Un spectacle au téléphone ? Le Théâtre Déchaînés, jeune compagnie de Montréal, cherche à faire du théâtre hors les murs en explorant l’implication du public dans des formes insolites immersives et interactives. Sa directrice artistique, Marie Ayotte, qui signe ici la conception et la mise en scène – car, oui, il ne s’agit pas simplement d’une mise en voix –, a œuvré auprès du Théâtre Globe Bulle Rouge, qui a le souci de la place de la femme, notamment dans les créations scéniques. Ces deux dynamiques sont magnifiquement à l’œuvre dans Tantôt, demain peut-être.
Marie Ayotte murit ce projet depuis trois ans, ayant réalisé de nombreuses entrevues avec des femmes sur un sujet tabou : le fait de ne pas aimer être mère. Cette matière a été organisée durant le confinement imposé par la COVID-19, et la compagnie a été inspirée par le Candle House Collective de Chicago, qui propose des pièces de théâtre au téléphone. Précisons que les répétitions se sont déroulées par téléphone également, avec les trois interprètes possibles de ce spectacle de 55 minutes, sur rendez-vous ; distribution tournante suivant les créneaux horaires.
Le résultat est très fort ! Tout d’abord, on nous invite à nous préparer à ce moment, en choisissant un lieu calme, voire sombre, afin de ne pas être distrait·e. Et même, si possible, de ne pas mettre l’appareil sur haut-parleurs (afin de limiter les perturbations extérieures aussi pour l’interprète) et, donc, de rester au plus près du téléphone, de cette voix qui, d’emblée, nous est proche, qui évoque des souvenirs que nous aurions en commun et déploie un récit tourmenté, tout en progressant avec douceur et pudeur.
Le noyau dur du théâtre
Cette femme, qui ne se présente pas, semble me connaître depuis longtemps, me partage des souvenirs de mon enfance, me questionne sur ma situation actuelle. Quelque chose d’assez intense se joue alors, dans cette invitation au spectateur ou à la spectatrice à oser la parole, à répondre, à user même de cette possibilité de réponse en nous inventant des souvenirs communs, tout en laissant tacitement l’actrice développer son récit. J’ai rarement expérimenté une telle aisance chez un·e interprète à intégrer la réponse du spectateur, et c’est ce qui fera la valeur même du spectacle : cette manière d’utiliser des éléments biographiques que je lui donne pour tisser plus serré le fil de son récit. Je comprendrai doucement que c’est ma mère qui est au téléphone, remontant le récit de nos vies, depuis la grossesse jusqu’à mon envol, et qui me partage ce sentiment de n’avoir jamais ressenti l’instinct maternel. Une ultime bascule – que je ne peux dévoiler – viendra créer un autre point de (dés)équilibre, touchant pour le spectateur que je suis.
Si le projet a été initié avant la pandémie, il résonne fortement dans ce moment particulier que nous vivons, avec cette distanciation imposée. Ici, le contrat théâtral fonctionne, malgré la distance, l’invisibilité : il y a bien quelque chose d’un temps et d’un espace partagés dans le récit que me fait cette femme, dans cette histoire qui m’implique et me « touche », non pas physiquement mais émotionnellement. Lentement, un récit se dévoile mais, aussi, une personne m’apparaît, se livre et m’intègre à sa chronique. L’actrice, qui me donnera son nom à la fin (Sounia Balha), me fait parler du lieu où je vis, dont elle reprend des éléments ; elle fait des liens entre ma situation professionnelle et l’enfant dont elle se souvient. Il y a là une très belle maîtrise des étapes, de l’intégration des informations, de leur reprise. Une grande écoute, une belle proximité se tisse tout en créant progressivement une bulle et une fiction, qui résonne étrangement avec des pans de mon histoire. Je me suis retrouvé nostalgique après ce coup de fil-spectacle, mais également avec la sensation d’avoir vécu quelque chose de rare : une petite pièce intime qui a rejoint mon confinement solitaire – du théâtre qui reprend ENFIN ! – et vise le cœur même de l’échange théâtral : le cœur à cœur, pourrait-on dire !
Texte et mise en scène : Marie Ayotte. Interprétation : Andrée-Anne Giguère, Geneviève T. de L’Étoile ou Sounia Balha (en alternance). Graphisme : China Marsot-Wood. Une production de Théâtre Déchaînés (www.theatredechaines.com), présentée du 4 au 21 juin (complet), en supplémentaires du 29 juin au 12 juillet 2020.
Un spectacle au téléphone ? Le Théâtre Déchaînés, jeune compagnie de Montréal, cherche à faire du théâtre hors les murs en explorant l’implication du public dans des formes insolites immersives et interactives. Sa directrice artistique, Marie Ayotte, qui signe ici la conception et la mise en scène – car, oui, il ne s’agit pas simplement d’une mise en voix –, a œuvré auprès du Théâtre Globe Bulle Rouge, qui a le souci de la place de la femme, notamment dans les créations scéniques. Ces deux dynamiques sont magnifiquement à l’œuvre dans Tantôt, demain peut-être.
Marie Ayotte murit ce projet depuis trois ans, ayant réalisé de nombreuses entrevues avec des femmes sur un sujet tabou : le fait de ne pas aimer être mère. Cette matière a été organisée durant le confinement imposé par la COVID-19, et la compagnie a été inspirée par le Candle House Collective de Chicago, qui propose des pièces de théâtre au téléphone. Précisons que les répétitions se sont déroulées par téléphone également, avec les trois interprètes possibles de ce spectacle de 55 minutes, sur rendez-vous ; distribution tournante suivant les créneaux horaires.
Le résultat est très fort ! Tout d’abord, on nous invite à nous préparer à ce moment, en choisissant un lieu calme, voire sombre, afin de ne pas être distrait·e. Et même, si possible, de ne pas mettre l’appareil sur haut-parleurs (afin de limiter les perturbations extérieures aussi pour l’interprète) et, donc, de rester au plus près du téléphone, de cette voix qui, d’emblée, nous est proche, qui évoque des souvenirs que nous aurions en commun et déploie un récit tourmenté, tout en progressant avec douceur et pudeur.
Le noyau dur du théâtre
Cette femme, qui ne se présente pas, semble me connaître depuis longtemps, me partage des souvenirs de mon enfance, me questionne sur ma situation actuelle. Quelque chose d’assez intense se joue alors, dans cette invitation au spectateur ou à la spectatrice à oser la parole, à répondre, à user même de cette possibilité de réponse en nous inventant des souvenirs communs, tout en laissant tacitement l’actrice développer son récit. J’ai rarement expérimenté une telle aisance chez un·e interprète à intégrer la réponse du spectateur, et c’est ce qui fera la valeur même du spectacle : cette manière d’utiliser des éléments biographiques que je lui donne pour tisser plus serré le fil de son récit. Je comprendrai doucement que c’est ma mère qui est au téléphone, remontant le récit de nos vies, depuis la grossesse jusqu’à mon envol, et qui me partage ce sentiment de n’avoir jamais ressenti l’instinct maternel. Une ultime bascule – que je ne peux dévoiler – viendra créer un autre point de (dés)équilibre, touchant pour le spectateur que je suis.
Si le projet a été initié avant la pandémie, il résonne fortement dans ce moment particulier que nous vivons, avec cette distanciation imposée. Ici, le contrat théâtral fonctionne, malgré la distance, l’invisibilité : il y a bien quelque chose d’un temps et d’un espace partagés dans le récit que me fait cette femme, dans cette histoire qui m’implique et me « touche », non pas physiquement mais émotionnellement. Lentement, un récit se dévoile mais, aussi, une personne m’apparaît, se livre et m’intègre à sa chronique. L’actrice, qui me donnera son nom à la fin (Sounia Balha), me fait parler du lieu où je vis, dont elle reprend des éléments ; elle fait des liens entre ma situation professionnelle et l’enfant dont elle se souvient. Il y a là une très belle maîtrise des étapes, de l’intégration des informations, de leur reprise. Une grande écoute, une belle proximité se tisse tout en créant progressivement une bulle et une fiction, qui résonne étrangement avec des pans de mon histoire. Je me suis retrouvé nostalgique après ce coup de fil-spectacle, mais également avec la sensation d’avoir vécu quelque chose de rare : une petite pièce intime qui a rejoint mon confinement solitaire – du théâtre qui reprend ENFIN ! – et vise le cœur même de l’échange théâtral : le cœur à cœur, pourrait-on dire !
Tantôt, demain peut-être
Texte et mise en scène : Marie Ayotte. Interprétation : Andrée-Anne Giguère, Geneviève T. de L’Étoile ou Sounia Balha (en alternance). Graphisme : China Marsot-Wood. Une production de Théâtre Déchaînés (www.theatredechaines.com), présentée du 4 au 21 juin (complet), en supplémentaires du 29 juin au 12 juillet 2020.