Critiques

L’Âge du consentement : Autopsie d’actes impensables

L’œuvre de Peter Morris, mise en scène par Philippe Gauthier, s’inspire d’un fait réel survenu en Angleterre, en 1993, soit le meurtre d’un enfant de 2 ans commis par deux garçons de 10 ans. Face à une horreur de cette intensité, le public peut s’attendre à sortir du Théâtre Prospero bouleversé par cette production du Théâtre de la Pièce cassée. C’est donc hanté·es par cette appréhension qu’on se faufile dans une salle sombre et intime où le spectacle semble déjà commencé. Assise devant un triptyque de miroirs, faisant office de seul décor, une jeune femme tue le temps en fixant le vide, comme on le fait à un arrêt de bus ou sur le quai d’un métro. Les lumières s’éteignent et se rallument. Le personnage de Stéphanie s’anime alors pour expliquer comment elle entend faire de sa fille de 6 ans une actrice. Cette intrigante mère monoparentale fait rire par sa légèreté et son incohérence, qui frôlent la caricature. Assez rapidement, néanmoins, l’effroi remplace l’humour lorsqu’on sent son incapacité à comprendre l’abomination de ce qu’elle veut imposer à son enfant. Elle ne voit pas, non plus, juste devant elle, le mur sur lequel elle s’apprête à se fracasser.

Vincent Morreale

Un autre monologue suit le premier, celui de Timmy, qui dépeint sa morne vie d’adolescent en centre de détention. Hanté par son crime, puisqu’il est l’un de meurtriers, il peine à envisager un futur. On rigole beaucoup moins, ici. Sa réadaptation, une longue et douloureuse traversée, lui laisse des stigmates aussi profonds que ceux produits par sa terrible faute.

Les deux personnages vont et viennent, à tour de rôle, exposer leur quête et leur passé, récits d’enfances brisées où s’entremêlent l’aliénation parentale, la négligence, l’inconduite et, pour couronner le tout, une violence pure et fatale.

Opposés complémentaires

Créée en 2001, à Édimbourg, l’œuvre de Peter Morris sème aussitôt la controverse. On souligne la qualité du texte et l’on défend la liberté d’expression. Par contre, on conteste son choix d’évoquer ce cruel drame par la voix de l’un des coupables, démystifiant ainsi le caractère monstrueux qu’on lui attribuait depuis la tragédie. Plus de 20 ans plus tard, et dans une production québécoise, le sujet qui a ébranlé tout un pays devient un fait divers morbide dont la portée est quelque peu diluée. L’événement auquel réfèrent les monologues de Timmy ne fera pas réagir autant qu’au Royaume-Uni à l’époque de sa création. Dans le contexte d’alors, les mots de l’auteur ont eu un effet explosif, mais la présente version soulève davantage une réflexion sur la nature humaine et ses travers. Le metteur en scène Philippe Gauthier trouvait pertinent d’offrir une relecture de cette pièce, jouée pour la première fois en français. Il voulait y explorer la rage, la résilience, la tristesse et la force des enfants de la DPJ, à qui il dédie la production. Sur la scène, la transposition de sa vision est présente grâce au personnage de l’adolescent.

Vincent Morreale

Car le texte va bien au-delà du drame anglais. L’auteur oppose plusieurs enjeux par les soliloques parallèles de Timmy et de Stéphanie. Les deux univers se répondent et se complètent, comme l’aurore et le crépuscule, l’origine et l’aboutissement. La jeune femme cherche à sortir du lot alors que l’adolescent aimerait se fondre dans la masse et se faire oublier. On comprend comment s’installe la dynamique de négligence et de sévices répétitifs, tout autant qu’on saisit où mènent ces comportements irascibles et dévastateurs. Stéphanie et sa fille s’enlisent insidieusement dans un cercle vicieux pendant que Timmy met tous les efforts qu’il peut pour s’en extirper.

Grâce aux trois miroirs disposés en paravent, le public se voit observer la scène. Spectateurs et spectatrices deviennent ainsi des témoins passifs de l’horreur exposée. Cette référence directe à la majorité silencieuse de notre société aurait gagné à être exploitée plus à fond afin de coller davantage au propos. Si la mise en scène, conventionnelle bien qu’efficace, accorde trop peu de place à l’émotion, les prestations d’Isabeau Blanche et de Dominik Dagenais ne laissent pas indifférent·e. La première propose une magnifique montée dramatique toute en justesse dans les souliers à semelles compensées d’une inconsciente assaillante en devenir. Le second, plus immuable, ne manque pas d’intensité et atteint sa cible en donnant vie à un Timmy à la fois touchant et inquiétant. Bien que la production ne provoque pas de malaises équivalents au terrible fait divers qui a inspiré le récit, on aurait tout intérêt à ne pas la bouder. On y assiste pour le propos, toujours d’actualité, comme pour la performance éminente des deux interprètes.

L’Âge du consentement

Texte : Peter Morris. Traduction : Serge Mandeville. Mise en scène : Philippe Gauthier. Conseils dramaturgiques : Linda Wilscam. Scénographie et costumes : Floriane Vachon. Conception sonore : Diego Bermudez Chamberland. Lumières : Isaac Béliveau. Avec Isabeau Blanche et Dominik Dagenais. Une production du Théâtre de la Pièce cassée, présentée au Théâtre Prospero jusqu’au 19 février 2022.