On se croit libre jusqu’à ce que l’inattendu arrive. Alors, la liberté doit pouvoir se conjuguer sur un autre mode que celui de l’indépendance de corps et d’esprit pour adopter celui de l’acceptation. Or, l’acceptation demande autant sinon plus de courage que l’indépendance. Tel semble être un des messages de ces Étés souterrains, spectacle mettant en scène une femme, professeuse de littérature, en vacances en Provence, comme depuis plusieurs étés, qui se verra contrainte par l’évolution d’une maladie dégénérative d’annoncer l’inéluctable à ses ami·es.

Guylaine Tremblay incarne avec conviction cette femme volubile, gaie, franche jusqu’à en être cassante, une « intellectuelle charnelle », comme elle aime se définir. Autour d’elle, Charlotte, sa fille, bientôt médecin, deux couples d’ami·es, avec lesquels elle semble partager de nombreux repas bien arrosés au son des cigales, et un amant, Arthur. Bien que le personnage soit seul en scène, la pièce est construite comme une suite de dialogues. En effet, on entend notre Québécoise (on ne saura pas son nom) « s’entretenir » avec ces personnes dont on devine les interventions au travers ses répliques. Ces dialogues « fictifs » avec personnages invisibles sont l’occasion de quelques récits mais surtout d’exclamations et d’interrogations, situations reconnaissables facilement par quiconque aura le moindrement partagé des soirées avec des ami·es de longue date. Avec un certain effet de décousu.
Le procédé est utilisé ici pour dessiner le caractère de la protagoniste. Au fil des « échanges », on la voit mère féministe décidée à faire de sa fille une femme tout sauf « insignifiante », ou faisant la leçon à ces « misogynes » et « méprisants » de Français; une professeuse s’inquiétant de son influence sur ses élèves; et surtout une femme brandissant haut et fort sa solitude choisie comme garante de sa liberté. « On n’est soi-même que seule », dira-t-elle.
Assez efficace pour permettre de bien voir aller le personnage en interaction avec son entourage, cette manière de faire montre aussi, presque paradoxalement, comment cette femme, finalement, est effectivement seule… mais sans l’aura de positivité qu’elle accorde elle-même à cette solitude.
Semant entre chaque scène ses épluchures d’oranges comme autant de pierres pour retrouver son chemin à travers sa propre histoire, le personnage évolue dans un décor simple, au son d’une musique un peu planante, se déplaçant de chaise en chaise, jusqu’au fauteuil roulant. Ce n’est pas divulguer quelque dénouement que de faire référence à ce fauteuil roulant, puisque dès le début du spectacle, la comédienne montre muettement les troubles physiologiques de son personnage. Le contraste avec l’entrain qu’elle déploie pour jouer la joviale professeuse quelques instants après n’en est que plus frappant. Mais c’est surtout grâce à une vidéo la montrant en très gros plans que l’on peut juger à la fois de la progression de la maladie du personnage et du talent de la comédienne à l’incarner.
Il faut tout dire
Assumant son côté verbomoteur, le personnage n’a de cesse de relier joie et parole, déclarant particulièrement ennuyeux ou ennuyeuse qui se tait. Mais cette caractéristique cache vraisemblablement une difficulté à se confier réellement. Aussi cela prendra-t-il un long moment avant que cette femme ne se décide à dire la vérité. Pourtant aux prises avec un effrayant diagnostic, elle ne réclamera que tardivement l’aide de ses ami·es. Elle qui répète souvent qu’il faut tout dire se rendra à l’évidence qu’elle « n’a pas encore tout dit ».
Ce décalage, malheureusement, fait en sorte que le spectateur ou la spectatrice n’a pas accès vraiment à l’intériorité du personnage. Cette intimité n’est possible que par le biais du monologue, moment crucial en dramaturgie où le personnage se parle à lui-même… et non aux autres. C’est alors que l’on peut suivre les circonvolutions de sa pensée, ses peurs, ses hésitations, que l’on peut comprendre ses choix. Peut-être est-ce là une des raisons pour lesquelles, étrangement, on met du temps à être ému·e par son sort. Car, aussi longtemps qu’elle se révèle le boute-en-train du groupe, on rit avec elle. Même si, entre les scènes, la comédienne renoue avec une gestuelle montrant les contraintes physiques, durant les scènes, on ne voit pas l’évolution de son état. On ne peut que difficilement, alors, souffrir avec elle. On aurait mieux senti monter sa frayeur et été plus sensible à sa vulnérabilité si on avait pu suivre de plus près son cheminement.
Texte : Steve Gagnon. Mise en scène : Édith Patenaude. Assistance à la mise en scène : Adèle Saint-Armand. Décor : Patrice Charbonneau-Brunelle. Costume : Estelle Charron. Éclairages : Erwann Bernard. Musique : Mykalle Bielinski. Vidéo : Eliot Laprise. Avec : Guylaine Tremblay. Une production de La Manufacture présentée à La Licorne jusqu’au 8 mai 2021.
On se croit libre jusqu’à ce que l’inattendu arrive. Alors, la liberté doit pouvoir se conjuguer sur un autre mode que celui de l’indépendance de corps et d’esprit pour adopter celui de l’acceptation. Or, l’acceptation demande autant sinon plus de courage que l’indépendance. Tel semble être un des messages de ces Étés souterrains, spectacle mettant en scène une femme, professeuse de littérature, en vacances en Provence, comme depuis plusieurs étés, qui se verra contrainte par l’évolution d’une maladie dégénérative d’annoncer l’inéluctable à ses ami·es.
Guylaine Tremblay incarne avec conviction cette femme volubile, gaie, franche jusqu’à en être cassante, une « intellectuelle charnelle », comme elle aime se définir. Autour d’elle, Charlotte, sa fille, bientôt médecin, deux couples d’ami·es, avec lesquels elle semble partager de nombreux repas bien arrosés au son des cigales, et un amant, Arthur. Bien que le personnage soit seul en scène, la pièce est construite comme une suite de dialogues. En effet, on entend notre Québécoise (on ne saura pas son nom) « s’entretenir » avec ces personnes dont on devine les interventions au travers ses répliques. Ces dialogues « fictifs » avec personnages invisibles sont l’occasion de quelques récits mais surtout d’exclamations et d’interrogations, situations reconnaissables facilement par quiconque aura le moindrement partagé des soirées avec des ami·es de longue date. Avec un certain effet de décousu.
Le procédé est utilisé ici pour dessiner le caractère de la protagoniste. Au fil des « échanges », on la voit mère féministe décidée à faire de sa fille une femme tout sauf « insignifiante », ou faisant la leçon à ces « misogynes » et « méprisants » de Français; une professeuse s’inquiétant de son influence sur ses élèves; et surtout une femme brandissant haut et fort sa solitude choisie comme garante de sa liberté. « On n’est soi-même que seule », dira-t-elle.
Semant entre chaque scène ses épluchures d’oranges comme autant de pierres pour retrouver son chemin à travers sa propre histoire, le personnage évolue dans un décor simple, au son d’une musique un peu planante, se déplaçant de chaise en chaise, jusqu’au fauteuil roulant. Ce n’est pas divulguer quelque dénouement que de faire référence à ce fauteuil roulant, puisque dès le début du spectacle, la comédienne montre muettement les troubles physiologiques de son personnage. Le contraste avec l’entrain qu’elle déploie pour jouer la joviale professeuse quelques instants après n’en est que plus frappant. Mais c’est surtout grâce à une vidéo la montrant en très gros plans que l’on peut juger à la fois de la progression de la maladie du personnage et du talent de la comédienne à l’incarner.
Il faut tout dire
Ce décalage, malheureusement, fait en sorte que le spectateur ou la spectatrice n’a pas accès vraiment à l’intériorité du personnage. Cette intimité n’est possible que par le biais du monologue, moment crucial en dramaturgie où le personnage se parle à lui-même… et non aux autres. C’est alors que l’on peut suivre les circonvolutions de sa pensée, ses peurs, ses hésitations, que l’on peut comprendre ses choix. Peut-être est-ce là une des raisons pour lesquelles, étrangement, on met du temps à être ému·e par son sort. Car, aussi longtemps qu’elle se révèle le boute-en-train du groupe, on rit avec elle. Même si, entre les scènes, la comédienne renoue avec une gestuelle montrant les contraintes physiques, durant les scènes, on ne voit pas l’évolution de son état. On ne peut que difficilement, alors, souffrir avec elle. On aurait mieux senti monter sa frayeur et été plus sensible à sa vulnérabilité si on avait pu suivre de plus près son cheminement.
Les Étés souterrains
Texte : Steve Gagnon. Mise en scène : Édith Patenaude. Assistance à la mise en scène : Adèle Saint-Armand. Décor : Patrice Charbonneau-Brunelle. Costume : Estelle Charron. Éclairages : Erwann Bernard. Musique : Mykalle Bielinski. Vidéo : Eliot Laprise. Avec : Guylaine Tremblay. Une production de La Manufacture présentée à La Licorne jusqu’au 8 mai 2021.