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Simon Fortin : Jouer, c’est mourir un peu

Simon Fortin© Courtoisie

En trois décennies de vie théâtrale surtout passée à New York, l’auteur et comédien Simon Fortin a rendu l’âme des centaines de fois. Il a été empoisonné jouant And Then There Were None d’Agatha Christie, est mort dérobé de sa couronne dans Exit the King de Ionesco, a expié dans la peau de Vincent Van Gogh, a été pourchassé sur scène par un ours assassin…

En février 2020, au moment où la planète entière s’apprêtait à basculer dans le sombre tunnel de la COVID-19, l’artiste prenait la scène du Nelson Mandela Square à Johannesburg, en Afrique du Sud, y dévoilant… Or Not to Be: How Shakespeare Could Change Your Death. Solo porté par Fortin, qui livre une performance athlétique sous le signe de la métamorphose, il s’agit d’un objet hybride composé de parcelles autobiographiques, de révélations issues de recherches doctorales sur la mort sur scène avec, en filigrane, une contemplation de ce que Shakespeare peut nous apprendre sur l’art de mourir. Et surtout, un rappel que nous, humbles humains, avons bien peu de prise sur les projets de la grande faucheuse.

© Courtoisie

La mortalité, dans Or Not to Be…, se trouve donc transposée dans une scène de Sex and the City, où le petit rôle de serveur joué par Fortin a été victime de l’impitoyable guillotine du montage. Infusant sa pièce de plusieurs liens avec son Québec d’origine, Simon Fortin évoque également le trépas de son paternel, Louis Fortin, mort subitement, un verre à la main, en pleine soirée mondaine. Et soutient une conversation avec Shakespeare, avec les fantômes du Roi Lear, de Mercutio, d’Othello, tous pris en défaut quand survient l’ultime fatalité.

« Shakespeare commence sa carrière avec des pièces très sanglantes, qui le deviennent de moins en moins, mais où la mort apparaît toujours, quoique de manière de plus en plus transposée et sublimée, explique le créateur. Ce qui arrive pour la première fois avec Shakespeare, ce sont des morts qui sont artificiellement déployées, parce qu’elles veulent dire quelque chose : elles sont parfois prophétiques, transmettent des humeurs, des malédictions, des colères, des gestes d’amour, des pensées philosophiques. Ce qu’on voit, c’est non pas le moment de la mort, mais bien le progrès de la mort. »

Uni·es face à la mort

Interpréter Or Not to Be… sur une scène de l’Afrique du Sud au début 2020 avait quelque chose de curieusement prémonitoire, concède Simon Fortin, interviewé alors qu’il poursuivait son confinement dans sa résidence d’Upstate New York. « Je voulais m’offrir un luxe autrement impossible, en raison des contraintes économiques de New York : jouer le spectacle 16 fois, devant une audience non avertie. Je voulais vérifier si mon intuition était la bonne. » Marié à un Sud-Africain, Fortin fréquente le pays de Mandela depuis plusieurs années. Il confirme que la réponse du public à Or Not to Be… a été très engageante : « La réaction a été formidable, autant de la part de spectatrices et de spectateurs blancs, noirs, afrikaners, anglophiles, connaisseurs de Shakespeare ou néophytes. Après quelques conversations avec le public, on a réalisé que les gens ont besoin de parler de la mort. Pas nécessairement de la leur, mais de celles dont ils ont été témoins. »

Depuis bien avant la naissance d’Or Not to Be…, Simon Fortin poursuit un travail de longue haleine où la mort sur scène est au cœur de sa quête intellectuelle et artistique. Il a même consacré au sujet une thèse doctorale – de la City University of New York – complétée en 2016 et intitulée « Dying to Learn, Learning to Die: The Craft of Dying on the Modern English Stage. » Évoluant dans le monde académique new-yorkais depuis le milieu des années 2000, il enseigne notamment un cours sur les épidémies dans la littérature. En cSimon Fortines temps de confinement, il collectionne articles de journaux et œuvres audiovisuelles qui émergent de l’esprit des créatrices et créateurs : « Je serai très curieux de voir ce que sera le premier roman qui naîtra de ce moment planétaire où tout s’est arrêté pendant deux mois. »

Quant aux salles de théâtre de la Grosse Pomme, les nouvelles sont moroses, admet Simon Fortin. « Officiellement, il n’y a pas de manifestations culturelles publiques de prévues avant le 1er janvier 2021. Certaines compagnies font des événements en ligne, mais elles aussi ont des loyers à payer. Plusieurs de mes ami·es ont carrément fermé leurs compagnies, s’étant trouvé·es sans revenus et incapables de payer des loyers atrocement chers. Même le Metropolitan Museum of Arts a annoncé que sa survie est incertaine. »

Le rideau tombe sur New York, plaque tournante internationale du théâtre. Seul le temps saura dire de quoi sera fait le prochain acte.