Après le Théâtre Denise-Pelletier, en 2019, c’est au tour du Théâtre du Trident de présenter la pièce Le Meilleur des mondes de Guillaume Corbeil, d’après le roman d’Aldous Huxley, écrit en 1932. Cette fois, c’est Nancy Bernier qui en signe la mise en scène.
C’est dans une troublante atmosphère que le spectacle commence. Sur l’aire de jeu, on voit trois panneaux géants éclairés d’une lumière bleutée, ainsi que de multiples niveaux d’escaliers. Entre en scène de Bernard, un homme perturbé par l’attirance qu’il a pour Lenina, une femme froide et presque robotique. La résistance qu’elle oppose à ses avances ébranlera sa confiance en lui et affectera ses performances professionnelles. Dans un monde où les naissances sont contrôlées en les répartissant par classes sociales, et où tout est organisé pour que tous et toutes soient heureux et heureuses sans avoir à se poser de question, l’irruption de deux êtres venus des murs (lieu où les classes inférieures à celle des nobles vivent dans la misère) chamboulera la structure que la grande administratrice tient fermement à maintenir. John et sa mère Linda sortiront d’une fente du plancher de l’appartement de Bernard, qui craindra d’être puni pour cela. John, l’homme au nombril, qui n’a pas été conçu par éprouvette et façonné pour servir l’équilibre de cette société, deviendra célèbre après la dénonciation de Bernard. Chose certaine, cet événement sèmera le désordre dans cet univers presque parfaitement régulé.
Le protagoniste découvrira un monde déshumanisé, où les sensations sont circonscrites au « cinéma sensoriel » que lui fait connaître Lenina. Le virtuel représente l’espace quasi exclusif du plaisir, si bien que la réalité a perdu tout caractère vivant, organique, émoustillant. Lenina et John éprouveront une attirance mutuelle, mais tandis qu’elle aborde la sexualité de façon précipitée et sans intimité, il souhaite une connexion plus profonde qu’elle n’arrive même pas à concevoir. Dans un monde où tous les besoins sont identifiés et assouvis dans l’immédiat, le désir de Lenina deviendra tellement puissant qu’elle sera grandement déstabilisée lorsque John la repoussera.
Autre aspect où l’humanité de John se heurte à l’univers qu’il tente d’intégrer : la culture. Pour priver les citoyen·nes de l’accès aux connaissances, à la pensée et au libre arbitre, on électrocute les enfants qui veulent toucher aux livres, et qui deviennent donc des adultes plus obéissant·es et faciles à gérer. John montrera un livre de Shakespeare à Helmholtz, qui le regardera comme un objet dangereux. Finalement, ensemble, ils feront une lecture d’un extrait de Hamlet, qui transformera Helmholtz.
Fiction et réalité
Le Meilleur des mondes présente un univers de fiction, dystopique, qui, pourtant, semble tout près de notre réalité. La surconsommation, le mépris entre les classes sociales, le « soma » (un produit qui redonne le sourire et qui rappelle les médicaments actuels de l’industrie pharmaceutique du bonheur), les plaisirs virtuels qui peuvent nous éloigner des valeurs d’intimité comme Lenina, qui cumule les échanges sexuels sans aucune signification. En cette période de pandémie, alors que la technologie a pris une place énorme dans les relations et les activités, sans oublier les contrôles de sécurité autour du passeport vaccinal et les remises à l’ordre constantes du gouvernement, on se prend à se demander si l’univers décrit par Corbeil n’est pas celui qui nous attend d’un jour à l’autre. Heureusement, ces sujets si actuels sont abordés avec un certain humour absurde. Pensons à la scène où la mère de John meurt et où une femme lui dit qu’il aura un lit de plus maintenant, tout en pointant sur lui une grosse mitraillette pour qu’il s’éloigne du cadavre. Les différentes apparitions de la comédienne Sophie Thibeault, d’ailleurs, nous séduisent, vu sa capacité de se transformer en plusieurs personnages affichant tous un côté clownesque.
Au début du spectacle, la structure du texte et la mise en scène évoquent, sont le miroir du monde qu’elles veulent créer. Tout est organisé par sujets et séparé en tableaux. L’esthétique futuriste (dans les costumes, par exemple, très élégants pour les un·es, déchirés et aux couleurs ternes pour les autres, ce qui marque bien les écarts de classes) convient bien au spectacle, et les projections que l’on propose captivent. On y voit un décor de salon, une présentation à la façon d’un séminaire, un lieu comme le cinéma, un journaliste en direct, une salle de réception; les panneaux, qui servent d’écrans, sont bien utilisés. La disposition de la scène et la manière dont les comédien·nes se déplacent rappellent une usine de fabrication avec ses différents paliers, qui illustre l’idée des humain·es manufacturé·es de façon industrielle. La mise en place de la première partie est certes un peu longue et certains procédés, comme l’omniprésence des publicités, sont redondants. Quoi qu’il en soit, les métaphores que contient Le Meilleur des mondes ne manquent pas de nous faire réfléchir… et de nous effrayer.
Texte : Guillaume Corbeil. Mise en scène : Nancy Bernier. Assistance à la mise en scène : France Deslauriers. Scénographie : Amélie Trépanier. Costumes : Dominique Giguère. Éclairages : Denis Guérette. Musique : Olivier Auriol. Conception vidéo : Marilyn Laflamme et Frédéric Lacroix. Intégration vidéo : Marc Doucet. Son : François Leclerc. Maquillages : Nathalie Simard. Coiffures : Josée Brisson. Avec Ariane Bellavance-Fafard, David Bouchard, Simon Lepage, Vincent Paquette, Sophie Thibeault et Agnès Zacharie. Présenté au Théâtre du Trident jusqu’au 9 octobre 2021.
Après le Théâtre Denise-Pelletier, en 2019, c’est au tour du Théâtre du Trident de présenter la pièce Le Meilleur des mondes de Guillaume Corbeil, d’après le roman d’Aldous Huxley, écrit en 1932. Cette fois, c’est Nancy Bernier qui en signe la mise en scène.
C’est dans une troublante atmosphère que le spectacle commence. Sur l’aire de jeu, on voit trois panneaux géants éclairés d’une lumière bleutée, ainsi que de multiples niveaux d’escaliers. Entre en scène de Bernard, un homme perturbé par l’attirance qu’il a pour Lenina, une femme froide et presque robotique. La résistance qu’elle oppose à ses avances ébranlera sa confiance en lui et affectera ses performances professionnelles. Dans un monde où les naissances sont contrôlées en les répartissant par classes sociales, et où tout est organisé pour que tous et toutes soient heureux et heureuses sans avoir à se poser de question, l’irruption de deux êtres venus des murs (lieu où les classes inférieures à celle des nobles vivent dans la misère) chamboulera la structure que la grande administratrice tient fermement à maintenir. John et sa mère Linda sortiront d’une fente du plancher de l’appartement de Bernard, qui craindra d’être puni pour cela. John, l’homme au nombril, qui n’a pas été conçu par éprouvette et façonné pour servir l’équilibre de cette société, deviendra célèbre après la dénonciation de Bernard. Chose certaine, cet événement sèmera le désordre dans cet univers presque parfaitement régulé.
Le protagoniste découvrira un monde déshumanisé, où les sensations sont circonscrites au « cinéma sensoriel » que lui fait connaître Lenina. Le virtuel représente l’espace quasi exclusif du plaisir, si bien que la réalité a perdu tout caractère vivant, organique, émoustillant. Lenina et John éprouveront une attirance mutuelle, mais tandis qu’elle aborde la sexualité de façon précipitée et sans intimité, il souhaite une connexion plus profonde qu’elle n’arrive même pas à concevoir. Dans un monde où tous les besoins sont identifiés et assouvis dans l’immédiat, le désir de Lenina deviendra tellement puissant qu’elle sera grandement déstabilisée lorsque John la repoussera.
Autre aspect où l’humanité de John se heurte à l’univers qu’il tente d’intégrer : la culture. Pour priver les citoyen·nes de l’accès aux connaissances, à la pensée et au libre arbitre, on électrocute les enfants qui veulent toucher aux livres, et qui deviennent donc des adultes plus obéissant·es et faciles à gérer. John montrera un livre de Shakespeare à Helmholtz, qui le regardera comme un objet dangereux. Finalement, ensemble, ils feront une lecture d’un extrait de Hamlet, qui transformera Helmholtz.
Fiction et réalité
Le Meilleur des mondes présente un univers de fiction, dystopique, qui, pourtant, semble tout près de notre réalité. La surconsommation, le mépris entre les classes sociales, le « soma » (un produit qui redonne le sourire et qui rappelle les médicaments actuels de l’industrie pharmaceutique du bonheur), les plaisirs virtuels qui peuvent nous éloigner des valeurs d’intimité comme Lenina, qui cumule les échanges sexuels sans aucune signification. En cette période de pandémie, alors que la technologie a pris une place énorme dans les relations et les activités, sans oublier les contrôles de sécurité autour du passeport vaccinal et les remises à l’ordre constantes du gouvernement, on se prend à se demander si l’univers décrit par Corbeil n’est pas celui qui nous attend d’un jour à l’autre. Heureusement, ces sujets si actuels sont abordés avec un certain humour absurde. Pensons à la scène où la mère de John meurt et où une femme lui dit qu’il aura un lit de plus maintenant, tout en pointant sur lui une grosse mitraillette pour qu’il s’éloigne du cadavre. Les différentes apparitions de la comédienne Sophie Thibeault, d’ailleurs, nous séduisent, vu sa capacité de se transformer en plusieurs personnages affichant tous un côté clownesque.
Au début du spectacle, la structure du texte et la mise en scène évoquent, sont le miroir du monde qu’elles veulent créer. Tout est organisé par sujets et séparé en tableaux. L’esthétique futuriste (dans les costumes, par exemple, très élégants pour les un·es, déchirés et aux couleurs ternes pour les autres, ce qui marque bien les écarts de classes) convient bien au spectacle, et les projections que l’on propose captivent. On y voit un décor de salon, une présentation à la façon d’un séminaire, un lieu comme le cinéma, un journaliste en direct, une salle de réception; les panneaux, qui servent d’écrans, sont bien utilisés. La disposition de la scène et la manière dont les comédien·nes se déplacent rappellent une usine de fabrication avec ses différents paliers, qui illustre l’idée des humain·es manufacturé·es de façon industrielle. La mise en place de la première partie est certes un peu longue et certains procédés, comme l’omniprésence des publicités, sont redondants. Quoi qu’il en soit, les métaphores que contient Le Meilleur des mondes ne manquent pas de nous faire réfléchir… et de nous effrayer.
Le Meilleur des mondes
Texte : Guillaume Corbeil. Mise en scène : Nancy Bernier. Assistance à la mise en scène : France Deslauriers. Scénographie : Amélie Trépanier. Costumes : Dominique Giguère. Éclairages : Denis Guérette. Musique : Olivier Auriol. Conception vidéo : Marilyn Laflamme et Frédéric Lacroix. Intégration vidéo : Marc Doucet. Son : François Leclerc. Maquillages : Nathalie Simard. Coiffures : Josée Brisson. Avec Ariane Bellavance-Fafard, David Bouchard, Simon Lepage, Vincent Paquette, Sophie Thibeault et Agnès Zacharie. Présenté au Théâtre du Trident jusqu’au 9 octobre 2021.