Critiques

Abraham Lincoln va au théâtre – Labo : Plongée au cœur du processus de création

© Yves Renaud

Au cours des derniers mois, les théâtres ont rivalisé d’inventivité pour offrir à leurs spectateurs et spectatrices affamé·es de quoi se mettre sous la dent en attendant de revenir dans les salles. Le TNM n’est pas en reste, avec ce laboratoire de création de la pièce Abraham Lincoln va au théâtre, laquelle aurait dû être à l’affiche cette saison. Il s’agit d’un film d’environ une heure, dévoilant des extraits de répétitions ainsi que les réflexions et explorations de la metteuse en scène, des comédien·nes et des concepteurs et conceptrices.

Le texte de Larry Tremblay est une vertigineuse œuvre à tiroirs, dans laquelle les histoires s’entremêlent et s’emboîtent, de telle manière qu’un personnage peut à tout moment en révéler un autre. Le point de départ est un fait historique : l’assassinat d’Abraham Lincoln, 16e président des États-Unis, alors qu’il assistait à une pièce de théâtre, le 14 avril 1865. Tremblay imagine un metteur en scène à la fois adulé et craint, Mark Killman, qui recrute deux comédiens pour rejouer le crime à la manière de Laurel et Hardy, tandis que lui-même incarnera la statue de cire de Lincoln. Tout au long de la pièce, l’auteur nous invite à examiner ce qu’il qualifie de « schizophrénie de l’Amérique », c’est-à-dire une dichotomie observable à tous les niveaux, que ce soit racial, social, politique ou économique. Les protagonistes y sont engagé·es dans des relations à saveur sadomasochiste, à commencer par les fameux Laurel et Hardy, symboles du rapport dominant-dominé, comme cela apparaît clairement dans quelques extraits de scènes.

De manière fort réjouissante, ce laboratoire fait écho à l’œuvre dont il traite en étant lui-même un mélange de vérités et d’artifices. Ainsi, la metteuse en scène, Catherine Vidal, est incarnée par la comédienne Olivia Palacci, et quelques cabotinages nous rappellent que personne ici ne joue son propre rôle.

© Yves Renaud

Créer, c’est se questionner

Une des premières questions qui se posent lorsque l’on veut présenter ce texte sur scène est : comment mettre en valeur une de ses composantes essentielles, celle du théâtre dans le théâtre ? C’est ainsi que la scénographe Geneviève Lizotte a réfléchi à la dynamique spatiale qui serait la plus appropriée et proposé un cadre en conséquence. Le laboratoire nous montre également comment les concepteurs vidéo Antonin Gougeon et Thomas Payette ont exploré la notion de personnages qui se cachent derrière d’autres personnages, en l’occurrence, deux comédiens nommés Christian Larochelle et Léonard Brisebois, eux-mêmes interprétés par Luc Bourgeois et Mani Soleymanlou, et qui incarnent Laurel et Hardy jouant l’assassinat d’Abraham Lincoln.

Comment rendre l’effet de cire sur la peau et les vêtements ? Comment créer une certaine ambiance grâce aux sons et aux lumières ? Quelle est la portée politique des choix scénographiques ? Voilà d’autres questions que les concepteurs et conceptrices se posent et qui, selon la réponse apportée, influenceront radicalement le résultat final.

Ce laboratoire a le mérite de nous faire découvrir les différentes personnes qui sont impliquées dans la mise sur pied d’un spectacle et qui, bien qu’elles travaillent souvent dans l’ombre, jouent un rôle essentiel. On comprend comment, grâce aux innombrables choix effectués lors du processus de création (décors, organisation de l’espace, musique, bruitages, lumières, costumes, maquillages, coiffures, mouvements, déplacements, intonations, diction, rythme, souffle, mimiques, postures, gestuelle, accessoires, etc.), un même texte peut, une fois présenté sur scène, donner aussi bien un chef-d’œuvre qu’un flop ou quelque chose entre les deux.

À première vue, les partis pris ici semblent assez différents de la mise en scène de Claude Poissant à Espace Go, en 2008. Là réside l’intérêt de voir Abraham Lincoln va au théâtre monté par une autre équipe de création.

Notons que le laboratoire, par son essence même, ne donne qu’un aperçu très partiel de la richesse et de la profondeur du texte de Larry Tremblay, une des œuvres phares de la dramaturgie québécoise contemporaine.

Abraham Lincoln va au théâtre – Laboratoire public de création

Texte : Larry Tremblay. Mise en scène : Catherine Vidal. Conseiller à la scénarisation : Étienne Lepage. Assistance à la mise en scène et régie : Alexandra Sutto. Décor : Geneviève Lizotte. Costumes : Julie Charland. Éclairages : Alexandre Pilon-Guay. Conception vidéo : Antonin Gougeon et Thomas Payette. Conception sonore et musique : Francis Rossignol. Maquillages et coiffures : Justine Denoncourt-Bélanger. Mouvements : Mélanie Demers. Assistance et confection des costumes : Yso South. Réalisation : Eliot Laprise et Catherine Vidal. Caméra : Matthew Fournier, Eliot Laprise et, Yannick Nolin. Montage : Matthew Fournier. Coloriste : Jean-François Robichaud. Mixage sonore : Colin Gagné. Avec Luc Bourgeois, Didier Lucien, Olivia Palacci, Patrice Robitaille et Mani Soleymanlou. Disponible en webdiffusion sur le site du Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 18 avril 2021.