Critiques

Mononk Jules : Le résistant occulté

Peut-on raconter notre histoire, la populaire comme celle avec un grand H, sans parler de personnages tels que Michel Chartrand ou Louis Riel ? Difficile de passer sous silence l’apport des brillant·es entêté·es qui s’insurgent face à l’ordre, les conventions et les lois afin de défendre la dignité des opprimé·es. Et pourtant, qui connaît Jules Sioui ?

Basé sur l’essai du même nom paru en 2020, le spectacle documentaire Mononk Jules retrace le parcours de cet activiste oublié, militant wendat pour les droits des Premières Nations. Par la même occasion, l’auteur, idéateur, metteur en scène et interprète Jocelyn Sioui en profite pour amender l’Histoire.

Marie-Julie Garneau

Dans la famille de Jocelyn Sioui, on aime se raconter des anecdotes d’antan. Qu’elles soient drôles ou tristes, on les enjolive toujours un peu. Il y a la fois où un grand feu a détruit la maison des arrière-arrière-grands-parents une veille de Noël, forçant le clan à déménager vers Wendake. On parle aussi du grand-oncle Jules, épicier et barbier dans ce même village, qui bravait l’autorité et polarisait l’opinion de ses proches par ses actions militantes. Jocelyn Sioui porte ces récits en lui depuis l’enfance. Puis, un jour, surpris de lire un passage sur ce fameux « mononk » dans le roman La Femme qui fuit d’Anaïs Barbeau-Lavalette, il prend conscience qu’au-delà du mythe, il y a d’importants faits d’armes. Il décide donc d’enquêter et découvre un personnage multidimensionnel fascinant.

Jules Sioui s’exprimait avec franchise, mordant et intelligence. À même la petite maison qu’il occupait avec son épouse, il tapait à la machine des lettres d’opinion ou des revendications à l’intention de médias ou d’instances gouvernementales diverses. L’élément déclencheur de ses protestations a été le référendum sur la conscription pendant la Deuxième Guerre mondiale. On ne reconnaissait pas le droit aux membres des Premières Nations d’y participer et de se prononcer sur la question, mais on leur imposait le devoir d’aller se battre en Europe. Il a résisté, n’a pas gagné, mais aura fait la démonstration d’une incohérence et d’une injustice flagrantes.

Sans devenir politicien, Jules Sioui a laissé sa trace et a fait avancer la cause nationaliste autochtone. C’est lui qui, malgré la protestation des autorités, a réuni plus de 50 chefs, sages et activistes des Premiers Peuples au début des années 1950. Ce rassemblement donnera ensuite naissance à l’Assemblée des Premières Nations telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Ni la détention ni la privation ne l’effrayait. De grève de la faim en séjours en prison, il défendait les droits des sien·nes, dénonçant le système et le projet d’assimilation du gouvernement canadien. « Crois ou meurt » était la devise de Jules Sioui, qui semblait s’oublier à travers sa lutte puisque ses nombreux combats ont grandement affecté sa santé physique et mentale.

L’envers de la médaille

Dans ce théâtre documentaire, la vie de Jules Sioui nous est relatée en alternance avec des faits historiques remontant jusqu’à 1534. L’interprète, seul sur scène, nous offre une lecture différente de notre passé collectif. Il s’éloigne volontairement de ce qu’on apprend dans les manuels scolaires afin de placer les peuples autochtones au cœur de l’exposé. Dommage que ces allers-retours entre le parcours de cet homme intrigant et l’histoire du Canada freinent le rythme de la narration.

Marie-Julie Garneau

L’acteur est entouré de boîtes de rangement qu’il ouvre et transforme pour présenter différents univers composés de maquettes, d’archives, d’extraits de loi et de jugements. Il y sort aussi des marionnettes représentant Jules, sa femme et les divers antagonistes qui l’affrontent. Ces incarnations manquent de naturel, peut-être parce qu’elles surviennent trop tard ou sont trop peu présentes dans le documentaire. Derrière lui, des projections d’images, de vidéos et d’animations dynamiques soutiennent le récit. Le ton léger qu’emprunte Jocelyn Sioui dans cette production ponctuée d’humour ne sert pas toujours l’intensité dramatique du propos. Les moments d’émotion générés par des thématiques aussi puissantes en souffrent. Même si cet essai théâtral met en lumière et dénonce le côté tendancieux de l’histoire officielle, il ne ménage pas pour autant son personnage principal. Jules Sioui est dépeint tel qu’il était, preuves à l’appui, dans toute sa beauté et sa laideur. Abordant un sujet nécessaire et actuel, Mononk Jules est un spectacle surprenant et lucide qui soulève d’importantes questions sur la mémoire collective, la société et l’humanité.

Mononk Jules 

Texte, mise en scène, idéation et interprétation : Jocelyn Sioui. Direction technique, régie vidéo et vidéo en direct : Joshua Patoine. Direction de production, assistance à la mise en scène, régie éclairage et son : Ariane Roy et Achille Martineau. Scénographie, confection des marionnettes et des accessoires : Mélanie Baillairgé. Conception et composition sonore : Luzio Altobelli. Conception des éclairages : Mathieu Marcil. Conception vidéo : Gaspard Philippe. Une production du Théâtre Aux Écuries, en co-diffusion avec Casteliers, présentée au Théâtre Aux Écuries jusqu’au 6 novembre 2021.