Critiques

Vania et Sonia et Macha et Spike : Tchekhov au théâtre d’été

© David Ospina

C’est en 2020 que le Théâtre du Rideau Vert avait d’abord programmé cette pièce à succès de l’Américain Christopher Durang. Deux ans plus tard, alors que les mesures sanitaires liées à la pandémie s’allègent, ce texte est joué pour la première fois en français. 

Un frère et une sœur quinquagénaires se complaisent dans leur existence morne et triste. Depuis la mort de leurs parents malades, auprès de qui il et elle ont sacrifié la meilleure partie de leur vie d’adultes, il et elle se retrouvent sans carrières ni amours et vivent dans la demeure familiale qui appartient maintenant à leur autre sœur, une actrice vieillissante. Lorsque cette dernière survient au bras d’un jeune soupirant, elle leur annonce qu’elle doit vendre la maison. Cette prémisse, comme beaucoup d’éléments de la pièce, fait référence à l’univers dramaturgique d’Anton Tchekhov. 

Il serait faux de supposer que seul·es des spécialistes peuvent véritablement apprécier les propos de l’œuvre, au contraire. L’histoire se suffit à elle-même, nonobstant cet hommage à l’auteur russe. Créé dans le New Jersey en 2012, repris Off-Broadway puis finalement à Broadway en 2013, le spectacle a joui d’un considérable succès et d’un excellent accueil de la critique et du public. Soulignons d’ailleurs le travail de Maryse Warda qui a su, au-delà de la traduction, proposer une adaptation québécoise crédible. 

Vania (Roger Larue) et Sonia (Nathalie Mallette) se sentent malheureux et malheureuse, et les deux invité·es qu’il et elle reçoivent ne leur sont d’aucun secours. Leur sœur Macha (Sylvie Léonard) se plaint de son état pourtant enviable, ce qui enfonce davantage Sonia dans son ressentiment face à son « absence de vie ». Malette excelle d’ailleurs dans ce rôle, sans jamais éclipser ses partenaires. Alors que Macha et Sonia argumentent, Vania est constamment perturbé par les provocations de Spike (Alex Bergeron), qui n’en finit pas d’exhiber son jeune corps. De son côté, la femme de chambre (Joëlle Paré-Beaulieu) ne nettoie pas seulement la maison, mais récure tout autant le rythme du récit. Complètement envoûtée par ses songes prémonitoires et ses visions, elle est la seule qui se soucie réellement des autres. Ce faire-valoir bienveillant surgit telle une bouffée d’air frais au milieu du groupe de personnages solitaires, égocentriques et complaisants. Une jeune voisine, Nina (Rebecca Vachon), se joint à cette bande. Elle veut rencontrer la célébrité de passage, mais l’ingénue tissera plutôt un lien particulier avec Vania, qu’elle souhaitera vite appeler « oncle ».

© David Ospina

Un humour conventionnel 

Au-delà de la menace de perdre la maison et de devoir se priver d’ancrages, la pièce aborde des enjeux de taille, qui souffrent malheureusement d’un traitement malingre. On y parle de désespoir, de la difficulté d’adaptation qui isole certaines personnes, du vieillissement et de rivalités entre membres d’une même fratrie. Ces sujets sont amenés avec humour par des répliques efficaces, mais qui laissent trop peu de place à l’émotion et à la poésie, une importante carence de l’œuvre. Elle fait rire, mais ne marque pas les esprits. 

Malgré cela, le plaidoyer de Vania, qui s’insurge contre l’ignorance des jeunes générations et contre le progrès qui plonge les êtres dans la solitude, est livré de façon nuancée et sentie, ce qui le rend vrai. Le comédien, habile et expérimenté, évite le piège de la performance d’acteur qui minait la production de Broadway, où cette montée dramatique devenait vite insupportable. 

La mise en scène de Marc Saint-Martin s’avère classique et efficace. Le spectacle emprunte tous les sentiers connus. On applique les procédés de la comédie (figures de style, répliques acerbes, envolées lyriques, etc.) dans une parfaite exécution, et le résultat est assez divertissant. L’auditoire apprécie manifestement la proposition et réagit autant par des rires que par des interjections d’empathie. On sort du théâtre déridé et détendu. 

Vania et Sonia et Macha et Spike 

Texte : Christopher Durang. Traduction : Maryse Warda. Mise en scène et idéation : Marc Saint-Martin. Assistance à la mise en scène : Marie-Hélène Dufort. Décors : Pierre-Étienne Locas. Costumes : Cinthya Saint-Gelais. Éclairages :  Cédric Delorme-Bouchard. Musique : Christian Thomas. Accessoires : Alain Jenkins. Maquillages et coiffures : Jean Bégin. Une production du Théâtre du Rideau Vert, présentée au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 4 juin 2022.