages doivent être le moins possible conscients de ce monde intérieur.» Pendant qu’elle écrivait, Amélie Dallaire a éprouvé le besoin de visionner un documentaire sur le surréalisme, «de puiser à la liberté qu’ils s’accordaient de rompre avec la raison». «Je décèle souvent ce mouvement en moi, confie-t-elle, une sorte de bipolarité qui me fait être déchirée entre l’envie de puiser à même ma matière inconsciente, sans exigence de sens, et ma croyance que, comme auteure, on attend de moi que je crée du sens, que je construise une histoire cohérente.»

Ainsi, pour être libre, la dramaturge estime devoir s’affranchir d’elle-même, de l’idée qu’elle a d’elle-même. «Ça fait cliché, lance-t-elle, mais c’est vraiment ce que je ressens. Je trouve ça tellement difficile d’être libre.»

FRED – Pourquoi la lumière allume pas?

FRANÇOISE – J’ai fermé les breakeurs tantôt.

FRED – Y a-tu eu une panne?

FRANÇOISE – Pourquoi?

FRED – Pourquoi t’as fermé les breakeurs?

FRANÇOISE – Pour qu’il fasse plus noir.

(Silence)

FRED – T’es où là?

FRANÇOISE – Ici.

La fissure

Texte: Amélie Dallaire. Mise en lecture et interprétation: Amélie Dallaire et Matthieu Quesnel. Aux Écuries, à l’occasion du Festival du Jamais Lu, le 8 mai 2018 à 20h.

Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.