Pour ce premier texte porté sur scène, Émilie Lajoie ajoute sa pierre aux réflexions collectives sur la maternité. Un thème très présent dans les productions culturelles des dernières années, surtout en littérature. L’autrice, qui tient également le rôle principal, propose, quant à elle, un regard sur l’infertilité féminine.
« Alors la question de ma fertilité est restée encore longtemps dans mon horizon, comme la trace d’un moustique heurté sur une autoroute menant vers le nord. », écrit Catherine Voyer-Léger dans la nouvelle qu’elle a publié dans le recueil collectif Nullipares, dirigé par Claire Legendre. Le personnage de Pascale se retrouve devant la même fatalité, tandis qu’avec son conjoint Martin, campé par Simon Rousseau, elle désire fonder une famille.
Dans ce texte, on aborde le sujet selon une perspective très intime. Ce parti pris implique qu’on évacue, volontairement sans doute, beaucoup d’éléments. Par exemple, lorsqu’on parle d’infertilité, on pourrait s’attendre à ce que soit évoquée la procréation assistée ou l’adoption (deux enjeux qui ne sont soulevés que rapidement, au détour d’un dialogue) ainsi que le parcours médical éreintant et onéreux. Toutefois, on se concentre plutôt, ici, sur le traumatisme de voir un choix nous être enlevé. Émilie Lajoie circoncit le portrait de son personnage à sa relation avec son deuil et, ultimement, avec son processus vers la guérison.
D’ailleurs, la scénographie illustrant une chambre à coucher, lieu principal de tous les échanges, soutient cette idée de cheminement intérieur, qui concerne le couple meurtri, bien entendu, mais avant tout Pascale, qui doit se redéfinir. Est-elle encore féminine, est-elle encore assez ? Il s’agit de se reconstruire face à son corps qui échoue à sa tâche, dite naturelle. Ce rapport aurait pu être plus exploité dans la narration, comme dans la mise en scène. Une heure passe vite lorsqu’on navigue dans un sujet si large.
Naviguer. C’est bien la sensation qui est transmise lorsqu’on observe Pascale qui se perd dans ses pensées, dans les silences qui accueillent le désarroi, dans l’obscurité de certaines scènes où on devine que les corps disent tout grâce au langage non verbal, dans la distance qui se crée avec son amoureux et, en quelque sorte, avec le reste du monde.
L’intime et l’espace public
Dans son chemin vers l’acceptation, Pascale examine, à travers ses monologues, le rôle maternel sans lequel, soi-disant, les femmes ne pourraient pas être complètes. Ce que lui rappelle sa belle-mère (Sylvie Potvin) à grands coups de maladresses, malgré ses bonnes intentions.
Il y a aussi ce phénomène des mères parfaites qui, par la performance de leur maternité sur les réseaux sociaux, peuvent contribuer, dans une certaine mesure, à renforcer cet écosystème excluant les femmes qui, par choix ou non, n’ont pas de progéniture. Entre ses séances de rédaction de listes des choses qu’elle pourrait faire sans enfants, Pascale passe beaucoup de temps, en bonne jeune trentenaire, à consommer du contenu numérique, en lien avec son obsession du moment. Elle reprend à voix haute des propos de mères blogueuses, et les microagressions, volontaires ou non, présentes dans ces extraits, sont bien évidentes.
Dans la salle intime du Théâtre Prospero, on a installé un rideau transparent entre le public et la scène, comme si l’on regardait l’évolution de l’histoire à travers un filtre. Comme si le public représentait ce regard social, bienveillant ou non, qui se dépose sur la nullipare. Encore plus sur celle qui veut, mais qui ne peut pas.
Pourtant, il ne s’agit pas d’une pièce exploitant la polémique, mais plutôt d’une œuvre qui s’attarde avant tout à la douleur de la perte, à la transformation des relations sociales dans l’adversité, à la revalorisation de soi à contre-courant de que la société continue de promouvoir, malgré le fait que la parole se libère de plus en plus.
La proposition d’Émilie Lavoie rassemble tous les éléments d’un spectacle sensible, porté par une distribution habitée et convaincante, mais elle manque l’occasion d’aller creuser certaines questions. D’ailleurs, l’une d’entre elles reste en suspens : pourquoi ce couple veut-il des enfants ? Comment parler de perte si on fait abstraction des raisons viscérales qui nourrissent ce désir ? On garde l’impression que tout est allé très vite et que certains sujets sont restés en surface.
Texte : Émilie Lajoie. Mise en scène : Sophie Cadieux. Conseils à la création : Sophie Cadieux, Félix Beaulieu-Duchesneau et Jean-François Nadeau. Assistance à la mise en scène : Gabrielle Noumeir-Gagnon. Éclairages : Martin Sirois. Décor et costumes : Daniel Séguin. Avec Émilie Lajoie, Sylvie Potvin et Simon Rousseau. Une production de Production Émilie Lajoie, présentée à la salle intime du Théâtre Prospero jusqu’au 19 mars 2022.
Pour ce premier texte porté sur scène, Émilie Lajoie ajoute sa pierre aux réflexions collectives sur la maternité. Un thème très présent dans les productions culturelles des dernières années, surtout en littérature. L’autrice, qui tient également le rôle principal, propose, quant à elle, un regard sur l’infertilité féminine.
« Alors la question de ma fertilité est restée encore longtemps dans mon horizon, comme la trace d’un moustique heurté sur une autoroute menant vers le nord. », écrit Catherine Voyer-Léger dans la nouvelle qu’elle a publié dans le recueil collectif Nullipares, dirigé par Claire Legendre. Le personnage de Pascale se retrouve devant la même fatalité, tandis qu’avec son conjoint Martin, campé par Simon Rousseau, elle désire fonder une famille.
Dans ce texte, on aborde le sujet selon une perspective très intime. Ce parti pris implique qu’on évacue, volontairement sans doute, beaucoup d’éléments. Par exemple, lorsqu’on parle d’infertilité, on pourrait s’attendre à ce que soit évoquée la procréation assistée ou l’adoption (deux enjeux qui ne sont soulevés que rapidement, au détour d’un dialogue) ainsi que le parcours médical éreintant et onéreux. Toutefois, on se concentre plutôt, ici, sur le traumatisme de voir un choix nous être enlevé. Émilie Lajoie circoncit le portrait de son personnage à sa relation avec son deuil et, ultimement, avec son processus vers la guérison.
D’ailleurs, la scénographie illustrant une chambre à coucher, lieu principal de tous les échanges, soutient cette idée de cheminement intérieur, qui concerne le couple meurtri, bien entendu, mais avant tout Pascale, qui doit se redéfinir. Est-elle encore féminine, est-elle encore assez ? Il s’agit de se reconstruire face à son corps qui échoue à sa tâche, dite naturelle. Ce rapport aurait pu être plus exploité dans la narration, comme dans la mise en scène. Une heure passe vite lorsqu’on navigue dans un sujet si large.
Naviguer. C’est bien la sensation qui est transmise lorsqu’on observe Pascale qui se perd dans ses pensées, dans les silences qui accueillent le désarroi, dans l’obscurité de certaines scènes où on devine que les corps disent tout grâce au langage non verbal, dans la distance qui se crée avec son amoureux et, en quelque sorte, avec le reste du monde.
L’intime et l’espace public
Dans son chemin vers l’acceptation, Pascale examine, à travers ses monologues, le rôle maternel sans lequel, soi-disant, les femmes ne pourraient pas être complètes. Ce que lui rappelle sa belle-mère (Sylvie Potvin) à grands coups de maladresses, malgré ses bonnes intentions.
Il y a aussi ce phénomène des mères parfaites qui, par la performance de leur maternité sur les réseaux sociaux, peuvent contribuer, dans une certaine mesure, à renforcer cet écosystème excluant les femmes qui, par choix ou non, n’ont pas de progéniture. Entre ses séances de rédaction de listes des choses qu’elle pourrait faire sans enfants, Pascale passe beaucoup de temps, en bonne jeune trentenaire, à consommer du contenu numérique, en lien avec son obsession du moment. Elle reprend à voix haute des propos de mères blogueuses, et les microagressions, volontaires ou non, présentes dans ces extraits, sont bien évidentes.
Dans la salle intime du Théâtre Prospero, on a installé un rideau transparent entre le public et la scène, comme si l’on regardait l’évolution de l’histoire à travers un filtre. Comme si le public représentait ce regard social, bienveillant ou non, qui se dépose sur la nullipare. Encore plus sur celle qui veut, mais qui ne peut pas.
Pourtant, il ne s’agit pas d’une pièce exploitant la polémique, mais plutôt d’une œuvre qui s’attarde avant tout à la douleur de la perte, à la transformation des relations sociales dans l’adversité, à la revalorisation de soi à contre-courant de que la société continue de promouvoir, malgré le fait que la parole se libère de plus en plus.
La proposition d’Émilie Lavoie rassemble tous les éléments d’un spectacle sensible, porté par une distribution habitée et convaincante, mais elle manque l’occasion d’aller creuser certaines questions. D’ailleurs, l’une d’entre elles reste en suspens : pourquoi ce couple veut-il des enfants ? Comment parler de perte si on fait abstraction des raisons viscérales qui nourrissent ce désir ? On garde l’impression que tout est allé très vite et que certains sujets sont restés en surface.
Notre petite mort
Texte : Émilie Lajoie. Mise en scène : Sophie Cadieux. Conseils à la création : Sophie Cadieux, Félix Beaulieu-Duchesneau et Jean-François Nadeau. Assistance à la mise en scène : Gabrielle Noumeir-Gagnon. Éclairages : Martin Sirois. Décor et costumes : Daniel Séguin. Avec Émilie Lajoie, Sylvie Potvin et Simon Rousseau. Une production de Production Émilie Lajoie, présentée à la salle intime du Théâtre Prospero jusqu’au 19 mars 2022.