Critiques

alterIndiens : Cultures et cohabitation

© Marie-Andrée Lemire

alterIndiens est une pièce écrite de Drew Hayden Taylor, Ojibwe de l’Ontario, et traduite en français par Charles Bender; une comédie discordante présentée par les Productions Menuentakuan où les personnages essaient de se comprendre, quoiqu’ils soient issus de différentes cultures, et réalisent vite qu’il n’est pas toujours si facile de faire cohabiter les visions de chacun·e lorsqu’il s’agit d’enjeux qui leur tiennent à cœur.

Le spectacle commence avec un dynamisme électrisant, alors que le personnage principal, Gabriel, joue de la guitare complètement nu. Gabriel est un jeune Algonquin qui a quitté les siens pour vivre pleinement sa vie d’auteur de science-fiction en ville, où il s’est amouraché d’une enseignante de littérature autochtone, d’origine juive, Corinne, une indian lover qui cherchera toujours à rapprocher Gabriel de sa culture et prendra notamment les devants en lui réservant une surprise : un souper d’ami·es avec deux anciennes connaissances avec qui il a grandi et un repas d’orignal. Un coup d’envoi réussi. Trois couples (car sont aussi présent·es la grande copine de Corinne et son conjoint) se partagent donc une scène bifrontale où l’on reproduira divers clichés, dont les questions convenues qui sont usuellement posées lors de rencontres entre Autochtones et allochtones, ce qui offre des situations où se côtoient malaise et drôlerie.

Les six convives auront des visions différentes à propos de ce que devrait être un·e membre des Premières Nations dans un monde moderne comme le nôtre. Gabriel, interprété par Étienne Thibeault, un ancien indian warrior qui était toujours au front pour revendiquer et se battre pour son peuple, a aujourd’hui mis son autochtonie de côté pour vivre en paix. Il sera harcelé à ce sujet durant la réunion, ce qui engendra des passages explosifs tels celui où il affrontera Corinne quant aux réelles raisons de leur attirance mutuelle. Par ailleurs, Yvonne Brazeau (jouée par la comédienne d’origine mexicaine Lesly Velázquez), éprise de vérité et ne craignant pas la confrontation, se fera une joie de s’en prendre à Corinne à propos de son amour démesuré envers la culture autochtone et nourrira l’intention de renouer avec Gabriel.

© Marie-Andrée Lemire

Yvonne est accompagnée par Bobby, qui aime lancer des débats, parler haut et fort, et qui fera une révélation choc en ce qui concerne un livre utilisé à l’université comme référence quant à la culture autochtone : plusieurs des histoires et des légendes qu’il contient sont issues de l’imaginaire de gamins (dont lui et Gabriel) qui les ont inventées et racontées à des chercheurs et chercheuses universitaires pour la somme de 50 $ par récit, étant donné que les aîné·es avaient autres choses à faire que d’exposer leur culture aux Blancs et Blanches venu·es les étudier. Une vérité qui bouleversera Corinne, ce livre étant au cœur de sa pratique professorale.

Entre tous ces échanges, le sujet du véganisme du couple de Dave et Michelle (les ami·es de Corinne), pour qui on cuisine de la lasagne végétalienne, amènera une pléthore d’arguments opposés sur les choix de vie des un·es et des autres qui iront jusqu’aux enjeux liés aux classes sociales. Bobby confronte même Michelle en lui disant que sa façon de mener son existence n’est pas meilleure de la leur et que la posture de supériorité morale qu’elle adopte est souvent utilisée pour dicter aux Autochtones comment ils et elles devraient vivre. Charles Buckell-Robertson, dans le rôle de Bobby, affiche une belle présence sur scène et un jeu d’acteur parfaitement naturel. Charles Bender, quant à lui, interprète avec brio l’hilarant Dave, qui perdra le contrôle devant un morceau tendre et juste assez croustillant d’orignal. L’idée de confier à un Autochtone le rôle d’un allochtone maladroit face à la culture des Premiers Peuples ajoute encore au comique du personnage.

Emportements et curiosité naïve

À travers tous les sujets touchés, les références (entre autres littéraires) citées et les enjeux évoqués, la pièce semble s’éparpiller un peu et on a parfois de la difficulté à saisir toutes les informations lancées, dont certaines plutôt importantes comme la notion d’alterindiens, tels que se définissent les comparses radicaux de Gabriel, soit des Autochtones abordant leur culture en priorisant la vérité, donc sans folkloriser la tradition et les enseignements. La confusion de l’ensemble est d’ailleurs accrue par le rythme rapide des discussions, celles-ci ayant cours dans une mise en scène distanciée et dans une scénographie plutôt désordonnée et froide.

De façon générale, la pièce est comique. Plusieurs scènes sont très amusantes, parmi lesquelles celle où Bobby répond avant même que Dave pose les questions d’usage sur le personnage de Wabo dans Les Pays d’en haut ou sur la crise d’Oka. C’est devenu un réflexe, dit-il. De plus, l’indian lover, interprétée par Violette Chauveau, nous montre la réalité des allochtones qui romantisent la culture des Premières Nations, qui en connaît plus sur celle-ci que les Autochtones eux-mêmes et elles-mêmes. Cela nous amène à réfléchir sur l’ouverture vis-à-vis d’autres cultures, qui peut presque mener certain·es jusqu’à l’appropriation culturelle ainsi qu’à diverses ratées… comme le livre de référence de Corinne, qui n’est qu’une illusion, le fruit d’une curiosité bien naïve.

© Marie-Andrée Lemire

alterindiens

Texte : Drew Hayden Taylor. Traduction : Charles Bender. Mise en scène : Xavier Huard. Conception sonore : Étienne Thibeault et Saali Keelan. Éclairages : Gonzalo Soldi. Assistance à la mise en scène et régie : Jasmine Kamruzzaman. Direction technique : Jean-Christian Gagnon. Direction de production : Alexandre Colpron. Scénographie et costumes : Xavier Mary et Meky Ottawa. Avec Marie-Josée Bastien, Charles Bender, Charles Buckell-Robertson, Violette Chauveau, Étienne Thibeault et Lesly Velázquez. Un spectacle des Productions Menuentakuan, présenté au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 27 septembre 2021.

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À propos de

Marjolaine Mckenzie possède une formation en théâtre et a joué dans plusieurs productions. Elle a fondé sa propre compagnie de théâtre en 2005, Papu Auass, qui veut dire enfant rieur en langue innue. Elle écrit des textes et s’implique dans la co-création de projets artistiques. Présentement, elle est stagiaire à la revue JEU.