Suzanne Lebeau n’a jamais sous-estimé la capacité du jeune public à saisir toutes les émotions humaines, n’hésitant pas à aborder dans ses textes des sujets tabous ou sombres, que ce soient le deuil (Trois petites sœurs), les enfants-soldats (Le Bruit des os qui craquent) ou les pulsions du mal (L’Ogrelet). Il était donc « naturel » – et rempli de promesses – qu’elle embrasse la tragédie d’Antigone : la mort et l’odeur putride des cadavres au soleil racontées aux enfants n’ont rien pour l’effrayer.
Au lieu de s’en tenir à la figure d’Antigone et aux valeurs qui l’opposent à son oncle Créon (rappelons que celui-ci a interdit la sépulture à son frère Polynice, après qu’Étéocle et lui, frères ennemis, se sont entretués), l’autrice entreprend de raconter également l’histoire de ses parents et de ses grands-parents. Dans ce choix, une tension dramatique se perd, car le récit élargi, servi en 60 minutes, est forcément mené sur un tempo allegro. Ce n’est ni le lieu ni le temps pour les épanchements ! Certes, il n’est pas inintéressant de rappeler qu’Antigone subit, en quelque sorte, les contrecoups de l’oracle de Delphes, ayant annoncé à Laïos et Jocaste que leur enfant tuerait son père et marierait sa mère. Mais dans les limites de ce spectacle s’adressant à des jeunes à partir de 10 ans, trop d’informations diluent le propos : la fuite d’Œdipe, l’énigme de la Sphinge, la peste… autant d’épisodes auxquels on alloue la même importance qu’à la décision d’Antigone d’enterrer son frère ou à celle de Créon de faire respecter sa loi et de condamner sa nièce.
Ponctuant le récit de questions philosophiques, le narrateur principal, interprété par Sasha Samar, interroge spectateurs et spectatrices sur les enjeux de la tragédie : faut-il suivre la loi de la cité ou celle de sa conscience ? En fin de compte, qui a gagné, de Créon ou d’Antigone, qui a le plus perdu ? C’est l’exercice de réflexion auquel Suzanne Lebeau convie ultimement le public.
Un bel écrin
Une aire de jeu circulaire, inclinée et couverte de sable évoque l’orchestra du théâtre grec, espace de terre battue où se tenait le chœur. Et, en effet, les interprètes (très justes, suivant le rythme exigeant qui leur est demandé) ne quittent jamais tout à fait leur rôle de conteur. Si Sasha Samar fait office de choreute, il partage la parole avec ses deux camarades de scène, Ludger Côté (Créon) et surtout Citlali Germé (Antigone), qui, à leur tour, racontent l’histoire sans la faire entendre à travers des dialogues. Bien sûr, ils et elle jouent en même temps les tableaux, et certains sont d’une grande force : une victime de la peste dont le corps est transporté (une bâche roulée remplie de sable crée une image frappante), le combat des frères ennemis, la sépulture apportée par Antigone à Polynice, et d’autres. Mais la narration constante et l’enchaînement des épisodes maintiennent un écart entre cette histoire et nous.
Pourtant, la mise en scène de Marie-Eve Huot est d’une tenue esthétique remarquable, avec sa scénographie dépouillée (Pierre-Étienne Locas), ses énergiques percussions (Nicolas Fortin) et ses superbes costumes (Linda Brunelle), texturés et chargés de sens, tel le manteau surdimensionné de Créon, illustrant son pouvoir. Elle fait appel également à divers médiums : des ombres chinoises sont utilisées pour le récit d’Œdipe et Jocaste, des figurines d’argile sont installées sur le plateau pour représenter les principaux protagonistes l’histoire, mais aussi le peuple de Thèbes, qui assiste au duel des deux frères. En outre, la metteure en scène a mis à profit le talent de danseuse de Citlali Germé : de ses élans fougueux, de sa gestuelle par moments spasmodiques, l’émotion, tout à coup, surgit; la comédienne confère ainsi de l’âme à une Antigone qui serait restée autrement plus écrite qu’incarnée.
En effet, en dépit de ce travail sur le mouvement, cette Antigone demeure paradoxalement statique, un peu réduite aussi, telle les figurines qui peuplent la scène. Tout se passe comme si elle se voyait à la fois tenue à distance par le parti pris narratif et perdue parmi les autres personnages, convoqués en raison du choix de faire remonter le récit jusqu’à l’oracle de Delphes, qui scella le destin de sa famille. Le spectacle constitue ainsi un bel écrin, mais pour une histoire qui ne nous « parle » pas autant qu’on l’aurait souhaité.
Texte : Suzanne Lebeau. Mise en scène : Marie-Eve Huot, assistée de Marjorie Bélanger. Scénographie : Pierre-Étienne Locas. Costumes : Linda Brunelle. Environnement sonore : Diane Labrosse. Conseiller musical : Pierre Tanguay. Éclairages : Dominique Gagnon. Coiffures et maquillages : Angelo Barsetti. Conseiller philosophique : Gilles Abel. Conseillère voix et diction : Émilie Dionne. Conseiller au mouvement : Jacques Poulin-Denis. Direction technique, régie plateau et interprétation musicale : Nicolas Fortin. Avec Ludger Côté, Citlali Germé et Sasha Samar. Une coproduction du Carrousel, compagnie de théâtre et du Théâtre Gilles-Vigneault, présentée à la Maison Théâtre jusqu’au 28 novembre 2021.
Suzanne Lebeau n’a jamais sous-estimé la capacité du jeune public à saisir toutes les émotions humaines, n’hésitant pas à aborder dans ses textes des sujets tabous ou sombres, que ce soient le deuil (Trois petites sœurs), les enfants-soldats (Le Bruit des os qui craquent) ou les pulsions du mal (L’Ogrelet). Il était donc « naturel » – et rempli de promesses – qu’elle embrasse la tragédie d’Antigone : la mort et l’odeur putride des cadavres au soleil racontées aux enfants n’ont rien pour l’effrayer.
Au lieu de s’en tenir à la figure d’Antigone et aux valeurs qui l’opposent à son oncle Créon (rappelons que celui-ci a interdit la sépulture à son frère Polynice, après qu’Étéocle et lui, frères ennemis, se sont entretués), l’autrice entreprend de raconter également l’histoire de ses parents et de ses grands-parents. Dans ce choix, une tension dramatique se perd, car le récit élargi, servi en 60 minutes, est forcément mené sur un tempo allegro. Ce n’est ni le lieu ni le temps pour les épanchements ! Certes, il n’est pas inintéressant de rappeler qu’Antigone subit, en quelque sorte, les contrecoups de l’oracle de Delphes, ayant annoncé à Laïos et Jocaste que leur enfant tuerait son père et marierait sa mère. Mais dans les limites de ce spectacle s’adressant à des jeunes à partir de 10 ans, trop d’informations diluent le propos : la fuite d’Œdipe, l’énigme de la Sphinge, la peste… autant d’épisodes auxquels on alloue la même importance qu’à la décision d’Antigone d’enterrer son frère ou à celle de Créon de faire respecter sa loi et de condamner sa nièce.
Ponctuant le récit de questions philosophiques, le narrateur principal, interprété par Sasha Samar, interroge spectateurs et spectatrices sur les enjeux de la tragédie : faut-il suivre la loi de la cité ou celle de sa conscience ? En fin de compte, qui a gagné, de Créon ou d’Antigone, qui a le plus perdu ? C’est l’exercice de réflexion auquel Suzanne Lebeau convie ultimement le public.
Un bel écrin
Une aire de jeu circulaire, inclinée et couverte de sable évoque l’orchestra du théâtre grec, espace de terre battue où se tenait le chœur. Et, en effet, les interprètes (très justes, suivant le rythme exigeant qui leur est demandé) ne quittent jamais tout à fait leur rôle de conteur. Si Sasha Samar fait office de choreute, il partage la parole avec ses deux camarades de scène, Ludger Côté (Créon) et surtout Citlali Germé (Antigone), qui, à leur tour, racontent l’histoire sans la faire entendre à travers des dialogues. Bien sûr, ils et elle jouent en même temps les tableaux, et certains sont d’une grande force : une victime de la peste dont le corps est transporté (une bâche roulée remplie de sable crée une image frappante), le combat des frères ennemis, la sépulture apportée par Antigone à Polynice, et d’autres. Mais la narration constante et l’enchaînement des épisodes maintiennent un écart entre cette histoire et nous.
Pourtant, la mise en scène de Marie-Eve Huot est d’une tenue esthétique remarquable, avec sa scénographie dépouillée (Pierre-Étienne Locas), ses énergiques percussions (Nicolas Fortin) et ses superbes costumes (Linda Brunelle), texturés et chargés de sens, tel le manteau surdimensionné de Créon, illustrant son pouvoir. Elle fait appel également à divers médiums : des ombres chinoises sont utilisées pour le récit d’Œdipe et Jocaste, des figurines d’argile sont installées sur le plateau pour représenter les principaux protagonistes l’histoire, mais aussi le peuple de Thèbes, qui assiste au duel des deux frères. En outre, la metteure en scène a mis à profit le talent de danseuse de Citlali Germé : de ses élans fougueux, de sa gestuelle par moments spasmodiques, l’émotion, tout à coup, surgit; la comédienne confère ainsi de l’âme à une Antigone qui serait restée autrement plus écrite qu’incarnée.
En effet, en dépit de ce travail sur le mouvement, cette Antigone demeure paradoxalement statique, un peu réduite aussi, telle les figurines qui peuplent la scène. Tout se passe comme si elle se voyait à la fois tenue à distance par le parti pris narratif et perdue parmi les autres personnages, convoqués en raison du choix de faire remonter le récit jusqu’à l’oracle de Delphes, qui scella le destin de sa famille. Le spectacle constitue ainsi un bel écrin, mais pour une histoire qui ne nous « parle » pas autant qu’on l’aurait souhaité.
Antigone sous le soleil de midi
Texte : Suzanne Lebeau. Mise en scène : Marie-Eve Huot, assistée de Marjorie Bélanger. Scénographie : Pierre-Étienne Locas. Costumes : Linda Brunelle. Environnement sonore : Diane Labrosse. Conseiller musical : Pierre Tanguay. Éclairages : Dominique Gagnon. Coiffures et maquillages : Angelo Barsetti. Conseiller philosophique : Gilles Abel. Conseillère voix et diction : Émilie Dionne. Conseiller au mouvement : Jacques Poulin-Denis. Direction technique, régie plateau et interprétation musicale : Nicolas Fortin. Avec Ludger Côté, Citlali Germé et Sasha Samar. Une coproduction du Carrousel, compagnie de théâtre et du Théâtre Gilles-Vigneault, présentée à la Maison Théâtre jusqu’au 28 novembre 2021.