Critiques

Les Contes à passer le temps : Cartographie du temps des Fêtes

David Mendoza Hélaine

Les Contes à passer le temps fêtent cette année leur neuvième édition et, à voir l’éclat dans les yeux, les rires, les larmes et l’engouement du public, force est de reconnaître que la période de la maturité semble proche. Si l’on retrouve un même cocktail gagnant de joie et de fantaisie dans ces fables urbaines de la ville de Québec, qui réinventent chacune un conte de Noël, jamais l’émotion n’avait été si palpable. C’est que chaque récit donne accès aux fêlures, aux attentes, aux cadeaux de la vie qu’on n’espérait plus, sous couvert d’évoquer des moments de passage à l’âge adulte. Sophie Thibeault et Maxime Robin (à la direction artistique) se demandent si les histoires ne « sont pas la façon la plus simple, une fois l’enfance terminée, de continuer à voler ». Les six contes commandés à six auteurs et autrices sont autant de pépites autour desquelles le public se rassemble, au plus près des conteurs et conteuses, sous les belles voûtes de la Maison Chevalier.

Le dispositif est on ne peut plus simple : deux rangées de chaises de chaque côté d’un long espace de jeu, avec au centre un petit vélo rose à roulettes ; cet objet relie les récits entre eux tout en servant d’accessoire aux interprètes. Une vieille horloge murale, au bout de l’allée, près d’un sapin décoré, est remontée par chaque protagoniste avant d’entamer sa narration, comme pour mieux dérégler le temps. Nouveauté cette année : un accompagnement musical en direct et délicat, assuré par Frédéric Brunet (guitare, petites percussions) et par les artistes qui ne sont pas en piste.

David Mendoza Hélaine

Six contes s’ancrent dans un quartier distinct de la ville et sont portés chacun par une comédienne ou un comédien différent, alors que le septième, comme à chaque année, est une sorte de fantaisie qui

brasse les références aux récits précédents et s’appuie sur la grande histoire de manière anachronique, tout en offrant un tableau collectif décoiffant et hilarant.

Maxime Robin nous amène dans le Vieux-Québec en racontant l’origine de sa vocation d’artiste, soit un éblouissement pour Casse-Noisette (vu à 6 ans), dont il se souvient puisqu’il fut suivi d’une perte d’équilibre ayant entraîné un alitement d’un mois. Il propose une réécriture pop-gay-gore-soft du ballet de Noël par excellence. Un bijou, ou plutôt un bonbon, tout comme le récit « Des confettis pour Noël », évoqué par Mary-Lee Picknell Tremblay, qui incarne une infirmière témoignant de son accompagnement d’un vieux couple de Limoilou, trouvé mort dans leur lit, enlacé, après un dernier repas trop sucré pour ce monsieur diabétique en fin de vie. Une « aide médicale à nourrir » racontée avec finesse et beaucoup d’émotion.

À l’inverse, il est question de rencontres ou de jeunes couples dans les autres histoires. « Le temps des fraises » met en scène un futur père, qui s’adresse à son enfant à naître. « C’est le dernier Noël que je passe sans toi. L’année prochaine, on sera trois », dit Nicola-Frank Vachon, parlant au petit vélo rose. Il décrit sa rencontre avec la maman, leur vie dans le quartier Saint-Jean-Baptiste, ses inquiétudes pour la planète, mais aussi sa joie de ce qui est à venir. Un peu dans la même thématique, mais en plus fou, « L’amour au temps des souffleuses II : le Kid contre-attaque » met en scène Marc-Antoine Marceau, qui partage sa peur d’être père, alors qu’il est en période de « réflexion » avec sa copine, qui vient de découvrir sa grossesse. Tous deux doivent se retrouver le 24 décembre au matin, juste le temps pour ce déneigeur du quartier Saint-Sauveur, d’aller à l’Hôtel du Nord affronter en duel les gars du déneigement de Charlebourg. Sophie Thibault décrit, quant à elle, une histoire d’amour à la fois improbable, hilarante, crue et naïve avec Bonhomme Carnaval dans le quartier Saint-Roch.

David Mendoza Hélaine

Le clou du spectacle est sans doute le conte d’Anne-Marie Olivier porté par Lorraine Côté, incarnant avec une adresse incroyable une femme un peu simple qui, alors qu’elle part vers le fleuve pour se suicider, découvre une réponse inattendue aux bouteilles à la mer qu’elle jette depuis cinq ans à chaque semaine. Après une traversée de Montcalm totalement folle (elle fait un bobsleigh humain d’une femme enceinte en ski de fond en train de perdre les eaux, qu’elle va conduire à L’Hôtel-Dieu), un homme ayant trouvé sa bouteille en Gaspésie vient répondre à l’une de ses questions, à savoir « Où vont les oiseaux-mouches en hiver ? ».

La finale nous entraîne avec Jacques Cartier vers la Nouvelle-France dans un récit collectif magnifique d’invention et rendant hommage aux femmes qui ont fait le Québec. Les Contes à passer le temps sont indéniablement la plus belle manière de commencer le temps des fêtes et de voir des artistes de la Capitale à leur meilleur, en étant tout près d’eux, assis·es comme à la veillée, prêt·es à embarquer.

Les Contes à passer le temps

Texte : Frédéric Blanchette, Jean-Michel Girouard, Sophie Grenier-Héroux, Marianne Marceau, Anne-Marie Olivier, Maxime Robin et Sophie Thibeault. Mise en scène : Maxime Robin, assisté de Sophie Thibeault. Parrainage : Fred Pellerin. Musique : Frédéric Brunet. Avec Frédéric Brunet, Lorraine Côté, Marc-Antoine Marceau, Mary-Lee Picknell-Tremblay, Maxime Robin, Sophie Thibeault et Nicola-Frank Vachon. Une production La Vierge folle présentée à Premier Acte jusqu’au 30 décembre 2019.