Critiques

Quelque chose comme une grande famille : Un drôle de bleu

© François Larivière

Le décor aura beau se décliner dans des teintes de jaune et de brun, la couleur de fond de la nouvelle pièce de François Archambault est un drôle de bleu, juste assez nuancé pour le divertissement estival. On pourrait penser que l’auteur dramatique, qui frappe la cinquantaine en 2018, avait les blues de son adolescence au moment d’écrire Quelque chose comme une grande famille. Cette machine à remonter dans le temps, entre tendresse et amertume, fait la chronique de l’annus horribilis 1982 au prisme d’une famille québécoise de banlieue. C’est surtout une jolie lettre d’amour aux baby-boomers qui les ont élevés qu’envoient ici Archambault et les artistes du Petit Théâtre du Nord, qui ont grosso modo aujourd’hui l’âge qu’avaient leurs parents l’année de la Nuit des Longs Couteaux.

François Larivière

La victime de cet assassinat constitutionnel est d’ailleurs présente dès le début de la pièce, alors que Marcel (Luc Bourgeois), enseignant au collégial, accroche au mur avec ravissement le portrait de René Lévesque qu’on vient de lui offrir pour Noël. Écoutant les confessions nocturnes de son hôte, de son épouse et des deux sœurs de celle-ci, Tit-Poil se permet même quelques conseils et commentaires, d’une voix étrangement familière… (indice: ce n’est pas celle de Denis Bouchard). Les relations entre l’ancien Premier ministre et le couple que forment Marcel et Claire, infirmière, deviendront acrimonieuses à mesure que s’envenimera le conflit entre l’État et les employés du secteur public…

Interprète de Claire, Mélanie St-Laurent se fait aussi narratrice sous les traits de la fille du couple, laquelle relaterait ici ses souvenirs. Le mélange de curiosité et de naïveté du regard que pose l’enfant sur le monde adulte se marie assez bien au petit côté fantaisiste de l’ensemble, avec son salon en trompe-l’œil et ses costumes et accessoires à faire rougir un vieux catalogue Sears. L’ensemble est moins kitsch que fabriqué, tels les jeux des petits imitant les grands, se déguisant, reprenant les gestes sans toujours en saisir les sous-entendus. À la mise en scène, Luc Bourgeois et Sébastien Gauthier se sont amusés, et le plaisir que transmet une distribution que complètent Louise Cardinal et Marie-Hélène Thibault est plutôt imparable.

François Larivière

Reste que sous le joyeux crémage, Archambault a imaginé ses personnages aux prises avec les remous de l’Histoire jusque dans les petits plis de leur quotidien. Gilles (Gauthier) perd son emploi lorsque l’usine GM de Boisbriand fait des mises à pied massives; voilà qui n’aide guère à rembourser son hypothèque, surtout lorsque les taux d’intérêt oscillent autour de 17% en ces années de récession… La tristesse de fond, c’est là où le bleu coule, dans l’effritement du lien entre le Parti Québécois et ceux qui ont cru au Grand Projet: usure du pouvoir, conséquences intimes de décisions impopulaires, etc. On se console entre les mains d’Archambault, dialoguiste-chirurgien, qui multiplie les répliques piquantes, comme lorsque Dorothée (Thibault) tâche de philosopher à propos de son divorce à venir: «René doit être fier de moi: je suis bien la seule à avoir eu le courage de me séparer…»

Quelque chose comme une grande famille

Texte: François Archambault. Mise en scène: Luc Bourgeois et Sébastien Gauthier. Scénographie: Olivia Pia Audet. Costumes: Étienne René-Contant. Éclairages: Alexandre Pilon-Guay. Son et musique: Mille Îles (Benoît Archambault et Simon Proulx). Avec Luc Bourgeois, Louise Cardinal, Sébastien Gauthier, Mélanie St-Laurent et Marie-Hélène Thibault. Une production du Petit Théâtre du Nord. Au Centre communautaire de Blainville jusqu’au 24 août 2018.

Alexandre Cadieux

À propos de

Il enseigne à l’UQAM et à l’Université d’Ottawa. Anciennement critique au Devoir et membre de la rédaction de JEU, il travaille à une thèse de doctorat consacrée à Jean Duceppe.