Comment oublier ce moment envoûtant alors qu’enfant, au pied du sapin, on s’apprête à déchirer frénétiquement le coloré papier qui recouvre notre présent ? C’est un peu dans cet état d’esprit qu’on prend place dans la salle Wilfrid-Pelletier pour assister à cette version inédite de Casse-Noisette, ce classique des Grands Ballets. En effet, cette année, pandémie oblige, la direction a dû rapidement s’ajuster à la situation sanitaire qui ne permettait pas de présenter un spectacle impliquant des enfants de moins de 12 ans. C’est donc une œuvre amputée de son premier acte qui nous est offerte. Pour combler la partie initiale, on nous propose un nouveau conte : Cadeau enchanté. Malheureusement, force est d’admettre que cette chorégraphie créée dans l’urgence, par le directeur artistique Ivan Cavallari, manque de magie.

Le synopsis était pourtant prometteur. Le professeur Nicholas, confectionneur de jouets, décide de donner vie à ses créations pour que les enfants aient des étrennes inoubliables. Ainsi, la veille de Noël, sous l’impulsion prodigieuse de leur concepteur, Pinocchio, Arlequin, Colombine, le Chat Botté, Coppélia et compagnie jaillissent de leur boîte respective et se mettent à danser sous l’œil émerveillé de leur créateur. Mais la fête est de courte durée, car les méchantes sorcières, Brunilda et Matilda, mettent un terme à l’enchantement. À l’insu de Nicholas, endormi, elles soutirent le souffle de vie qui habite les personnages animés pour les ramener à leur statut de simples jouets et les dérobent. À son réveil, constatant l’absence de ses protégé·es, l’artisan est dévasté. Mais heureusement, une poupée nommée Amour, habitée par les âmes de tous les autres joujoux, vient le consoler.
Cette proposition, séduisante sur papier, passe difficilement la rampe de la réalisation. Dès le lever de rideau, il y a désappointement; le décor n’enchante guère. Un amoncellement d’immenses boîtes enrubannées et quelques arbres de Noël peu impressionnants à l’arrière-scène en constituent l’essentiel. Après un départ canon saisissant, soit l’apparition pétaradante des jouets appuyée de jets de confettis scintillants, la suite s’avère des plus décevantes. La trame narrative n’est pas très explicite, surtout pour un jeune public; la motivation du professeur n’étant pas claire et les personnages délaissant trop rapidement leur identité de jouet mécanique. De plus, les danses convenues ne surprennent pas. Et la musique de Heitor Villa-Lobos, assurément magnifique, est toutefois empreinte d’une mélancolie qui ne convient pas du tout au récit qui se veut fantastique. Enfin, l’arrivée des sorcières intrigue peu. Leur caractère maléfique est dilué dans un élan chorégraphique plutôt bouffon et incohérent. Leur tenue qui rappelle maladroitement le costume de l’oncle Drosselmeyer ne représente finalement qu’un lien ténu avec le deuxième acte. Le dénouement précipité et l’invitation racoleuse des deux vilaines à applaudir leur prestation ne font qu’accentuer une impression de bâclage inacceptable. Rare moment d’émotion : l’interprétation inusitée de la Bachianas Brasileiras no 5 de Villa-Lobos par la soprano Catherine St-Arnaud.
Retrouver les bons vieux chaussons
Au retour de l’entracte, la magie nous habite enfin. La deuxième partie du ballet Casse-Noisette prend son élan. Le Voyage de Clara au Royaume des friandises est éblouissant. Accueilli·es avec enthousiasme par le sympathique roi Bonbon, la principale invitée au palais de Confiturembourg et le public se délectent des danses aussi exquises les unes que les autres, soutenues par les rythmes célèbres de Piotr Ilitch Tchaïkovski. On retiendra entre autres, une savoureuse prestation des mirlitons, un Café d’Arabie et un Thé de Chine particulièrement inspirés. La précision technique des doubles cabrioles, des grands jetés, des pirouettes fouettées et des gracieuses arabesques est époustouflante. Les variations et pas de deux de la Fée Dragée et de son cavalier conjuguent habilement performance et finesse. Autant d’éléments qui font de la chorégraphie de Fernand Nault un incontournable spectacle du temps des Fêtes qui nous l’espérons, nous reviendra l’an prochain, dans son intégralité, comme le veut la tradition.
Cadeau enchanté
Chorégraphie : Ivan Cavallari. Musique : Heitor Villa-Lobos. Direction musicale de l’Orchestre des Grands Ballets : Airat Ichmouratov / Andrei Feher. Décors : Ivan Cavalleri. Costumes : Ivan Cavalleri. Éclairages : Marc Parent. Avec les danseurs et danseuses des Grands Ballets.
Casse-Noisette, Le Voyage de Clara
Chorégraphie : Fernand Nault. Musique : Piotr Ilitch Tchaïkovski. Direction musicale de l’Orchestre des Grands Ballets : Airat Ichmouratov / Andrei Feher. Décors : Peter Horne. Costumes : François Barbeau. Éclairages : Nicholas Cernovitch. Avec les danseurs et danseuses des Grands Ballets. Une production des Grands Ballets présentée à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts jusqu’au 28 décembre 2021.
J’ai vu cette production le 12 décembre dernier avec ma fille et mes petites-filles et je partage entièrement l’avis de ce critique. Quelle déception que cette 1re partie qui n’établit pas de lien évident avec le Voyage de Clara! 🙁