Critiques

Edgar Paillettes : Revendiquer sa flamboyance

Edgar PaillettesSuzanne O'Neil

Edgar Paillettes et Henri Payette composent une fratrie drôlement polarisée : l’exubérance et la créativité du premier s’opposent à la discrétion et à la banalité du second. Dans ce beau spectacle destiné aux 6 à 12 ans, l’invisible Henri raconte les hauts et les bas de sa vie dans l’ombre de son petit frère, si différent de lui et des autres (sans qu’elle soit nommée, on devine qu’il est atteint d’une forme d’autisme).

Créée à Lille en 2015, cette coproduction de l’Arrière Scène et de la Manivelle (France) est la version théâtrale du roman éponyme de Simon Boulerice (Québec Amériques, 2014). Comme acteur et auteur, celui-ci est un collaborateur privilégié de l’Arrière Scène, avec qui il avait présenté son poignant solo Les Mains dans la gravelle (2010). On retrouve ici son écriture pleine de finesse, d’humour et de fantaisie juvénile. Il sait parler des enfants, et aux enfants, en n’étant ni didactique, ni moralisateur, ni manichéen. 

Edgar PaillettesMarie-Annick Geffroy

Si cette émouvante pièce sur la fraternité fait mouche, c’est aussi grâce à la mise en scène inventive et économe signée par l’auteur et par la Française Caroline Guyot. Dans deux penderies, qui servent aussi de lits, sont accrochés les habits sans surprise d’Henri : des jeans bleus et des t-shirts blancs (sur lesquels un motif est projeté au moment où il les choisit, mais qui disparaît aussitôt qu’il l’enfile) ; et les vêtements colorés et les déguisements du flamboyant Edgar, le « poème visuel », comme le décrivent ses parents. Des ombres chinoises sont judicieusement utilisées pour illustrer la timidité d’Henri à l’atelier de théâtre. Le jeu des perspectives le rend en effet tout petit, dominé par la silhouette imposante de la professeure, qui lui confie le rôle d’un dentiste : ses parents exerçant cette profession, ce sera facile pour lui, soutient-elle en évoquant la notion de rôle de composition. Henri trouve son existence, tout comme ce rôle, « triste comme une dent cariée et ennuyante comme un traitement de canal ». Edgar, lui, est aux anges : il joue une fée! Il peut donc tout faire !

Entre les deux frères, les rapports sont sous-tendus par un amour profond, et la rivalité ne devient jamais méchante. Ils sont visités la nuit par la Fée des dents, impétueuse et professionnelle : pas question qu’on lui refile la vieille molaire arrachée à un patient de papa ou de maman ! Envieux des sous qu’Edgar récolte, Henri lui vole un jour sa dent tombée, mais il la lui restituera en comprenant le chagrin du petit d’avoir perdu deux fois, « de [s] a bouche puis de [s] a vie », sa dernière dent de lait.

Joachim Tanguay et Maxime Desjardins composent des enfants attachants, chacun à sa façon, l’un dans ses tentatives de définir les contours de sa personnalité, l’autre dans sa fantaisie sans filtre. Grâce à son statut « spécial », Edgar bénéficie de passe-droits : il peut s’amuser à laisser tomber un 25 cents par terre pour avoir le prétexte de regarder sous les jupes des filles. Henri s’y essayera, mais recevra un coup bien mérité de Vicky, la Boxeuse de l’atelier de théâtre, à laquelle Milène Leclerc confère un aplomb réjouissant; la solide petite gaillarde entend bien défendre son « terrain privé ». La question du respect du corps de l’autre est ainsi abordée, sans lourdeur car vite réglée entre les enfants.

Scintiller à l’intérieur

La belle qualité d’Edgar est de pouvoir nommer ce qu’il aime et ce dont il est capable : « J’aime telle chose, déclare-t-il souvent, et je suis capable de tel exploit ! » Mais Henri est désespérément incapable de reconnaître ses goûts et ses forces. Le jeune spectateur, la jeune spectatrice pensera sans doute : « Et moi, qu’est-ce que j’aime, dans la vie ? De quoi suis-je capable ? » Quand Henri arrivera à se livrer à cet exercice d’autovalorisation, que les mots jailliront enfin, il dira qu’il aime… sauter sur son lit! Il dira aussi fièrement qu’il est capable de protéger son petit frère. Le public, qui le connaît désormais, sait aussi qu’il aime Elvis et qu’il est capable d’une grande patience à l’égard de son étourdissant frangin.

Edgar PaillettesMarie-Annick Geffroy

À la fin, on est ému de le voir revendiquer sa flamboyance. À l’Halloween, il revêt un costume de Spider Man. Mais, condamné à se fondre dans la foule, le pauvre Henri se retrouve à l’école parmi cinq superhéros identiques. Identiques? Pas pour Vicky, qui le reconnaît, car il a les yeux les plus brillants de tous. Ainsi le garçon découvre-t-il son unicité à travers le regard amoureux de son amie. Quant à Edgar, déguisé en Henri, il a cousu des paillettes à l’intérieur de l’éternel t-shirt blanc : « Je porte ma poésie à l’extérieur, et toi, à l’intérieur. »

On n’a aucun mal à croire, comme le dit l’auteur dans le programme, que le spectacle fait du bien à tous les petits Henri : tant mieux s’ils se sentent le droit, eux aussi, de scintiller de toutes leurs paillettes.

Edgar Paillettes

Texte : Simon Boulerice. Mise en scène : Simon Boulerice et Caroline Guyot. Scénographie et costumes : Patrice Charbonneau-Brunelle. Musique : Gilles Gauvin. Éclairages : Amélie Géhin. Vidéo : David Courtine. Avec Maxime Desjardins, Milène Leclerc et Joachim Tanguay. Spectacle de l’Arrière Scène et de la Manivelle Théâtre, présenté à la Maison Théâtre jusqu’au 31 mars 2019. Pour les 6 à 12 ans.