D’abord présentée quelques jours en salle, la pièce Singulières est désormais offerte au public sous forme de captation vidéo. Cette œuvre de théâtre documentaire, écrite par Maxime Beauregard-Martin, s’intéresse aux parcours de vie et aux aspirations contemporaines de femmes de 30 ans et plus, dont le statut de célibataire leur aurait autrefois valu l’étiquette de « vieille fille ». Le texte met principalement en lumière les réalités de cinq d’entre elles, que l’auteur a rencontrées et suivies pendant deux ans, et qui sont devenues les protagonistes de Singulières.
La structure narrative du spectacle place les témoignages de celles-ci au premier plan, puisqu’elle repose sur des reconstitutions d’entrevues conduites avec elles, que ce soit autour d’un café, d’un verre de vin ou bien par appels vidéos. Ainsi, on assiste, en quelque sorte, à la démarche de recherche effectuée par Maxime Beauregard-Martin. On revisite ces moments de partage, souvent riches en émotion, au cours desquels il a fait la connaissance de ces femmes lumineuses qui se sont généreusement confiées à lui. Plusieurs segments d’archives illustrant d’anciennes conceptions populaires en lien avec le terme « vieille fille » (des vidéos en noir et blanc tirées de vox pop) viennent rehausser et ponctuer les propos des personnages, en plus de servir de transitions fluides entre leurs différents récits de vie.
Prouesse technique
La production s’avère incroyablement bien rodée. Les comédiennes font un travail époustouflant, non seulement dans leur interprétation juste et sensible des femmes ayant participé au projet, mais aussi dans l’exploit technique qu’elles accomplissent tout au long du spectacle (maniement des caméras, déplacement des décors et des accessoires, etc.). Elles relèvent, en effet, un défi de taille pour parvenir à donner autant à voir aux spectateurs et spectatrices. Les plans étudiés offrent des perspectives variées, que rend joliment l’éclairage, ainsi qu’une profondeur de champ qui ajoute au réalisme de la pièce. D’ailleurs, il est à mentionner que l’équipement audiovisuel est intégré avec brio au sein du spectacle et l’on ne ressent que très peu, voire pas du tout, la lourdeur des manipulations matérielles. Par exemple, lors de la scène où Jordan évoque ses amies mariées, les comédiennes déplacent les caméras en dansant, toutes festives, campées dans leur rôle respectif, comme s’il s’agissait d’une vidéo prise sur le vif lors d’une soirée. La subtilité et l’ingéniosité avec laquelle ont été insérés plusieurs titres de scènes méritent également d’être soulignées. L’un d’eux apparaît, notamment, sur un seau de mastic alors qu’un personnage refait le mur d’une chambre, tandis qu’un autre est inscrit sur un bout de papier qui flotte dans un aquarium.
Frédérique Bradet, Savina Figueras, Danielle LeSaux-Farmer, Éva Saïda et Sophie Thibault se révèlent pétillantes et dynamiques; leur jeu, vrai et captivant. Elles alternent entre leurs nombreux personnages (une future mère mono-parentale, une poète en dépression, une musulmane débitée par le malaise des Québécois à parler de religion, une universitaire gauchiste qui explore, avec fébrilité, sa bisexualité, etc.) sans le moindre fléchissement de rythme. Néanmoins, pourquoi l’ensemble des hommes représentés dans ce spectacle relèvent-ils de la totale caricature (à l’exception de l’auteur, interprété à tour de rôle par les comédiennes de la distribution) ? Ce choix nuit au réalisme autrement très convaincant de la pièce documentaire. Par ailleurs, pourquoi l’écriture du spectacle a-t-elle été confiée à une personne assignée homme, plutôt qu’à une personne assignée femme, alors que le sujet de l’œuvre est résolument féminin ? Si cet aspect est évoqué brièvement par le personnage de Maxime Beauregard-Martin, la réflexion de l’auteur à ce sujet n’est, finalement, jamais développée, bien qu’il aurait été pertinent qu’elle le soit.
Singulières nous offre des personnages vivants et attachants, que l’on présume respectueux des réalités des femmes à la source du projet. Les anecdotes choisies et le fil conducteur qu’a su tracer Maxime Beauregard-Martin entre celles-ci esquissent un portrait inédit des « vieilles filles » d’aujourd’hui, un portrait sensible qui démontre l’absurdité des stéréotypes traditionnels associés aux femmes célibataires âgées de 30 ans et plus. Le talent d’Alexandre Fecteau pour le théâtre documentaire se manifeste clairement dans la conception de Singulières. L’audacieuse et complexe forme hybride qu’il a donnée au spectacle mérite l’admiration, et l’énergie qui en déborde a certainement de quoi happer le public.
Texte : Maxime Beauregard-Martin. Mise en scène : Alexandre Fecteau. Assistance à la mise en scène : Stéphanie Hayes. Décor : Ariane Sauvé. Costumes : Jeanne Lapierre. Coiffures et maquillages : Nathalie Simard. Musique : Stéphane Caron. Éclairages : Chantal Labonté. Vidéo : David B. Ricard. Habilleuse : Géraldine Rondeau. Régie générale : Keven Dubois. Régie de plateau : Abel Longuépée. Régie son : Nicolas Désy. Avec Frédérique Bradet, Savina Figueras, Danielle LeSaux-Farmer, Éva Saïda et Sophie Thibault. Une coproduction du Théâtre la Bordée, du collectif Nous sommes ici et de Théâtre Catapulte, présentée en webdiffusion jusqu’au 30 juin 2021.
D’abord présentée quelques jours en salle, la pièce Singulières est désormais offerte au public sous forme de captation vidéo. Cette œuvre de théâtre documentaire, écrite par Maxime Beauregard-Martin, s’intéresse aux parcours de vie et aux aspirations contemporaines de femmes de 30 ans et plus, dont le statut de célibataire leur aurait autrefois valu l’étiquette de « vieille fille ». Le texte met principalement en lumière les réalités de cinq d’entre elles, que l’auteur a rencontrées et suivies pendant deux ans, et qui sont devenues les protagonistes de Singulières.
La structure narrative du spectacle place les témoignages de celles-ci au premier plan, puisqu’elle repose sur des reconstitutions d’entrevues conduites avec elles, que ce soit autour d’un café, d’un verre de vin ou bien par appels vidéos. Ainsi, on assiste, en quelque sorte, à la démarche de recherche effectuée par Maxime Beauregard-Martin. On revisite ces moments de partage, souvent riches en émotion, au cours desquels il a fait la connaissance de ces femmes lumineuses qui se sont généreusement confiées à lui. Plusieurs segments d’archives illustrant d’anciennes conceptions populaires en lien avec le terme « vieille fille » (des vidéos en noir et blanc tirées de vox pop) viennent rehausser et ponctuer les propos des personnages, en plus de servir de transitions fluides entre leurs différents récits de vie.
Prouesse technique
La production s’avère incroyablement bien rodée. Les comédiennes font un travail époustouflant, non seulement dans leur interprétation juste et sensible des femmes ayant participé au projet, mais aussi dans l’exploit technique qu’elles accomplissent tout au long du spectacle (maniement des caméras, déplacement des décors et des accessoires, etc.). Elles relèvent, en effet, un défi de taille pour parvenir à donner autant à voir aux spectateurs et spectatrices. Les plans étudiés offrent des perspectives variées, que rend joliment l’éclairage, ainsi qu’une profondeur de champ qui ajoute au réalisme de la pièce. D’ailleurs, il est à mentionner que l’équipement audiovisuel est intégré avec brio au sein du spectacle et l’on ne ressent que très peu, voire pas du tout, la lourdeur des manipulations matérielles. Par exemple, lors de la scène où Jordan évoque ses amies mariées, les comédiennes déplacent les caméras en dansant, toutes festives, campées dans leur rôle respectif, comme s’il s’agissait d’une vidéo prise sur le vif lors d’une soirée. La subtilité et l’ingéniosité avec laquelle ont été insérés plusieurs titres de scènes méritent également d’être soulignées. L’un d’eux apparaît, notamment, sur un seau de mastic alors qu’un personnage refait le mur d’une chambre, tandis qu’un autre est inscrit sur un bout de papier qui flotte dans un aquarium.
Frédérique Bradet, Savina Figueras, Danielle LeSaux-Farmer, Éva Saïda et Sophie Thibault se révèlent pétillantes et dynamiques; leur jeu, vrai et captivant. Elles alternent entre leurs nombreux personnages (une future mère mono-parentale, une poète en dépression, une musulmane débitée par le malaise des Québécois à parler de religion, une universitaire gauchiste qui explore, avec fébrilité, sa bisexualité, etc.) sans le moindre fléchissement de rythme. Néanmoins, pourquoi l’ensemble des hommes représentés dans ce spectacle relèvent-ils de la totale caricature (à l’exception de l’auteur, interprété à tour de rôle par les comédiennes de la distribution) ? Ce choix nuit au réalisme autrement très convaincant de la pièce documentaire. Par ailleurs, pourquoi l’écriture du spectacle a-t-elle été confiée à une personne assignée homme, plutôt qu’à une personne assignée femme, alors que le sujet de l’œuvre est résolument féminin ? Si cet aspect est évoqué brièvement par le personnage de Maxime Beauregard-Martin, la réflexion de l’auteur à ce sujet n’est, finalement, jamais développée, bien qu’il aurait été pertinent qu’elle le soit.
Singulières nous offre des personnages vivants et attachants, que l’on présume respectueux des réalités des femmes à la source du projet. Les anecdotes choisies et le fil conducteur qu’a su tracer Maxime Beauregard-Martin entre celles-ci esquissent un portrait inédit des « vieilles filles » d’aujourd’hui, un portrait sensible qui démontre l’absurdité des stéréotypes traditionnels associés aux femmes célibataires âgées de 30 ans et plus. Le talent d’Alexandre Fecteau pour le théâtre documentaire se manifeste clairement dans la conception de Singulières. L’audacieuse et complexe forme hybride qu’il a donnée au spectacle mérite l’admiration, et l’énergie qui en déborde a certainement de quoi happer le public.
Singulières
Texte : Maxime Beauregard-Martin. Mise en scène : Alexandre Fecteau. Assistance à la mise en scène : Stéphanie Hayes. Décor : Ariane Sauvé. Costumes : Jeanne Lapierre. Coiffures et maquillages : Nathalie Simard. Musique : Stéphane Caron. Éclairages : Chantal Labonté. Vidéo : David B. Ricard. Habilleuse : Géraldine Rondeau. Régie générale : Keven Dubois. Régie de plateau : Abel Longuépée. Régie son : Nicolas Désy. Avec Frédérique Bradet, Savina Figueras, Danielle LeSaux-Farmer, Éva Saïda et Sophie Thibault. Une coproduction du Théâtre la Bordée, du collectif Nous sommes ici et de Théâtre Catapulte, présentée en webdiffusion jusqu’au 30 juin 2021.