Les Amoureux n’est pas la comédie la plus consistante du rénovateur du théâtre italien. Cependant, la lecture à la fois éclatante et dérangeante que Catherine Vidal fait de cette histoire de deux jeunes gens qui s’adorent et se déchirent, les costumes à la fantaisie débridée, les teintes plus rouge sang que rose bonbon, le motif omniprésent du cœur, le rock sur fond de clavecin, tout cela crée un objet divertissant, mais signifiant et même inquiétant.
Comédie de caractères
Écrite en 1759, trois ans avant le départ définitif de Carlo Goldoni pour Paris, dans une période de fébrile production, sous fond de conflit avec son rival Carlo Gozzi, la pièce présente néanmoins plusieurs traits intéressants. Depuis quinze ans déjà, l’auteur de La Locandiera s’est détaché de la structure figée de la commedia dell’arte. Il rédige ses dialogues au lieu de se contenter d’un canevas sur lequel les comédien·nes improvisent. Et surtout, il donne chair et indépendance psychologique aux rôles traditionnels.
Observateur indulgent, amusé mais critique des travers de sa société (son père était médecin, il a longuement été avocat, il a traîné sa plume dans toutes les villes d’Italie), il dépeint des êtres réels, représentants de la bourgeoisie et du peuple. Il crée, à la manière de Molière, qu’il admire, une comédie de caractères. Ainsi, si on reconnaît en Eugenia et en Fulgencio les habituels amoureux, jeune premier et jeune première, comme Goldoni lui-même le précise dans le prologue (il se promène au milieu de ses personnages dans la jolie scène d’entrée), ce n’est plus l’autorité des parents qui les sépare, mais leurs propres défauts, leurs démons intérieurs. Eugenia est une jalouse qui se fait souffrir en s’inventant des motifs de soupçonner Fulgencio. Lui, colérique, est incapable de maîtriser les accès de fureur que lui donnent les reproches − immérités − de la belle.
L’intrigue est donc constituée d’une alternance de disputes enragées et de réconciliations passionnées, qui pourrait avoir quelque chose de répétitif si ce n’était la tragédie qu’annonce le premier acte. Catherine Vidal s’est saisie de l’avertissement de l’auteur, « un amour plus violent que tous les autres », pour peindre une passion au potentiel destructeur. L’idylle ne peut mal finir, on est dans le registre de la comédie, mais après le dernier raccommodement, la mêlée générale orchestrée par cette metteure en scène perspicace n’a rien de rassurant pour l’avenir du jeune couple…
Comédiens sur mesure
Une des innovations de Goldoni consiste à créer des rôles pour des interprètes particuliers, des personnages sur mesure, en quelque sorte. Ainsi la figure impétueuse d’Eugenia lui aurait été inspirée par une actrice à la personnalité hors norme, Caterina Bresciani. La maîtresse d’œuvre semble avoir tenu compte de ce principe tant le choix des interprètes est conséquent et pertinent. Maxime Genois (l’insolent Charlie de La Société des poètes disparus) et, peut-être encore plus, Catherine Chabot jouent le conflit amoureux comme un combat furieux, à la fois physique et intérieur.
Autour de ce couple terrible, dans un ballet incessant, les rôles « secondaires », tous plus convaincants les uns que les autres, les suaves domestiques, la patiente sœur, l’ami bon conseiller, commentent les coups, orchestrent la bataille ou essaient de la modérer. Une mention spéciale à Éric Bernier, Fabrizio, l’oncle tuteur des deux sœurs. Dans son personnage de bourgeois égoïste (son addiction au jeu a ruiné la famille), ridicule et désargenté, il est irrésistible. C’est par lui que passent les leitmotivs représentatifs de cette société où domine l’argent : les fameux « couverts » et surtout la question de « la dot », révélatrice des vrais sentiments des prétendants. Aujourd’hui, la dot a disparu, mais l’argent ne reste-t-il pas tout-puissant ?
Texte : Carlo Goldoni. Traduction : Huguette Hatem. Mise en scène : Catherine Vidal. Scénographie : Geneviève Lizotte. Costumes : Elen Ewing. Éclairages : Alexandre Pilon-Guay. Conception sonore : Francis Rossignol. Coiffures et maquillage : Justine Denoncourt. Avec Simon Beaulac-Bulman, Éric Bernier, Isabeau Blanche, Sofia Blondin, Catherine Chabot, Vincent Côté, Maxime Genois, Gabriel Lemire, Anglesh Major et Olivia Palacci. Une production du Théâtre Denise-Pelletier, présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 4 décembre 2019.
Les Amoureux n’est pas la comédie la plus consistante du rénovateur du théâtre italien. Cependant, la lecture à la fois éclatante et dérangeante que Catherine Vidal fait de cette histoire de deux jeunes gens qui s’adorent et se déchirent, les costumes à la fantaisie débridée, les teintes plus rouge sang que rose bonbon, le motif omniprésent du cœur, le rock sur fond de clavecin, tout cela crée un objet divertissant, mais signifiant et même inquiétant.
Comédie de caractères
Écrite en 1759, trois ans avant le départ définitif de Carlo Goldoni pour Paris, dans une période de fébrile production, sous fond de conflit avec son rival Carlo Gozzi, la pièce présente néanmoins plusieurs traits intéressants. Depuis quinze ans déjà, l’auteur de La Locandiera s’est détaché de la structure figée de la commedia dell’arte. Il rédige ses dialogues au lieu de se contenter d’un canevas sur lequel les comédien·nes improvisent. Et surtout, il donne chair et indépendance psychologique aux rôles traditionnels.
Observateur indulgent, amusé mais critique des travers de sa société (son père était médecin, il a longuement été avocat, il a traîné sa plume dans toutes les villes d’Italie), il dépeint des êtres réels, représentants de la bourgeoisie et du peuple. Il crée, à la manière de Molière, qu’il admire, une comédie de caractères. Ainsi, si on reconnaît en Eugenia et en Fulgencio les habituels amoureux, jeune premier et jeune première, comme Goldoni lui-même le précise dans le prologue (il se promène au milieu de ses personnages dans la jolie scène d’entrée), ce n’est plus l’autorité des parents qui les sépare, mais leurs propres défauts, leurs démons intérieurs. Eugenia est une jalouse qui se fait souffrir en s’inventant des motifs de soupçonner Fulgencio. Lui, colérique, est incapable de maîtriser les accès de fureur que lui donnent les reproches − immérités − de la belle.
L’intrigue est donc constituée d’une alternance de disputes enragées et de réconciliations passionnées, qui pourrait avoir quelque chose de répétitif si ce n’était la tragédie qu’annonce le premier acte. Catherine Vidal s’est saisie de l’avertissement de l’auteur, « un amour plus violent que tous les autres », pour peindre une passion au potentiel destructeur. L’idylle ne peut mal finir, on est dans le registre de la comédie, mais après le dernier raccommodement, la mêlée générale orchestrée par cette metteure en scène perspicace n’a rien de rassurant pour l’avenir du jeune couple…
Comédiens sur mesure
Une des innovations de Goldoni consiste à créer des rôles pour des interprètes particuliers, des personnages sur mesure, en quelque sorte. Ainsi la figure impétueuse d’Eugenia lui aurait été inspirée par une actrice à la personnalité hors norme, Caterina Bresciani. La maîtresse d’œuvre semble avoir tenu compte de ce principe tant le choix des interprètes est conséquent et pertinent. Maxime Genois (l’insolent Charlie de La Société des poètes disparus) et, peut-être encore plus, Catherine Chabot jouent le conflit amoureux comme un combat furieux, à la fois physique et intérieur.
Autour de ce couple terrible, dans un ballet incessant, les rôles « secondaires », tous plus convaincants les uns que les autres, les suaves domestiques, la patiente sœur, l’ami bon conseiller, commentent les coups, orchestrent la bataille ou essaient de la modérer. Une mention spéciale à Éric Bernier, Fabrizio, l’oncle tuteur des deux sœurs. Dans son personnage de bourgeois égoïste (son addiction au jeu a ruiné la famille), ridicule et désargenté, il est irrésistible. C’est par lui que passent les leitmotivs représentatifs de cette société où domine l’argent : les fameux « couverts » et surtout la question de « la dot », révélatrice des vrais sentiments des prétendants. Aujourd’hui, la dot a disparu, mais l’argent ne reste-t-il pas tout-puissant ?
Les Amoureux
Texte : Carlo Goldoni. Traduction : Huguette Hatem. Mise en scène : Catherine Vidal. Scénographie : Geneviève Lizotte. Costumes : Elen Ewing. Éclairages : Alexandre Pilon-Guay. Conception sonore : Francis Rossignol. Coiffures et maquillage : Justine Denoncourt. Avec Simon Beaulac-Bulman, Éric Bernier, Isabeau Blanche, Sofia Blondin, Catherine Chabot, Vincent Côté, Maxime Genois, Gabriel Lemire, Anglesh Major et Olivia Palacci. Une production du Théâtre Denise-Pelletier, présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 4 décembre 2019.