Critiques

Alpha et Oméga : Intelligence artificielle

Marlène Gélineau-Payette

L’expérimentation, la recherche de nouveaux territoires dramatiques, la désinvolture et la mise en danger sont dans les gênes du NTE. Mais pour leur nouvel opus, Alpha et Oméga, Daniel Brière et Alexis Martin, en collaboration avec Urbania, ont poussé le jeu un peu plus loin, peut-être juste pour voir jusqu’où ils pouvaient aller.

Voici en tout cas qu’ils nous offrent le résultat de la websérie interactive diffusée sur ICI.ARTV.ca depuis le mois de janvier: une dystopie comique, préparée avec la participation d’internautes et réécrite chaque soir avec celle des spectateurs, vous et moi, avec les risques que l’on devine: intrigue décousue, flottement dans la mise en scène, esprit un peu potache et science de deuxième main. Le spectacle présenté à Espace Libre n’y échappe pas. Comme toujours, cependant, on retrouve une fraîcheur, une générosité et un esprit de découverte qui sauvent la production de l’échec.

Marlène Gélineau-Payette

Mais reprenons par la genèse, la websérie: le Théâtre Alpha et son directeur artistique sont sommés par la présidente du conseil d’administration de créer un spectacle rentable. Le moyen de remplir les salles: recourir aux réseaux sociaux, faire appel au financement privé, bref, «faire de l’art par et pour les gens». Rien de bien nouveau là-dedans. En dépit des réserves des créateurs (le théâtre doit-il être démocratique?), la production sera donc en partie déterminée par les votes des internautes. Outre deux des comédiens, Dominique Pétin et Victor Trelles Turgeon, ceux-ci ont choisi les costumes, habituelles combinaisons de survie, l’éclairage au néon, une musique de style western sentimental et un classique décor de laboratoire à écrans multiples.

Le synopsis, signé Christian Vanasse, nous amène en 2040. La planète va mal, moralement et physiquement. Elle est au bout de ses ressources. On envoie donc une équipe de scientifiques dans les entrailles de la Terre à la recherche d’un minerai rare aux vertus providentielles, l’actium. La mission est au jour 25, elle est descendue à 4 000 mètres de profondeur, la cible semble toujours s’éloigner, et les dissensions apparaissent au sein d’un équipage assez disparate. Il est surveillé par Domo, une sorte de Big Brother de l’intelligence artificielle.

Marlène Gélineau-Payette

Il y a les chercheurs, mus par la quête de la vérité et du bien commun, le professeur Castonguay et son assistante (on découvrira dans un curieux appendice amoureux qu’ils ont eu, autrefois, une liaison). À leur côté, le mécanicien, Avatar, «un être humain normal, genré», selon ses dires, et Smiley, son pendant amélioré par la technique, qui se définit comme, «un pur produit de la connaissance». Mais la méchante, l’intruse, c’est la représentante de l’industrie privée, qui détient les droits miniers. La catastrophe éclatera quand la mission arrivera enfin à l’actium, sorte de soleil nucléaire défendu par la «secte du cœur sacré de la Terre»!

Comme vous aurez apporté votre téléphone cellulaire, la fin, vous l’aurez décidée vous-même entre les quatre solutions retenues par les internautes, de même que vous aurez élu votre bulletin de nouvelles ou vos souvenirs préférés. Les véritables héros de la soirée, ce sont peut-être cependant les cinq interprètes qui devront s’adapter à chacun de vos choix.

Alpha et Omega

Texte: Christian Vanasse. Mise en scène: Daniel Brière. Conseil à la dramaturgie: Alexis Martin. Scénographie: Jonas Véroff-Bouchard. Costumes: Marie-Noëlle Klis. Éclairages: Lucie Bazzo. Vidéo: Yves Labelle. Musique: Antony Rozankovic. Son: Éric Forget. Avec Peter Batakliev, Christophe Payeur, Dominique Pétin, Jade Mariuka Robitaille et Victor Trelles Turgeon. Une coproduction du Nouveau Théâtre Expérimental et d’Urbania. À Espace Libre jusqu’au 19 mai 2018.

Marie-Christiane Hellot

Collaboratrice de JEU depuis plus de 20 ans, elle est chargée de cours à l'Université de Montréal.