Critiques

M.I.L.F. : L’insoutenable maternité

M.I.L.F.Marianne Duval

À partir de cet acronyme du monde de la pornographie « Mothers I’d Like to Fuck », Marjolaine Beauchamp aborde la question du sexe et de la maternité. À travers trois personnages féminins, elle explore les méandres de la sexualité chez la femme, celle qui attise, celle qui baise, puis celle qui accouche et devient mère. Les acronymes se multiplient en M.I.L.K., celle qu’on veut tuer, en M.I.L.S., celle qu’on veut sauver…

M.I.L.F.Marianne Duval

Les trois personnages féminins surgissent du noir et se matérialisent en de brefs monologues, comme autant de Polaroïds captés sur le vif. Sur la scène dénudée, elles deviennent tour à tour les accessoiristes qui plantent le décor pour l’apparition de l’une d’elles : danseuse nue simulant l’orgasme, maman subjuguée par sa petite Eau de Jade, rendez-vous raté avec un mec levé sur Tinder, grand-mère hystérique à la voix stridente dont la mort plonge la maisonnée dans un silence assourdissant, post-partum, baise avec un Noir dont le souvenir s’estompe dans l’alcool… 

Le percutant texte de Marjolaine Beauchamp prend appui sur 52 Hertz, cette baleine solitaire dont le chant aigu a fasciné les biologistes pendant des décennies, incapables de la rattacher à aucune espèce. 52 Hertz alimente les imaginaires comme une question ontologique irrésolue : D’où vient cet être étrange ? Quel est ce cri sinon celui d’une solitude infinie ? 

M.I.L.F.Marianne Duval

La femme de désir s’abolit dans la mère. Tragique destin de ces femmes qui portent les séquelles de la maternité. Quelques moments de séduction et de désir se disloquent rapidement comme des épaves jetées à la mer. Cette merveilleuse baise devenu moment d’horreur, ce bébé né d’un géniteur non aimé, cette mère monoparentale embourbée dans ses tâches, cette haine de la mère comme modèle répulsif, cet appel à l’infanticide, cette mort sociale par isolement, ce rejet d’un corps transformé par les accouchements… Elles pourraient toutes se nommer 52 Hertz.

M.I.L.F est un constat noir de la tragédie d’être femme. Cet objet de désir, perçu comme une machine d’orifices, fantasmé dans la perfection dérisoire des petites nymphettes, condamné à devenir mère au détriment d’un devenir radieux, piégé dans le cul-de-sac de la famille. Alors, il est temps de former « des brigades de puckées, de connes, de gueulardes…» Des brigades hurlantes qui s’élancent à l’assaut du monde.

M.I.L.F.Marianne Duval

Avec ses textes remplis d’amertume, ses cris conjugués en 52 Hertz, ses effets stroboscopiques, ses distorsions sonores, M.I.L.F. est une pièce coup de poing qui s’en prend à l’insuffisance de l’humanité. Car le monde est un dispositif punk où rien de bon ne peut advenir. Et au centre de ce carnage, le corps de la femme est le pivot de toutes les vicissitudes, même l’amour lesbien ne parvient pas à réenchanter le monde. C’est qu’au-delà du piètre environnement social, l’enfantement même arrache un cri de rage et de désespoir. 

M.I.L.F. se dilate sur la scène comme un poème distribué dans l’espace. Guillaume Houët a choisi de projeter les lumières à hauteur des comédiennes. Ce sont des unités mobiles qui créent des zones de jeu parfaitement délimitées dans l’espace obscur. L’état psychologique est souligné à chaque scène par le port des chaussures : escarpins, tennis, bottillons, etc. La bande sonore créée en direct par Pierre-Luc Clément devient un personnage incontournable avec ses ralentis, ses distorsions et ses passages en art audio. On sort de ce spectacle secoué par une violence sous-jacente, aux antipodes du bonheur surfait de l’univers du marketing. Un spectacle à ne pas manquer. Cœur sensible s’abstenir.

M.I.L.F. 

Texte : Marjolaine Beauchamp. Mise en scène : Pierre Antoine Lafon Simard. Appui dramaturgique : Dominique Lafon. Assistance à la mise en scène et direction de production : Benoit Roy. Distribution : Marjolaine Beauchamp, Geneviève Dufour et Stéphanie-Kym Tougas. Lumière : Guillaume Houët. Musique : Pierre-Luc Clément. Direction artistique : Pierre Antoine Lafon Simard. Compagnie : Théâtre du Trillium. Présentée au Périscope jusqu’au 1er décembre.