C’est un projet ambitieux que nous proposent le Nouveau Théâtre Expérimental et Tropiques Atrium Scène nationale avec Entends-tu ce que je te dis ? Kouté mwen titak !, dans une réalisation de Daniel Brière. Les premières images sont saisissantes. Des ténèbres, au son d’une musique insolite, naissent des cubes transparents et colorés, enchâssés les uns dans les autres, pivotant sur eux-mêmes. Un univers se construit. Et de ce castelet virtuel, quatre existences, présentées en huit tableaux et interprétées par trois actrices et un comédien, nous sont révélées.
Les séquences visuelles, tournées séparément en Martinique et au Québec, se superposent, se fondent, se croisent en un ballet de couches multicolores, rappelant tantôt la luxuriance des Antilles, tantôt la fébrilité urbaine de Montréal. Point d’ancrage de plusieurs scènes : un banc en béton où l’on attend l’autobus.
Quatre personnages : deux Martiniquaises, une Québécoise et un Québécois ont bien des choses à dire. Chacun·e à sa façon, il et elles vont râler ou chialer, c’est selon, que ce soit sous forme de monologue, de soliloque ou même de dialogue de sourd·es.
La parole qui nous vient de Fort-de-France se veut revendicatrice. Les textes de Daniely Francisque et ceux de Bernard Gaétan Lagier, qui nous a offert il y a quelques années le sublime Moi chien créole, abordent des enjeux sociaux, dénonçant tout autant les inégalités hommes-femmes que le postcolonialisme et le postesclavagisme. La langue est souvent hybride, mêlant le français au créole (avec des sous-titres) dans une explosion de mots se rapprochant parfois du slam. Elle exulte, telle une éruption de la montagne Pelée.
Du côté québécois, on sent plutôt sourdre la colère ainsi que la douleur. Le propos est beaucoup plus intimiste, frayant aussi un peu avec la dérision. Les partitions d’Alexis Martin et de Gabrielle Chapdelaine nous livrent le délire intellectuel d’un universitaire dans un cas et le pathos d’une femme seule, complètement désorientée, dans l’autre. La vulnérabilité et l’instabilité sont à fleur de peau chez les deux personnages. Elle, se sent isolée, totalement perdue au beau milieu de la foule, ridiculement accrochée à son téléphone cellulaire salvateur. Lui, s’appuyant sur sa propre thèse doctorale, se noie dans des pensées et des théories existentielles farfelues.
Râler sans rallier
Alors que le mariage des atmosphères visuelles et sonores de cette coproduction est un véritable bonheur, fruit de prouesses technologiques et imaginatives des concepteurs et du réalisateur Daniel Brière, l’arrimage des discours est une déception. Les divergences culturelles sont trop évidentes pour que le ténu et fragile fil conducteur du plaignons-nous en chœur parvienne à les unir.
Le dialogue tant espéré n’est pas au rendez-vous malgré l’une des dernières scènes, si sympathique et si techniquement réussie soit-elle, lorsque la Martiniquaise et le touriste québécois s’éloignent côte à côte dans une promenade des plus improbables. Donc, malgré les exploits numériques issus du magnifique écrin kaléidoscopique, cette création, qui à l’origine devait être jouée à l’Espace Libre et en Martinique, souffre un peu de cette migration virtuelle et des quelque 3 500 kilomètres qui séparent les deux pays. La pièce de théâtre aurait sûrement bénéficié d’une plus grande cohésion grâce à des transitions salutaires assurées par une mise scène en bonne et due forme.
Toutefois, on prend plaisir à savourer les performances individuelles de Steffy Glissant, de Joanie Guérin et de Bruno Marcil. Les interprètes, habilement dirigé·es, nous offrent des prestations fort convaincantes, suscitant à tour de rôle, la réflexion, le sourire et l’espoir ; de vives émotions, contre lesquelles, ici, il est bien difficile de… râler.
Texte : Gabrielle Chapdelaine, Daniely Francisque, Bernard Gaétan Lagier et Alexis Martin. Réalisation : Daniel Brière. Musique : Nicolas Lossen et Alexander MacSween. Conception des images numériques : David Gumbs. Conception visuelle : Lionel Arnould. Avec Daniely Francisque, Steffy Glissant, Joanie Guérin et Bruno Marcil. Une coproduction du Nouveau Théâtre Expérimental et de Tropiques Atrium Scène nationale disponible en ligne à l’adresse koute.net jusqu’au 21 juin 2021.
C’est un projet ambitieux que nous proposent le Nouveau Théâtre Expérimental et Tropiques Atrium Scène nationale avec Entends-tu ce que je te dis ? Kouté mwen titak !, dans une réalisation de Daniel Brière. Les premières images sont saisissantes. Des ténèbres, au son d’une musique insolite, naissent des cubes transparents et colorés, enchâssés les uns dans les autres, pivotant sur eux-mêmes. Un univers se construit. Et de ce castelet virtuel, quatre existences, présentées en huit tableaux et interprétées par trois actrices et un comédien, nous sont révélées.
Les séquences visuelles, tournées séparément en Martinique et au Québec, se superposent, se fondent, se croisent en un ballet de couches multicolores, rappelant tantôt la luxuriance des Antilles, tantôt la fébrilité urbaine de Montréal. Point d’ancrage de plusieurs scènes : un banc en béton où l’on attend l’autobus.
Quatre personnages : deux Martiniquaises, une Québécoise et un Québécois ont bien des choses à dire. Chacun·e à sa façon, il et elles vont râler ou chialer, c’est selon, que ce soit sous forme de monologue, de soliloque ou même de dialogue de sourd·es.
La parole qui nous vient de Fort-de-France se veut revendicatrice. Les textes de Daniely Francisque et ceux de Bernard Gaétan Lagier, qui nous a offert il y a quelques années le sublime Moi chien créole, abordent des enjeux sociaux, dénonçant tout autant les inégalités hommes-femmes que le postcolonialisme et le postesclavagisme. La langue est souvent hybride, mêlant le français au créole (avec des sous-titres) dans une explosion de mots se rapprochant parfois du slam. Elle exulte, telle une éruption de la montagne Pelée.
Du côté québécois, on sent plutôt sourdre la colère ainsi que la douleur. Le propos est beaucoup plus intimiste, frayant aussi un peu avec la dérision. Les partitions d’Alexis Martin et de Gabrielle Chapdelaine nous livrent le délire intellectuel d’un universitaire dans un cas et le pathos d’une femme seule, complètement désorientée, dans l’autre. La vulnérabilité et l’instabilité sont à fleur de peau chez les deux personnages. Elle, se sent isolée, totalement perdue au beau milieu de la foule, ridiculement accrochée à son téléphone cellulaire salvateur. Lui, s’appuyant sur sa propre thèse doctorale, se noie dans des pensées et des théories existentielles farfelues.
Râler sans rallier
Alors que le mariage des atmosphères visuelles et sonores de cette coproduction est un véritable bonheur, fruit de prouesses technologiques et imaginatives des concepteurs et du réalisateur Daniel Brière, l’arrimage des discours est une déception. Les divergences culturelles sont trop évidentes pour que le ténu et fragile fil conducteur du plaignons-nous en chœur parvienne à les unir.
Le dialogue tant espéré n’est pas au rendez-vous malgré l’une des dernières scènes, si sympathique et si techniquement réussie soit-elle, lorsque la Martiniquaise et le touriste québécois s’éloignent côte à côte dans une promenade des plus improbables. Donc, malgré les exploits numériques issus du magnifique écrin kaléidoscopique, cette création, qui à l’origine devait être jouée à l’Espace Libre et en Martinique, souffre un peu de cette migration virtuelle et des quelque 3 500 kilomètres qui séparent les deux pays. La pièce de théâtre aurait sûrement bénéficié d’une plus grande cohésion grâce à des transitions salutaires assurées par une mise scène en bonne et due forme.
Toutefois, on prend plaisir à savourer les performances individuelles de Steffy Glissant, de Joanie Guérin et de Bruno Marcil. Les interprètes, habilement dirigé·es, nous offrent des prestations fort convaincantes, suscitant à tour de rôle, la réflexion, le sourire et l’espoir ; de vives émotions, contre lesquelles, ici, il est bien difficile de… râler.
Entends-tu ce que je te dis ? Kouté mwen titak !
Texte : Gabrielle Chapdelaine, Daniely Francisque, Bernard Gaétan Lagier et Alexis Martin. Réalisation : Daniel Brière. Musique : Nicolas Lossen et Alexander MacSween. Conception des images numériques : David Gumbs. Conception visuelle : Lionel Arnould. Avec Daniely Francisque, Steffy Glissant, Joanie Guérin et Bruno Marcil. Une coproduction du Nouveau Théâtre Expérimental et de Tropiques Atrium Scène nationale disponible en ligne à l’adresse koute.net jusqu’au 21 juin 2021.