Avec un sens aigu de l’autodérision, Adam Paolozza, directeur artistique de la compagnie Bad New Days, se livre à une réflexion douce-amère sur l’art du mime, au cœur de sa propre pratique. Créé en 2016 à Toronto, le spectacle s’inspire d’un triste événement : le suicide en 2003 d’un mime italien, accablé par la non-reconnaissance de son art.
Privilégiant, bien évidemment, le mouvement et la gestuelle d’un théâtre sans paroles, la pièce est constituée d’une suite de tableaux, accompagnés d’une narration hors champ en italien (dont est projetée une traduction en français et en anglais) et soutenus par un environnement sonore créé en direct par SlowPitchSound (Cheldon Paterson). Deux scènes ont toutefois recours aux dialogues, où Paolozza se moque des gens verbomoteurs aux propos superficiels : un talk-show et une fausse rencontre après-spectacle. Quant à la narration en italien, elle est, par opposition, laconique, lâchant de courtes assertions sur le mime et le mimétisme.
Si le personnage du mime en proie au désespoir finit par apparaître comme le fil rouge du spectacle, le long préambule musical du platiniste sur scène de même que les premiers tableaux, sans liens apparents, nous empêchent d’entrer dans le vif du sujet. Heureusement, la seconde moitié sauve le show, comme on dit, éclipsant cette faiblesse structurelle.
Drôle et désespéré
Autour de la figure de mime dépressif (Adam Paolozza), des personnages d’allure et de corps diversifiés – le très grand garçon élancé (Nicholas Eddie), l’agile petit barbu rondouillard (Rob Feetham), la femme à la menue silhouette de danseuse (Rose Tuong) – composent une étonnante parade d’acrobates suranné·es, en costumes d’usage : collant et léotard, collerette de dentelle ou bicorne, comme chez Picasso. Cette « famille de saltimbanques » campe tantôt des ami·es empathiques à la souffrance d’un des leurs, tantôt des animateurs et animatrices télé bavard·es et condescendant·es.
Ajoutant à ces clichés, le motif de la lune, récurrent et mélancolique, donne lieu à un clin d’œil historique. Devant une pleine lune projetée en fond de scène, Paolozza esquisse quelques pas de marche sur place, un hommage aux artistes du mime ayant inspiré le moonwalk popularisé par Michael Jackson : Étienne Decroux et Jean-Louis Barrault, dans Les Enfants du paradis, puis Marcel Marceau avec sa « Marche contre le vent ».
La scène du talk-show offre un contraste efficace au silence éloquent du mime. Invité à une émission de télévision qui le présente comme un personnage de foire (« And now : THE MIME ! »), l’artiste subit les questions oiseuses des trois animateurs et animatrices qui, du reste, n’attendent même pas qu’il réponde et l’étourdissent de leur bavardage creux, jusqu’à ce qu’il se mette à les imiter l’un après l’autre. Petits rires et malaise sur le plateau, auxquels on voudra vite mettre un terme en demandant à l’invité de mimer « La Boîte », numéro célébrissime où l’interprète prend à tâtons la mesure des cloisons invisibles qui l’entourent. Il s’exécutera à contrecœur, et sa performance donnera à voir son enfermement dans des stéréotypes tenaces. Son suicide apparaîtra dès lors libérateur, tel un grand envol, presque une fête, avec ses confettis de couleurs.
Au-delà des pointes humoristiques à propos de la dimension kitsch du mime, Adam Paolozza signale la beauté de celui-ci, rappelant qu’il est l’assise de tous les arts et que le mimétisme est indissociable de la nature humaine. D’ailleurs, précise-t-il avec une fausse prétention, lui-même n’emploie le mot Mime qu’avec une majuscule… Drôle et désespéré, l’effort de revalorisation qu’il déploie réussit à rendre le mime – l’art comme l’artiste – irrésistiblement sympathique.
Texte interprétation et mise en scène : Adam Paolozza. Co-mise en scène et dramaturgie : Kari Pederson. Création : Adam Paolozza, Rob Feetham, Viktor Lukawski, Miranda Calderon et Kari Pederson. Musique : Arif Mirabdolbaghi et SlowPitchSound (Cheldon Paterson). Lumières : Andre Du Toit. Scénographie, costumes et projections vidéo : Evgenia Mikhaylova, à partir d’un design original d’Allie Marshall (costumes) et d’Anahita Dehbonehie (scénographie et vidéo). Direction de plateau: Dylan Tate-Howarth. Avec Rob Feetham, Adam Paolozza, Rose Tuong et Nicholas Eddie. Une production de Bad New Days, présentée au Théâtre Aux Écuries jusqu’au 12 novembre 2021.
Avec un sens aigu de l’autodérision, Adam Paolozza, directeur artistique de la compagnie Bad New Days, se livre à une réflexion douce-amère sur l’art du mime, au cœur de sa propre pratique. Créé en 2016 à Toronto, le spectacle s’inspire d’un triste événement : le suicide en 2003 d’un mime italien, accablé par la non-reconnaissance de son art.
Privilégiant, bien évidemment, le mouvement et la gestuelle d’un théâtre sans paroles, la pièce est constituée d’une suite de tableaux, accompagnés d’une narration hors champ en italien (dont est projetée une traduction en français et en anglais) et soutenus par un environnement sonore créé en direct par SlowPitchSound (Cheldon Paterson). Deux scènes ont toutefois recours aux dialogues, où Paolozza se moque des gens verbomoteurs aux propos superficiels : un talk-show et une fausse rencontre après-spectacle. Quant à la narration en italien, elle est, par opposition, laconique, lâchant de courtes assertions sur le mime et le mimétisme.
Si le personnage du mime en proie au désespoir finit par apparaître comme le fil rouge du spectacle, le long préambule musical du platiniste sur scène de même que les premiers tableaux, sans liens apparents, nous empêchent d’entrer dans le vif du sujet. Heureusement, la seconde moitié sauve le show, comme on dit, éclipsant cette faiblesse structurelle.
Drôle et désespéré
Autour de la figure de mime dépressif (Adam Paolozza), des personnages d’allure et de corps diversifiés – le très grand garçon élancé (Nicholas Eddie), l’agile petit barbu rondouillard (Rob Feetham), la femme à la menue silhouette de danseuse (Rose Tuong) – composent une étonnante parade d’acrobates suranné·es, en costumes d’usage : collant et léotard, collerette de dentelle ou bicorne, comme chez Picasso. Cette « famille de saltimbanques » campe tantôt des ami·es empathiques à la souffrance d’un des leurs, tantôt des animateurs et animatrices télé bavard·es et condescendant·es.
Ajoutant à ces clichés, le motif de la lune, récurrent et mélancolique, donne lieu à un clin d’œil historique. Devant une pleine lune projetée en fond de scène, Paolozza esquisse quelques pas de marche sur place, un hommage aux artistes du mime ayant inspiré le moonwalk popularisé par Michael Jackson : Étienne Decroux et Jean-Louis Barrault, dans Les Enfants du paradis, puis Marcel Marceau avec sa « Marche contre le vent ».
La scène du talk-show offre un contraste efficace au silence éloquent du mime. Invité à une émission de télévision qui le présente comme un personnage de foire (« And now : THE MIME ! »), l’artiste subit les questions oiseuses des trois animateurs et animatrices qui, du reste, n’attendent même pas qu’il réponde et l’étourdissent de leur bavardage creux, jusqu’à ce qu’il se mette à les imiter l’un après l’autre. Petits rires et malaise sur le plateau, auxquels on voudra vite mettre un terme en demandant à l’invité de mimer « La Boîte », numéro célébrissime où l’interprète prend à tâtons la mesure des cloisons invisibles qui l’entourent. Il s’exécutera à contrecœur, et sa performance donnera à voir son enfermement dans des stéréotypes tenaces. Son suicide apparaîtra dès lors libérateur, tel un grand envol, presque une fête, avec ses confettis de couleurs.
Au-delà des pointes humoristiques à propos de la dimension kitsch du mime, Adam Paolozza signale la beauté de celui-ci, rappelant qu’il est l’assise de tous les arts et que le mimétisme est indissociable de la nature humaine. D’ailleurs, précise-t-il avec une fausse prétention, lui-même n’emploie le mot Mime qu’avec une majuscule… Drôle et désespéré, l’effort de revalorisation qu’il déploie réussit à rendre le mime – l’art comme l’artiste – irrésistiblement sympathique.
Suicide d’un mime à l’italienne
Texte interprétation et mise en scène : Adam Paolozza. Co-mise en scène et dramaturgie : Kari Pederson. Création : Adam Paolozza, Rob Feetham, Viktor Lukawski, Miranda Calderon et Kari Pederson. Musique : Arif Mirabdolbaghi et SlowPitchSound (Cheldon Paterson). Lumières : Andre Du Toit. Scénographie, costumes et projections vidéo : Evgenia Mikhaylova, à partir d’un design original d’Allie Marshall (costumes) et d’Anahita Dehbonehie (scénographie et vidéo). Direction de plateau: Dylan Tate-Howarth. Avec Rob Feetham, Adam Paolozza, Rose Tuong et Nicholas Eddie. Une production de Bad New Days, présentée au Théâtre Aux Écuries jusqu’au 12 novembre 2021.