Critiques

Fondant : Un savoureux huis clos

Outre convivialité indéniable formule© Maryse Boyce

Outre sa convivialité indéniable, la formule de théâtre en 5 à 7 (avec bière et collation), que le Théâtre La Licorne a importée d’Écosse, présente l’attrait majeur de servir de tribune à des artistes en début de parcours ou explorant un aspect différent de leur discipline. En l’occurrence, la comédienne Rose-Anne Déry (qui avait, par ailleurs, collaboré à l’écriture du mémorable Table rase) signe la mise en scène de Fondant, du Théâtre Bistouri (Les Ossements du Connemara, Madra, Conversations avec mon pénis…), une pièce rédigée par une autre comédienne, Pascale Marineau. Une expérience tout à fait probante, qui pourrait bien constituer l’aube d’enthousiasmantes nouvelles vocations.

Dans une toute petite pâtisserie, décorée de teintes pastel et de coquets présentoirs comme il se doit, une employée attend que quelque pèlerin·e de la sucrerie brave la tempête qui sévit à l’extérieur et brise, du même coup, la monotonie de cette journée insipide. Il y aura bien un visiteur… qui n’apparaît pourtant pas disposé à acheter quoi que ce soit, ni friandise ni accessoire de cuisine de fantaisie. Il entre en contact avec son hôtesse en lui recommandant, sur un ton désinvolte, de ne pas se ronger les ongles, une habitude qui favoriserait l’ingestion de bactéries. Une remarque qui peut sembler anodine, voire bienveillante, mais qui peut aussi rebuter par son caractère intrusif et directif, inapproprié même. Or ce n’est que le premier maillon d’une chaîne d’attentions non sollicitées qui se resserrera autour de la jeune femme.

Suivant une courbe dramatique faite de creux et de renflements, histoire de la rendre naturelle, crédible, la relation entre la boutiquière et son client oscillera de la politesse aux malaises (multiples) en passant par de sympathiques – quoique génériques – échanges. Foncièrement affable et tenue, jusqu’à un certain point, par son emploi d’être avenante, la pâtissière se prête au jeu du bavardage plus ou moins stérile, tout en ne parvenant pas tout à fait à compenser la gaucherie oratoire, la balourdise communicationnelle de son vis-à-vis. Ce qu’on lui pardonne, car le lourdaud semble sympathique, timide, inoffensif… jusqu’à ce qu’il ne le soit plus du tout et que la cible de son intérêt, captive de son comptoir et de ses responsabilités professionnelles, se sente en danger.

© Maryse Boyce

Un dosage adroit

Fondant, sans jamais les souligner à outrance, sème plusieurs pistes de questionnement. Lorsqu’une situation semble équivoque, à quel point doit-on se fier à son instinct… sans pourtant verser soit dans la présomption narcissique, soit dans une paranoïa qui serait handicapante sur le plan des interactions sociales ? Faut-il restreindre sa courtoisie afin d’éviter qu’on lui prête un caractère séductif ? Quelles sont les limites de la complaisance intrinsèquement liée à un emploi de service? Notamment en ce qui concerne les femmes qui se font courtiser dans le cadre de leurs fonctions ?  « Tu n’as pas l’obligation d’être conciliante. », écrit Martine Delvaux à sa fille dans l’essai Le Monde est à toi. Certes, mais les commis, vendeurs et vendeuses ne sont-ils et elles pas embauché·es pour être, dans la mesure du raisonnable, tout sourire en toutes circonstances ? Et comment savoir hors de tout doute où cesse le raisonnable, où commence le harcèlement ?

Dans la peau du duo, les deux comédien·nes (qui sont aussi dramaturges) Marianne Dansereau et Marc-André Thibault livrent une interprétation des plus convaincantes. La première campe une protagoniste charmante, spontanée, un brin nerveuse, mais se montrant ouverte et compréhensive face à la maladresse de son interlocuteur, plus taciturne, sibyllin, mais tout de même rieur. Tant leur jeu que le texte de Pascale Marineau concourent à la véracité des personnages, de leur dynamique.

La mise en scène de Rose-Anne Déry s’avère simple, mais sans lacune. Évidemment, les déplacements sont restreints par les dimensions modestes de l’aire de jeu, mais la direction d’acteur et d’actrice fait mouche. Le langage non verbal permet à la relation unissant le tandem d’évoluer tout en subtilité – et en dents de scie, ce qui ajoute aux questionnements du public quant aux réelles intentions de l’homme –, sans précipitation, et ce, bien que le spectacle dure à peine une heure. Bref, Fondant est un petit objet théâtral sans prétentions ostentatoires, mais fort habilement ficelé et laissant spectateurs et spectatrices emporter une réflexion de laquelle se repaître.

Fondant

Texte : Pascale Marineau. Mise en scène : Rose-Anne Déry. Assistance à la mise en scène :Andrée-Anne Garneau. Décor et costumes : Anne-Sophie Gaudet. Éclairages : Joëlle Leblanc. Environnement sonore : Étienne Thibault. Avec Marianne Dansereau et Marc-André Thibault. Une production présentée par le Théâtre Bistouri, en codiffusion avec La Manufacture, dans la salle de répétition du Théâtre La Licorne jusqu’au 20 mai 2022.