Un spectacle dans un bus ! Et même plus, un voyage, un dépaysement, un enchantement et une petite perle de spectacle comme on en voudrait toujours. Ce bus, c’est la marque de fabrique d’Ubus Théâtre, créé par Agnès Zacharie en 2004, l’autre signature de la compagnie étant les marionnettes de son acolyte Pierre Robitaille. Depuis plus de 15 ans, ces deux-là n’ont pas leur pareil pour nous embarquer dans leurs récits et leurs mondes miniatures. L’autobus jaune réaménagé contient à la fois la scène et l’espace destiné à une vingtaine de spectateurs et spectatrices (les sièges d’origine du véhicule sur six rangées environ; on place les personnes les plus petites près du couloir, les plus grandes, côté fenêtres – qui sont masquées, bien sûr, pour ménager l’obscurité). Et l’on plonge à. chaque spectacle dans un émerveillement, d’autant plus fascinant qu’il se déroule à moins de quatre mètres des banquettes, voire même autour de nous, car la magie se déploie dans tout l’autobus (ici, c’est un train qui passe au-dessus de nos têtes, un dragon qui vole et traverse tout l’espace, etc.). Le public est au plus près, captivé et conquis par la manipulation virtuose et par les transformations incessantes, mais aussi par la beauté de ce qui est raconté.
Un voyage de formation
Célestine, 11 ans, n’est pas contente, alors qu’avec sa famille, elle part passer l’été au Japon. C’est qu’en fait, elle va être gardée par une vieille tante aveugle, Chizuko, pendant que ses parents donnent une série de concerts. Elle boude en arrivant, ne se doutant pas à quel point la rencontre sera fondatrice, aussi bien pour la jeune fille, qui par la suite deviendra auteure, que pour Chizuko, qui aura l’occasion de lui transmettre son savoir ainsi qu’un mystérieux coffret, détenu par la famille depuis plus de 1000 ans et qui contient un nécessaire à calligraphie. Par- delà la transmission, la pièce parle également d’un apprivoisement progressif entre ces deux protagonistes. On comprend que Célestine, qui vient du Québec, baigne dans les cultures respectives de ses deux parents.
Tout au long du séjour, elle sera amenée à découvrir des pans de la culture japonaise, de son histoire et de ses heures sombres. C’est ainsi que l’on découvre, en fin de parcours, que la tante est une hibakusha, une rescapée de la bombe d’Hiroshima, qu’elle a non seulement perdu la vue, mais que tout son corps a souffert, la rendant stérile, mais surtout la condamnant à une vie de paria. Il est aussi révélé que le vieux Kamachi, qui rend souvent visite à Chizuko, était en fait son fiancé en 1945, mais que la famille s’est ensuite opposée à leur relation. Tout cela est évoqué dans l’une des plus belles séquences du spectacle, qui verra une table de calligraphie se métamorphoser en bassin ou en bord d’une rivière, dans laquelle Chizuko se baigne, après avoir dévoilé son corps meurtri et décharné, corps qui semble vite devenir celui d’un fœtus immergé dans le liquide amniotique, image des enfants qu’il n’aura jamais pu porter.
Car tout se transforme à vue, tout se construit en un geste, en un instant, dans des astuces scéniques aussi simples qu’époustouflantes. Autour d’une humble table, quelques accessoires suffiront pour dessiner un espace, suspendre un arbre, faire voler un dragon, créer un théâtre d’ombres ou multiplier les transparences. Au service de ce récit sont convoquées toutes sortes de figures : une petite marionnette de table (que l’on tient à la manière d’une poupée), des marionnettes à tiges, dans des tailles différentes, ce qui permet des effets de zoom très intéressants, et également des masques. Celui du dragon ou ceux, plus imposants, représentant les deux principales protagonistes et que les artistes – tout vêtu·es de noir comme dans le bunraku – portent flottants devant leur visage. On passe ainsi sans cesse de la toute petite figurine (telle celle du chat Fuji-san) au très grand visage, le tout construit en papier et manipulé avec dextérité par les deux interprètes, qui prêtent leur voix à tous les personnages (avec peut-être une manière un peu trop forte d’appuyer la voix de Célestine, presque nasillarde, sans doute pour exprimer la tristesse et la bouderie initiale, mais qui gagnerait à plus vite s’estomper comme c’est le cas par la suite).
Les solutions scéniques de la mise en scène de Martin Genest sont toutes captivantes, les solutions d’éclairages sont ingénieuses et le public est attentif comme rarement, sensible à la plus subtile lumière, aux notes de la superbe bande sonore et souvent amusé par le comique même du récit. Bref, un spectacle de 50 minutes qu’on ne voit pas passer, vaste et court comme la vie; Célestine, âgée de 30 ans, rend d’ailleurs hommage à sa tante alors décédée. À ne pas rater, car c’est une expérience en soi que cette représentation dans un autobus, mais c’est surtout une très belle proposition qui n’a visiblement pas pris une ride depuis sa création en 2006. Que l’on peut être dépaysé·e à voyager dans un bus qui ne roule pas !
Texte : Agnès Zacharie. Mise en scène : Martin Genest. Appui dramaturgique : Gérard Bibeau et Josée Campanale. Scénographie : Vano Hotton et Pierre Robitaille. Éclairages : Henri Louis Chalem. Effets spéciaux : François Zacharie. Musique : Pascal Robitaille. Création des marionnettes : Pierre Robitaille, assisté d’Anabelle Roy. Calligraphie : May Rousseau. Avec Agnès Zacharie et Pierre Robitaille. Une production d’Ubus Théâtre, présentée au Théâtre Périscope jusqu’au 24 avril 2022.
Un spectacle dans un bus ! Et même plus, un voyage, un dépaysement, un enchantement et une petite perle de spectacle comme on en voudrait toujours. Ce bus, c’est la marque de fabrique d’Ubus Théâtre, créé par Agnès Zacharie en 2004, l’autre signature de la compagnie étant les marionnettes de son acolyte Pierre Robitaille. Depuis plus de 15 ans, ces deux-là n’ont pas leur pareil pour nous embarquer dans leurs récits et leurs mondes miniatures. L’autobus jaune réaménagé contient à la fois la scène et l’espace destiné à une vingtaine de spectateurs et spectatrices (les sièges d’origine du véhicule sur six rangées environ; on place les personnes les plus petites près du couloir, les plus grandes, côté fenêtres – qui sont masquées, bien sûr, pour ménager l’obscurité). Et l’on plonge à. chaque spectacle dans un émerveillement, d’autant plus fascinant qu’il se déroule à moins de quatre mètres des banquettes, voire même autour de nous, car la magie se déploie dans tout l’autobus (ici, c’est un train qui passe au-dessus de nos têtes, un dragon qui vole et traverse tout l’espace, etc.). Le public est au plus près, captivé et conquis par la manipulation virtuose et par les transformations incessantes, mais aussi par la beauté de ce qui est raconté.
Un voyage de formation
Célestine, 11 ans, n’est pas contente, alors qu’avec sa famille, elle part passer l’été au Japon. C’est qu’en fait, elle va être gardée par une vieille tante aveugle, Chizuko, pendant que ses parents donnent une série de concerts. Elle boude en arrivant, ne se doutant pas à quel point la rencontre sera fondatrice, aussi bien pour la jeune fille, qui par la suite deviendra auteure, que pour Chizuko, qui aura l’occasion de lui transmettre son savoir ainsi qu’un mystérieux coffret, détenu par la famille depuis plus de 1000 ans et qui contient un nécessaire à calligraphie. Par- delà la transmission, la pièce parle également d’un apprivoisement progressif entre ces deux protagonistes. On comprend que Célestine, qui vient du Québec, baigne dans les cultures respectives de ses deux parents.
Tout au long du séjour, elle sera amenée à découvrir des pans de la culture japonaise, de son histoire et de ses heures sombres. C’est ainsi que l’on découvre, en fin de parcours, que la tante est une hibakusha, une rescapée de la bombe d’Hiroshima, qu’elle a non seulement perdu la vue, mais que tout son corps a souffert, la rendant stérile, mais surtout la condamnant à une vie de paria. Il est aussi révélé que le vieux Kamachi, qui rend souvent visite à Chizuko, était en fait son fiancé en 1945, mais que la famille s’est ensuite opposée à leur relation. Tout cela est évoqué dans l’une des plus belles séquences du spectacle, qui verra une table de calligraphie se métamorphoser en bassin ou en bord d’une rivière, dans laquelle Chizuko se baigne, après avoir dévoilé son corps meurtri et décharné, corps qui semble vite devenir celui d’un fœtus immergé dans le liquide amniotique, image des enfants qu’il n’aura jamais pu porter.
Car tout se transforme à vue, tout se construit en un geste, en un instant, dans des astuces scéniques aussi simples qu’époustouflantes. Autour d’une humble table, quelques accessoires suffiront pour dessiner un espace, suspendre un arbre, faire voler un dragon, créer un théâtre d’ombres ou multiplier les transparences. Au service de ce récit sont convoquées toutes sortes de figures : une petite marionnette de table (que l’on tient à la manière d’une poupée), des marionnettes à tiges, dans des tailles différentes, ce qui permet des effets de zoom très intéressants, et également des masques. Celui du dragon ou ceux, plus imposants, représentant les deux principales protagonistes et que les artistes – tout vêtu·es de noir comme dans le bunraku – portent flottants devant leur visage. On passe ainsi sans cesse de la toute petite figurine (telle celle du chat Fuji-san) au très grand visage, le tout construit en papier et manipulé avec dextérité par les deux interprètes, qui prêtent leur voix à tous les personnages (avec peut-être une manière un peu trop forte d’appuyer la voix de Célestine, presque nasillarde, sans doute pour exprimer la tristesse et la bouderie initiale, mais qui gagnerait à plus vite s’estomper comme c’est le cas par la suite).
Les solutions scéniques de la mise en scène de Martin Genest sont toutes captivantes, les solutions d’éclairages sont ingénieuses et le public est attentif comme rarement, sensible à la plus subtile lumière, aux notes de la superbe bande sonore et souvent amusé par le comique même du récit. Bref, un spectacle de 50 minutes qu’on ne voit pas passer, vaste et court comme la vie; Célestine, âgée de 30 ans, rend d’ailleurs hommage à sa tante alors décédée. À ne pas rater, car c’est une expérience en soi que cette représentation dans un autobus, mais c’est surtout une très belle proposition qui n’a visiblement pas pris une ride depuis sa création en 2006. Que l’on peut être dépaysé·e à voyager dans un bus qui ne roule pas !
L’Écrit
Texte : Agnès Zacharie. Mise en scène : Martin Genest. Appui dramaturgique : Gérard Bibeau et Josée Campanale. Scénographie : Vano Hotton et Pierre Robitaille. Éclairages : Henri Louis Chalem. Effets spéciaux : François Zacharie. Musique : Pascal Robitaille. Création des marionnettes : Pierre Robitaille, assisté d’Anabelle Roy. Calligraphie : May Rousseau. Avec Agnès Zacharie et Pierre Robitaille. Une production d’Ubus Théâtre, présentée au Théâtre Périscope jusqu’au 24 avril 2022.