Vingt-cinq interprètes de grand talent prennent part à la tournée canadienne du Nederlands Dans Theater, venu à Montréal pour une seconde fois. Lorsqu’une quinzaine d’entre eux évoluent sur la scène en groupe compact, dans Vladimir, la chorégraphie d’Hofesh Shechter, l’actualité israélo-palestinienne n’est pas loin. La rue, selon Shechter, vibre, exulte, ravage. C’est un territoire tribal d’affirmation et de démonstrations masculines (dix hommes, cinq femmes, en tenues unisexes), plein d’affrontements, de sexualité et de violences ; mais les menaces, les prisonniers, les duels et les morts n’empêcheront pas les fêtes de continuer.
Quatre grands panneaux orangés font office de murs où s’épuisent les lamentations. La pièce est sombre, presque noire, et les interprètes ombrés, sans répit : « un flux de douleur, de passion, de sensations », dit le chorégraphe pour décrire la férocité de sa création. C’est juste : les spectateurs et spectatrices entrent à fond dans la dépense, au gré des vagues de mouvements fluides et entraînants.
Le tambour de la composition musicale de Shechter ajoute une tonalité affective à ce drame humain, dans lequel la vitalité rythmée et la verticalité dansante de cette jeunesse infatigable s’ajustent en sautant, en tournant, en lançant les bras tous ensemble. Ce collectif nous convainc aisément qu’il s’agit de célébrer notre monde, quels que soient ses plus durs événements.
Théâtre dansé
Très attendue, la pièce The Statement de Crystal Pite – récipiendaire du Grand Prix de la danse de Montréal 2018 –, en collaboration avec le dramaturge Jonathon Young, n’a rien pour décevoir ensuite. Là, aucune musique, mais un texte, à plusieurs voix off, imbroglio comique de quiproquos supposés restituer les dialogues entre quatre interprètes : la scène se déroule dans un bureau, autour d’une grande table d’entreprise, où les personnages miment en dansant ce qu’ils sont censés régler, un différend bavard avec leur direction.
Sous les injonctions verbales absurdes surgit une suite de facéties et de mouvements exagérés et expressifs. C’est délectable ! L’effet textuel y ajoute sa poésie lettriste, déstructurée. Selon Pite, sa danse est « clinique » ; en effet, nette et articulée, la gestuelle comique évoque la pantomime et le music-hall. C’est aussi astucieux que parodique, servi à un public familier des arcanes du pouvoir dans de semblables bureaux.
Dans cette pièce, les rapports hiérarchiques basculent sans sacrifier la légèreté. Ces pantins dansants, silhouettes réactives aux phrases débitées à vive allure, s’agitent comme des poules sans tête. Le public s’esclaffe. Caricature du monde du travail, où il faut garder sa contenance même quand le sens s’est perdu, tandis que l’intention des patrons s’effrite dans l’escalier hiérarchique, cette danse-théâtre dissèque les ordres et décuple le désordre. Réjouissante, la danse décline sa perfection dans l’évidence de ce qu’elle montre joyeusement.
Autre galaxie
Le sommet de la programmation, Singulière Odyssée de Paul Lightfoot et Sol León, s’avère cependant d’un ennui suprême. Paul Lightfoot, qui a travaillé pendant 35 ans comme danseur au NDT, comme directeur artistique et maintenant comme chorégraphe, avec sa femme, Sol León, consacre le retour d’un certain ballet aux figures prévisibles. Et que dire des souffleries, qui dispenseront ici une pléthore de feuilles mortes, aspergeant les personnages soumis à de mystérieuses élucubrations ?
En revanche, la beauté de la scénographie – un superbe palais vénitien – et des costumes pour cette danse de cour onirique ferait presque oublier la sirupeuse et pauvre ritournelle, qui plombe l’atmosphère féerique du ballet. Émérites interprètes, images de livres de contes : tout cela procède d’une perfection formelle. La performance artistique léchée rayonne, et le public se réjouit de ce déploiement. Néanmoins, un tel ballet attire les foudres d’une critique impatiente de fréquenter la NDT, mais déçue quand la danse, essentialisée, omet de se renouveler.
Chorégraphie, musique, scénographie et costumes : Hofesh Shechter. Éclairages : Tom Visser.
Chorégraphie : Crystal Pite. Dramaturgie : Jonathon Young. Éclairages : Tom Visser. Costumes : Crystal Pite et Joke Visser. Musique : Owen Belton. Scénographie : Jay Gowler Taylor. Performance vocale : Meg Roe, Colleen Wheeler, Andrew Wheeler et Jonathon Young.
Chorégraphie : Sol León et Paul Lightfoot. Musique : Max Richter. Éclairages : Tom Bevoort. Costumes : Joke Visser et Hermien Hollander. Avec les interprètes du Nederlands Dans Theater. Présenté par Danse Danse au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts jusqu’au 14 mars 2020
Vingt-cinq interprètes de grand talent prennent part à la tournée canadienne du Nederlands Dans Theater, venu à Montréal pour une seconde fois. Lorsqu’une quinzaine d’entre eux évoluent sur la scène en groupe compact, dans Vladimir, la chorégraphie d’Hofesh Shechter, l’actualité israélo-palestinienne n’est pas loin. La rue, selon Shechter, vibre, exulte, ravage. C’est un territoire tribal d’affirmation et de démonstrations masculines (dix hommes, cinq femmes, en tenues unisexes), plein d’affrontements, de sexualité et de violences ; mais les menaces, les prisonniers, les duels et les morts n’empêcheront pas les fêtes de continuer.
Quatre grands panneaux orangés font office de murs où s’épuisent les lamentations. La pièce est sombre, presque noire, et les interprètes ombrés, sans répit : « un flux de douleur, de passion, de sensations », dit le chorégraphe pour décrire la férocité de sa création. C’est juste : les spectateurs et spectatrices entrent à fond dans la dépense, au gré des vagues de mouvements fluides et entraînants.
Le tambour de la composition musicale de Shechter ajoute une tonalité affective à ce drame humain, dans lequel la vitalité rythmée et la verticalité dansante de cette jeunesse infatigable s’ajustent en sautant, en tournant, en lançant les bras tous ensemble. Ce collectif nous convainc aisément qu’il s’agit de célébrer notre monde, quels que soient ses plus durs événements.
Théâtre dansé
Très attendue, la pièce The Statement de Crystal Pite – récipiendaire du Grand Prix de la danse de Montréal 2018 –, en collaboration avec le dramaturge Jonathon Young, n’a rien pour décevoir ensuite. Là, aucune musique, mais un texte, à plusieurs voix off, imbroglio comique de quiproquos supposés restituer les dialogues entre quatre interprètes : la scène se déroule dans un bureau, autour d’une grande table d’entreprise, où les personnages miment en dansant ce qu’ils sont censés régler, un différend bavard avec leur direction.
Sous les injonctions verbales absurdes surgit une suite de facéties et de mouvements exagérés et expressifs. C’est délectable ! L’effet textuel y ajoute sa poésie lettriste, déstructurée. Selon Pite, sa danse est « clinique » ; en effet, nette et articulée, la gestuelle comique évoque la pantomime et le music-hall. C’est aussi astucieux que parodique, servi à un public familier des arcanes du pouvoir dans de semblables bureaux.
Dans cette pièce, les rapports hiérarchiques basculent sans sacrifier la légèreté. Ces pantins dansants, silhouettes réactives aux phrases débitées à vive allure, s’agitent comme des poules sans tête. Le public s’esclaffe. Caricature du monde du travail, où il faut garder sa contenance même quand le sens s’est perdu, tandis que l’intention des patrons s’effrite dans l’escalier hiérarchique, cette danse-théâtre dissèque les ordres et décuple le désordre. Réjouissante, la danse décline sa perfection dans l’évidence de ce qu’elle montre joyeusement.
Autre galaxie
Le sommet de la programmation, Singulière Odyssée de Paul Lightfoot et Sol León, s’avère cependant d’un ennui suprême. Paul Lightfoot, qui a travaillé pendant 35 ans comme danseur au NDT, comme directeur artistique et maintenant comme chorégraphe, avec sa femme, Sol León, consacre le retour d’un certain ballet aux figures prévisibles. Et que dire des souffleries, qui dispenseront ici une pléthore de feuilles mortes, aspergeant les personnages soumis à de mystérieuses élucubrations ?
En revanche, la beauté de la scénographie – un superbe palais vénitien – et des costumes pour cette danse de cour onirique ferait presque oublier la sirupeuse et pauvre ritournelle, qui plombe l’atmosphère féerique du ballet. Émérites interprètes, images de livres de contes : tout cela procède d’une perfection formelle. La performance artistique léchée rayonne, et le public se réjouit de ce déploiement. Néanmoins, un tel ballet attire les foudres d’une critique impatiente de fréquenter la NDT, mais déçue quand la danse, essentialisée, omet de se renouveler.
Vladimir
Chorégraphie, musique, scénographie et costumes : Hofesh Shechter. Éclairages : Tom Visser.
The Statement
Chorégraphie : Crystal Pite. Dramaturgie : Jonathon Young. Éclairages : Tom Visser. Costumes : Crystal Pite et Joke Visser. Musique : Owen Belton. Scénographie : Jay Gowler Taylor. Performance vocale : Meg Roe, Colleen Wheeler, Andrew Wheeler et Jonathon Young.
Singulière Odyssée
Chorégraphie : Sol León et Paul Lightfoot. Musique : Max Richter. Éclairages : Tom Bevoort. Costumes : Joke Visser et Hermien Hollander. Avec les interprètes du Nederlands Dans Theater. Présenté par Danse Danse au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts jusqu’au 14 mars 2020