Critiques

Les Eaux claires : Envoûtante Chloé Lacasse

© Sarah Seené

Sept ans après son deuxième opus, LUNES, l’autrice-compositrice-interprète Chloé Lacasse lance Les Eaux claires, un projet réunissant un album, un spectacle musicothéâtral et un livre d’art. Sur les planches de l’Espace GO, la créatrice présente une autofiction sur le deuil et les souvenirs de ses parents, mise en scène par son complice des premières heures Benoit Landry. Une collection de vignettes du quotidien qu’on pourrait être tenté de qualifier de banales, mais dont on réalise la valeur inestimable, une fois que la mort est passée.

En 2016, le père de Chloé Lacasse décède, une décennie après sa mère, l’un comme l’autre emporté·es par la maladie. L’artiste décide alors d’emménager dans la maison de son enfance et s’y retrouve envahie par des réminiscences de sa jeunesse, le plus souvent associées aux sens : l’odeur des plats mijotés, les rayons dorés qui entrent par les fenêtres du salon, les mélodies classiques et les voix des grands chanteurs français, les piles de bouquins dévorés par son père et sa mère, qui ont « tout lu ». Ce qui ne semble pas important sur le moment, ce que l’on ne photographie pas : les non-événements.

Le temps qui s’écoule n’efface en rien la tristesse éprouvée à la suite du départ de ces deux personnes aimantes et passionnées. Mais l’adoucissement de sa douleur inspire à l’artiste une œuvre intime, qui revêt toutefois un caractère universel, dans laquelle elle aborde entre autres les thèmes de l’enfance, de l’amour, de la maladie. Mue par une énergie « de rivière qui dégèle au printemps », Chloé Lacasse se hâte pour ne jamais oublier son père et sa mère, pour esquisser les contours de leurs visages qui deviennent flous, pour les faire revivre à travers des parcelles de mémoire, qu’elle rédige dans les rares instants libres dont elle dispose entre ses multiples projets solos ou collectifs. Ces années à travailler sur Les Eaux claires ont permis un recul salvateur, qui a donné naissance à une pièce musicale, théâtrale et filmique lumineuse, à des lieues de la noirceur qui nous enveloppe après la perte d’êtres chers.

© Sarah Seené

Captivant voyage dans le temps

Les moments les plus puissants de la représentation surviennent lorsque l’autrice-compositrice-interprète prend place au piano. Accompagnée sur scène par trois musiciens, la créatrice poursuit son récit de sa voix éthérée, toujours juste, avec une dizaine de chansons aux arrangements délicats, qui surprennent parfois avec quelques guitares plus appuyées, caractéristiques du rock ambiant qui parsème sa discographie. On mesure toute la force de son talent, indéniable, quand elle chante la dernière promenade au parc de ses parents amoureux ou l’annonce du diagnostic implacable, alors que les ami·es se sauvent face à l’adversité, comme « des crabes dans le sable devant le danger ».

Pour l’épauler, Chloé Lacasse a fait appel à son acolyte de longue date et fidèle collaborateur Benoit Landry, qui a codirigé avec Loui Mauffette le festif Chansons pour filles et garçons perdus, en plus de travailler à maintes reprises avec le Cirque Éloize et de mettre en scène l’émission de variété En direct de l’univers, à Ici Radio-Canada Télé. Pour Les Eaux claires, le duo a imaginé un enchaînement sobre, qui met en valeur la poésie simplement gracieuse de l’autrice. Nimbée pendant la majeure partie de la pièce d’un éclairage caressant, qui participe à l’ambiance feutrée de la salle, l’interprète pousse par moments la note sous des faisceaux verts, écarlates ou d’un jaune aveuglant, rappelant davantage les concerts pop-rock auxquels elle est habituée.

Sur scène se trouvent un énorme écran (tout au fond) ainsi que des étoffes ondoyantes, sur lesquels sont projetées des images tirées des archives familiales, mais également des photographies et des séquences vidéo élégantes signées Sarah Seené, qui feront l’objet d’un livre qui sera lancé prochainement. Quelque peu diaphanes, les supports de tissu créent parfois l’illusion que Chloé Lacasse arpente les plages bas-laurentiennes, que sa mère considérait comme un remède, ou qu’elle se tient sur le pas de la porte du dépanneur du quartier. Alliant le passé au présent, le noir et blanc à la couleur, ces scènes ajoutent une touche d’onirisme aux anecdotes de la vie de tous les jours qui nous sont narrées.

Empreintes de tendresse et ponctuées de quelques pointes d’humour mordant, Les Eaux claires de Chloé Lacasse, fruit de cinq ans de travail et d’un « deuil digéré », captivent et célèbrent de magnifique façon les petits bonheurs et l’amour familial. On sort de ce voyage dans le temps profondément ému et avec l’envie renouvelée de profiter de l’existence à chaque seconde.

Les Eaux claires

Texte, musique et interprétation : Chloé Lacasse. Mise en scène : Benoit Landry. Images : Sarah Seené. Musiciens sur scène : Guillaume Bourque, Vincent Carré et Marc-André Landry. Scénographie : Marilène Bastien. Éclairages : Alexis Bowles. Sonorisation : David Laurendeau. Intégration vidéo : Dominique Hawry. Une production de Nord Nord Est et de Quartier Général, en collaboration avec Espace GO, présentée à Espace GO jusqu’au 17 octobre 2021.