Critiques

Amadeus : Éclatante partition

Stephane Bourgeois

Sous l’égide d’Alexandre Fecteau, le siècle des Lumières et la musique de Mozart s’habillent de tulle, d’habits scintillants et de sonorités des années 1980. Le metteur en scène fait d’Amadeus un spectacle riche où les interprètes, acteurs, musiciens et chanteurs, révèlent toutes les couleurs d’une exigeante partition.

Stephane Bourgeois

Salieri nous convie, nous, fantômes du futur, à sa dernière nuit. À la fois dévoré par l’envie et grisé par la sublime beauté de la musique de Mozart, dont il est ironiquement le seul à percevoir le génie, le compositeur reconnu et cossu que l’histoire n’a pas retenu fera tout pour écraser son jeune rival, qui mourra seul, malade, honni et sans le sou. Jacques Leblanc joue le jaloux. Il narre avec humour et intelligence, établissant facilement une belle connivence avec le public. Il joue avec efficience et souci du détail (de sa manière de dire «moi» avec une rondeur gourmande jusqu’aux pas pesants de celui qui ploie sous son destin, lorsque sa culpabilité l’accable) un homme à la fois désespéré, cruel et ridicule. Surtout, il nous communique l’émotion de chaque phrase musicale qui est jouée. Il en devient le vibrant porte-étendard, le traducteur, l’ultime spectateur, nous faisant savourer chaque subtilité de la musique qui est interprétée en direct par un quatuor à corde, une pianiste et quatre chanteurs d’opéra.

Pierre-Olivier Grondin incarne un Mozart fantasque, vulnérable et maladroit pour les choses humaines, surdoué pour la chose musicale. Salieri le traite d’«enfant obscène» et l’épithète lui va comme un gant, lorsqu’il fait son entrée avec Constanze (vive et touchante Mary-Lee Picknell) pour une pétulante poursuite amoureuse. Son jeu physique donne l’impression qu’il danse, insaisissable, hyperactif, jamais immobile plus de deux secondes. Autour d’eux, un trio de ministres du bon goût en rayures grises (Nancy Bernier, Bertrand Alain et Marie Gignac) et des informateurs armés de fax et de téléphones à fil créent un brouhaha de rumeurs, de consignes et de critiques. Mine de rien, à coup de répliques comiques, ils incarnent toute une société qui condamne et se gausse.

Stephane Bourgeois

Le texte de Peter Shaffer est habile, tout comme la direction musicale d’Anne-Marie Bernard, où les répliques s’intègrent dans les phrases musicales et où le chant enveloppe les dialogues et va jusqu’à sublimer les sentiments des personnages. Le récit, qui oscille entre l’intrigue sombre, la comédie grotesque et la confidence-fleuve, est ponctué de moments musicaux fort réussis. Les extraits de La flûte enchantée et du Requiem suscitent en nous des émotions exacerbées que le texte seul serait difficilement parvenu à provoquer.

Les références aux années 1980 sont habilement saupoudrées. Alexandre Fecteau n’a pas rentré la pièce de force dans une décennie qui n’est pas la sienne, il a plutôt lancé des ponts, établi des correspondances (comme celui d’un duel entre Apple et IBM), mis en lumière de mauvais plis de l’être humain en société (comme le voyeurisme et la soif de rumeurs sordides). Aux costumes, Kate Lecours s’est surpassée en intégrant les semelles compensées et les tissus brillants à la scénographie plus intemporelle de Michel Gauthier, où signatures et blasons semblent glisser sur les lignes d’une portée géante. Des choix esthétiques qui n’étouffent pas le texte et qui, même, en révèlent de nouvelles couleurs.

Amadeus

Texte: Peter Schaffer. Traduction: Pol Quentin. Mise en scène: Alexandre Fecteau. Direction musicale: Anne-Marie Bernard. Scénographie: Michel Gauthier. Éclairages: Jean-François Labbé. Costumes: Kate Lecours. Maquillages: Élène Pearson. Avec Bertrand Alain, Rachel Baillargeon (violoncelle), Jonathan Bédard (baryton), Roxanne Bédard (soprano), Anne-Marie Bernard (piano), Nancy Bernier, Israël Gamache, Keven Geddes (ténor), Marie Gignac, Pierre-Olivier Grondin, Karina Laliberté (alto), Jacques Leblanc, Véronika Makdissi-Warren, Jean-Michel Marois (violon), Marie-Andrée Mathieu (mezzo-soprano), Mary-Lee Picknell, Lucien Ratio, Alexandre Sauviaire (violon) et Réjean Vallée. Une production du Théâtre du Trident. Dans la salle Octave-Crémazie du Grand Théâtre de Québec jusqu’au 19 mai 2018.