Disons-le d’emblée : la création, Salle Denise-Pelletier, de la pièce tirée du film culte de Peter Weiss, Dead Poets Society, est une réussite. Pour toutes sortes de bonnes raisons. D’abord, c’est Tom Schulman lui-même, son scénariste, qui en a écrit le texte, ramenant à 25 les 85 tableaux du film. Ensuite, la mise en scène de Sébastien David montre une grande intelligence de la spécificité du théâtre. Enfin, la distribution est convaincante et homogène, mais permet aux quatre rôles principaux de se distinguer. Quant à la traduction de Maryse Warda, elle colle comme naturellement au caractère et à la culture de ces jeunes Américains de 1959.
En effet, Sébastien David n’a pas cédé à la tentation de «québéciser» ce drame romantique d’un autre pays et d’un autre temps. Si sa vision parle encore avec pertinence au jeune auditoire de la rue Sainte-Catherine, c’est qu’il a su extraire la quintessence de cette histoire d’adolescents d’hier, fascinés et bouleversés par un maître à vivre et à penser. Comment ceux d’aujourd’hui n’entendraient-ils pas cette injonction venue de si loin : Carpe diem, vis le jour, réalise-toi, va au bout de tes rêves, distingue-toi…
Théâtre et cinéma
Une grande intelligence du théâtre, disais-je. Limitant les nombreux pensionnaires du collège à six élèves représentatifs et les figures d’autorité, à deux. Sébastien David et son équipe de production ont transformé un récit romantique situé dans un décor réaliste, en un drame symbolique, celui d’adolescents qui s’éveillent à leur propre destin. L’histoire est centrée sur quelques scènes fondamentales : les pages du manuel arrachées, la découverte de la grotte et la refondation de la société secrète, l’invitation à monter sur les tables (en fait la première marche de l’escalier) pour regarder le monde différemment, à laquelle répond la rébellion finale. Il y a également la jouissive leçon de marche. Et aussi, la représentation du Songe d’une nuit d’été, dont Neil est brutalement arraché.
Le vaste plateau est nu, plus de pupitres, ni de chaises. Une dizaine de marches suffisent pour représenter la classe, le parc, les chambrées. Les garçons les montent et les descendent, s’y regroupent autour du maître, ou d’un livre, s’y isolent ou y discutent. On a droit à plusieurs jolis effets de surprise ou de gaieté, quand, par exemple, la bande des six juchés en haut à la recherche de la mythique grotte réapparaît aussitôt en bas dans le noir. Ou quand Neil transforme en ballon le cadeau reçu par Todd. Plus de gros plans cinématographiques sur le sourire indéfinissable de l’inoubliable Robin William, mais des ombres chinoises et des visages ressortant sur le fond noir. Plus de belle musique descriptive, mais des tambours pour ressentir le lourd système pédagogique, et le rythme d’un humoristique ballet d’élèves marchant à la baguette.
Trois héros
Accoucheur d’âmes, membre influent du club littéraire clandestin éponyme, le professeur Keating est le pivot du drame. Entre son arrivée et son renvoi, l’existence des élèves qui lui ont été confiés sera à jamais transformée. Sa généreuse conception de l’enseignement aura agi comme un révélateur, qui bouleversera le rituel rigide de ce collège huppé. Patrice Dubois justifie l’influence de cet enseignant hors norme par un mélange de bienveillance et d’autorité.
Mais les héros de ce roman d’apprentissage, ce sont les garçons, ou plutôt trois d’entre eux, qui représentent d’ailleurs un aspect de Keating jeune. Chacun, selon son destin, prendra à son compte ce qu’il leur a appris : « les mots et les idées peuvent changer la vie ». Neil, le courageux, le battant, le meneur naturel, doué pour tout, a une vitalité contagieuse. Émile Schneider lui prête finesse et intensité. Beaux tableaux quand il se détache sur le fond bleu clair serein et indifférent, comme arrêté dans son élan : étant le meilleur, c’est lui qui paiera pour la liberté des autres. Son cochambreur, Todd, le timide, l’introverti, paraît son exact contraire. Refermé sur sa respiration au début, Simon Landry-Désy semble s’ouvrir peu à peu, sur les injonctions, énergiques, de Monsieur Keating et, amicales, de Neil. C’est chez lui que le changement est le plus radical. C’est aussi lui qui résiste le plus longtemps au directeur Nolan (Jean-François Casabonne, toujours juste) qui l’oblige à signer la dénonciation de Keating. Et c’est encore lui qui, dans la magnifique scène finale, le défie en montant le premier sur les marches pour remercier le professeur bien-aimé d’un « Ô Capitaine, mon capitaine ». Entre-temps, le sympathique Charlie aura payé sa dernière audace de son exclusion, mettant ainsi en pratique la leçon reçue de suivre sa propre voie. Maxime Genois est absolument irrésistible d’insolence, quand, téléphonant à Dieu, il l’invite à suggérer à Nolan d’ouvrir le collège aux filles !
Bref, une bonne leçon de vie, de théâtre et de poésie. Et un bon coup de jeunesse.
Texte : Tom Schulman. Traduction : Maryse Warda. Mise en scène : Sébastien David. Scénographie : Jean Bard. Costumes : Linda Brunelle. Lumières : David-Alexandre Chabot. Conception sonore : Antoine Bédard. Avec Mustapha Aramis, Jean-François Casabonne, Patrice Dubois, Gérald Gagnon, Maxime Genois, Simon Landry-Désy, Étienne Lou, Anglesh Major, Alice Moreault et Émile Scheider. Une production du Théâtre Denise-Pelletier, présentée jusqu’au 26 avril.
Disons-le d’emblée : la création, Salle Denise-Pelletier, de la pièce tirée du film culte de Peter Weiss, Dead Poets Society, est une réussite. Pour toutes sortes de bonnes raisons. D’abord, c’est Tom Schulman lui-même, son scénariste, qui en a écrit le texte, ramenant à 25 les 85 tableaux du film. Ensuite, la mise en scène de Sébastien David montre une grande intelligence de la spécificité du théâtre. Enfin, la distribution est convaincante et homogène, mais permet aux quatre rôles principaux de se distinguer. Quant à la traduction de Maryse Warda, elle colle comme naturellement au caractère et à la culture de ces jeunes Américains de 1959.
En effet, Sébastien David n’a pas cédé à la tentation de «québéciser» ce drame romantique d’un autre pays et d’un autre temps. Si sa vision parle encore avec pertinence au jeune auditoire de la rue Sainte-Catherine, c’est qu’il a su extraire la quintessence de cette histoire d’adolescents d’hier, fascinés et bouleversés par un maître à vivre et à penser. Comment ceux d’aujourd’hui n’entendraient-ils pas cette injonction venue de si loin : Carpe diem, vis le jour, réalise-toi, va au bout de tes rêves, distingue-toi…
Théâtre et cinéma
Une grande intelligence du théâtre, disais-je. Limitant les nombreux pensionnaires du collège à six élèves représentatifs et les figures d’autorité, à deux. Sébastien David et son équipe de production ont transformé un récit romantique situé dans un décor réaliste, en un drame symbolique, celui d’adolescents qui s’éveillent à leur propre destin. L’histoire est centrée sur quelques scènes fondamentales : les pages du manuel arrachées, la découverte de la grotte et la refondation de la société secrète, l’invitation à monter sur les tables (en fait la première marche de l’escalier) pour regarder le monde différemment, à laquelle répond la rébellion finale. Il y a également la jouissive leçon de marche. Et aussi, la représentation du Songe d’une nuit d’été, dont Neil est brutalement arraché.
Le vaste plateau est nu, plus de pupitres, ni de chaises. Une dizaine de marches suffisent pour représenter la classe, le parc, les chambrées. Les garçons les montent et les descendent, s’y regroupent autour du maître, ou d’un livre, s’y isolent ou y discutent. On a droit à plusieurs jolis effets de surprise ou de gaieté, quand, par exemple, la bande des six juchés en haut à la recherche de la mythique grotte réapparaît aussitôt en bas dans le noir. Ou quand Neil transforme en ballon le cadeau reçu par Todd. Plus de gros plans cinématographiques sur le sourire indéfinissable de l’inoubliable Robin William, mais des ombres chinoises et des visages ressortant sur le fond noir. Plus de belle musique descriptive, mais des tambours pour ressentir le lourd système pédagogique, et le rythme d’un humoristique ballet d’élèves marchant à la baguette.
Trois héros
Accoucheur d’âmes, membre influent du club littéraire clandestin éponyme, le professeur Keating est le pivot du drame. Entre son arrivée et son renvoi, l’existence des élèves qui lui ont été confiés sera à jamais transformée. Sa généreuse conception de l’enseignement aura agi comme un révélateur, qui bouleversera le rituel rigide de ce collège huppé. Patrice Dubois justifie l’influence de cet enseignant hors norme par un mélange de bienveillance et d’autorité.
Mais les héros de ce roman d’apprentissage, ce sont les garçons, ou plutôt trois d’entre eux, qui représentent d’ailleurs un aspect de Keating jeune. Chacun, selon son destin, prendra à son compte ce qu’il leur a appris : « les mots et les idées peuvent changer la vie ». Neil, le courageux, le battant, le meneur naturel, doué pour tout, a une vitalité contagieuse. Émile Schneider lui prête finesse et intensité. Beaux tableaux quand il se détache sur le fond bleu clair serein et indifférent, comme arrêté dans son élan : étant le meilleur, c’est lui qui paiera pour la liberté des autres. Son cochambreur, Todd, le timide, l’introverti, paraît son exact contraire. Refermé sur sa respiration au début, Simon Landry-Désy semble s’ouvrir peu à peu, sur les injonctions, énergiques, de Monsieur Keating et, amicales, de Neil. C’est chez lui que le changement est le plus radical. C’est aussi lui qui résiste le plus longtemps au directeur Nolan (Jean-François Casabonne, toujours juste) qui l’oblige à signer la dénonciation de Keating. Et c’est encore lui qui, dans la magnifique scène finale, le défie en montant le premier sur les marches pour remercier le professeur bien-aimé d’un « Ô Capitaine, mon capitaine ». Entre-temps, le sympathique Charlie aura payé sa dernière audace de son exclusion, mettant ainsi en pratique la leçon reçue de suivre sa propre voie. Maxime Genois est absolument irrésistible d’insolence, quand, téléphonant à Dieu, il l’invite à suggérer à Nolan d’ouvrir le collège aux filles !
Bref, une bonne leçon de vie, de théâtre et de poésie. Et un bon coup de jeunesse.
La Société des poètes disparus
Texte : Tom Schulman. Traduction : Maryse Warda. Mise en scène : Sébastien David. Scénographie : Jean Bard. Costumes : Linda Brunelle. Lumières : David-Alexandre Chabot. Conception sonore : Antoine Bédard. Avec Mustapha Aramis, Jean-François Casabonne, Patrice Dubois, Gérald Gagnon, Maxime Genois, Simon Landry-Désy, Étienne Lou, Anglesh Major, Alice Moreault et Émile Scheider. Une production du Théâtre Denise-Pelletier, présentée jusqu’au 26 avril.