Dans un tableau d’ouverture à la beauté vespérale, une femme se démaquille. Le geste est précis, la lotion, tonique. Même pour aller se coucher, tout est question de masque dans cette création de Stéphanie Jasmin, âpre portrait interprété par Julie Le Breton à plusieurs âges de la vie.
En sous-couche, Les Dix Commandements de Dorothy Dix sont avant tout une réflexion sur le bonheur et les moyens de l’atteindre. Ou pas. C’est le monologue implacable d’une femme malheureuse qui essaie d’être conforme à ce que l’on attend d’elle, à ce qu’exigent les événements, les conventions sociales… Sa vacuité existentielle semble avoir germé entre la tyrannie des apparences et les diktats de la société.
Inutile de le cacher plus longtemps : aussi ciselée et poétique soit-elle, la pièce reste quand même extrêmement noire et déprimante. Le contexte actuel aura-t-il modifié notre niveau de tolérance en ce qui concerne les sujets plombants ? Hormis le Cirque Éloize et son cabaret Céleste, la rentrée théâtrale navigue entre viol, inceste, toxicomanie, maltraitance infantile, suicide…n’en jetez plus, de grâce !
Dans un solo d’une heure et quart, la comédienne Julie Le Breton réussit néanmoins l’exploit d’incarner à elle toute seule la Fille, l’Épouse, la Mère, tous ces états qui sont « causes du bonheur », comme l’énonçait, dans un autre siècle, la baronne Staffe dans le sous-titre d’un guide de la vie domestique, qui trouva son pendant aux États-Unis avec Dorothy Dix. La chroniqueuse américaine prodiguait ses recettes d’un vertueux destin féminin dans les colonnes d’un journal dont on rirait aujourd’hui. Quoique.
La représentation de soi
Dévouement, altruisme, bonne humeur… 10 préceptes jalonnent le spectacle (les titres en anglais auraient pu être traduits), comme autant de bornes servant à mesurer la distance entre la perfection et la réalité. Le personnage se juge « toujours au bord d’être parfaite », et l’on ne peut s’empêcher de penser à une précédente création de la compagnie UBU, il y a une dizaine d’années, Jackie, autre pantin féminin obnubilé par les apparences. Cette référence se glisse d’ailleurs subrepticement dans le monologue avec la mention qui est faite au clan Kennedy, parangon de la perfection. À une décennie d’intervalle, les deux créations d’UBU se font indéniablement écho en choisissant des figures féminines pour qui il est essentiel de prendre soin de son image dans l’espoir de plaire à autrui et d’avoir ainsi la possibilité de construire son histoire. Encore une question de représentation…
La complicité de longue date entre Denis Marleau et Stéphanie Jasmin est flagrante dans cette dernière collaboration. Mise en scène et scénographie jouent avec brio sur la notion de profondeur de champ. Même le montage narratif brise la chronologie usuelle, revenant périodiquement en arrière dans l’existence de cette héroïne ordinaire arrivée au crépuscule de la vie, sans qu’il soit pour autant question de flash-backs. Les transitions entre les âges offrent quelques fulgurances bien trouvées. Jamais l’exercice ne paraît forcé, même si la comédienne s’exprime sur un ton monocorde pour convoquer la nonagénaire.
Mais le plus éloquent, dans le jeu des perspectives, c’est certainement la vidéo, projetée sur trois écrans, d’un lent travelling le long d’une plage, en direction d’une jetée. Les métaphores marines s’imposent d’elles-mêmes, entre le ressac d’une vie passée complètement à côté du bonheur et l’écume des regrets…
L’autrice ne nous vend pas de solutions personnelles comme panacée. Elle nous invite plutôt à ne pas oublier que, si nous sommes en effet prisonniers et prisonnières des rôles que la vie nous contraint à endosser, rien ne nous empêche de nous illustrer aussi dans le rôle de spectateur ou de spectatrice critique de ce théâtre.
Texte, vidéo et scénographie : Stéphanie Jasmin. Mise en scène : Denis Marleau. Assistance à la mise en scène : Carol-Anne Bourgon Sicard. Lumières : Étienne Boucher. Musique : Denis Gougeon. Costumes : Linda Brunelle. Maquillages et coiffures : Sylvie Rolland Provost. Diffusion et montage vidéo : Pierre Laniel. Design sonore : François Thibault. Assistance au décor : Marine Plasse. Direction technique et direction de production : Mélissa Perron. Avec Julie Le Breton. Une production d’Ubu compagnie de création, en collaboration avec l’Espace Go et le Théâtre national de la Colline, présentée à l’Espace Go jusqu’au 27 février 2022.
Dans un tableau d’ouverture à la beauté vespérale, une femme se démaquille. Le geste est précis, la lotion, tonique. Même pour aller se coucher, tout est question de masque dans cette création de Stéphanie Jasmin, âpre portrait interprété par Julie Le Breton à plusieurs âges de la vie.
En sous-couche, Les Dix Commandements de Dorothy Dix sont avant tout une réflexion sur le bonheur et les moyens de l’atteindre. Ou pas. C’est le monologue implacable d’une femme malheureuse qui essaie d’être conforme à ce que l’on attend d’elle, à ce qu’exigent les événements, les conventions sociales… Sa vacuité existentielle semble avoir germé entre la tyrannie des apparences et les diktats de la société.
Inutile de le cacher plus longtemps : aussi ciselée et poétique soit-elle, la pièce reste quand même extrêmement noire et déprimante. Le contexte actuel aura-t-il modifié notre niveau de tolérance en ce qui concerne les sujets plombants ? Hormis le Cirque Éloize et son cabaret Céleste, la rentrée théâtrale navigue entre viol, inceste, toxicomanie, maltraitance infantile, suicide…n’en jetez plus, de grâce !
Dans un solo d’une heure et quart, la comédienne Julie Le Breton réussit néanmoins l’exploit d’incarner à elle toute seule la Fille, l’Épouse, la Mère, tous ces états qui sont « causes du bonheur », comme l’énonçait, dans un autre siècle, la baronne Staffe dans le sous-titre d’un guide de la vie domestique, qui trouva son pendant aux États-Unis avec Dorothy Dix. La chroniqueuse américaine prodiguait ses recettes d’un vertueux destin féminin dans les colonnes d’un journal dont on rirait aujourd’hui. Quoique.
La représentation de soi
Dévouement, altruisme, bonne humeur… 10 préceptes jalonnent le spectacle (les titres en anglais auraient pu être traduits), comme autant de bornes servant à mesurer la distance entre la perfection et la réalité. Le personnage se juge « toujours au bord d’être parfaite », et l’on ne peut s’empêcher de penser à une précédente création de la compagnie UBU, il y a une dizaine d’années, Jackie, autre pantin féminin obnubilé par les apparences. Cette référence se glisse d’ailleurs subrepticement dans le monologue avec la mention qui est faite au clan Kennedy, parangon de la perfection. À une décennie d’intervalle, les deux créations d’UBU se font indéniablement écho en choisissant des figures féminines pour qui il est essentiel de prendre soin de son image dans l’espoir de plaire à autrui et d’avoir ainsi la possibilité de construire son histoire. Encore une question de représentation…
La complicité de longue date entre Denis Marleau et Stéphanie Jasmin est flagrante dans cette dernière collaboration. Mise en scène et scénographie jouent avec brio sur la notion de profondeur de champ. Même le montage narratif brise la chronologie usuelle, revenant périodiquement en arrière dans l’existence de cette héroïne ordinaire arrivée au crépuscule de la vie, sans qu’il soit pour autant question de flash-backs. Les transitions entre les âges offrent quelques fulgurances bien trouvées. Jamais l’exercice ne paraît forcé, même si la comédienne s’exprime sur un ton monocorde pour convoquer la nonagénaire.
Mais le plus éloquent, dans le jeu des perspectives, c’est certainement la vidéo, projetée sur trois écrans, d’un lent travelling le long d’une plage, en direction d’une jetée. Les métaphores marines s’imposent d’elles-mêmes, entre le ressac d’une vie passée complètement à côté du bonheur et l’écume des regrets…
L’autrice ne nous vend pas de solutions personnelles comme panacée. Elle nous invite plutôt à ne pas oublier que, si nous sommes en effet prisonniers et prisonnières des rôles que la vie nous contraint à endosser, rien ne nous empêche de nous illustrer aussi dans le rôle de spectateur ou de spectatrice critique de ce théâtre.
Les Dix Commandements de Dorothy Dix
Texte, vidéo et scénographie : Stéphanie Jasmin. Mise en scène : Denis Marleau. Assistance à la mise en scène : Carol-Anne Bourgon Sicard. Lumières : Étienne Boucher. Musique : Denis Gougeon. Costumes : Linda Brunelle. Maquillages et coiffures : Sylvie Rolland Provost. Diffusion et montage vidéo : Pierre Laniel. Design sonore : François Thibault. Assistance au décor : Marine Plasse. Direction technique et direction de production : Mélissa Perron. Avec Julie Le Breton. Une production d’Ubu compagnie de création, en collaboration avec l’Espace Go et le Théâtre national de la Colline, présentée à l’Espace Go jusqu’au 27 février 2022.