Critiques

Manipuler avec soin : Amour, technologie et autres failles

pièces romans films traitent

Les pièces, romans et films qui traitent de relations amoureuses sont légion. Et pourtant, on ne semble jamais avoir fait le tour du sujet. Tout est dans la manière de l’aborder et, chose certaine, Carolanne Foucher a trouvé un filon avec Manipuler avec soin. Son texte, publié aux Éditions de Ta Mère, est vif, ponctué d’humour, de malaises, de phrases dures et de phrases tendres. Il repose sur le fin équilibre entre les engueulades cycliques d’un couple qui s’est usé jusqu’à se trouer le myocarde, le flirt où on se ment autant à soi-même qu’à celui ou celle qu’on tente d’attirer dans son lit et le discours lisse et faussement hop-la-vie des jeunes compagnies technologiques.

pièces romans films traitentNicola-Frank Vachon

Josianne (Carolanne Foucher) et David (Simon Landry-Désy) entrent dans le salon d’un loft huppé. Il y a une énorme toile moderne et énigmatique au mur, derrière des divans gris modulables et géométriques. Les hauts plafonds et le cube noir de la salle de répétition de la Bordée, où sont présentées les pièces offertes en formule 5 à 7, contribuent à l’illusion de se trouver dans un logement cossu, aux petites heures du matin. Pop corn et breuvage à la main, bercée par les voix de Céline Dion et de Julie Masse qui sortent des haut-parleurs, la petite foule collée serrée est prête à plonger pour une heure dans ce pas de deux (qui deviendra un pas de trois) sur l’amour, la technologie, l’être humain et leurs failles respectives.

Au fil de leur conversation, qui oscille entre séduction, babillage et relents de leur relation antérieure, on comprend que les deux ex-conjoint·es se sont croisé·es par hasard dans un bar et qu’il et elle ont envie de renouer pour un soir. Mauvaise idée, diront les pragmatiques. « Baise facile », se dit Carolanne. Mais rien n’est simple lorsqu’il est question d’intimité. Si David la qualifie allègrement de « tigresse », la jeune femme porte aussi une vulnérabilité qu’elle peine à cacher. 

pièces romans films traitentNicola-Frank Vachon

Humour technologique

Dès qu’il et elle s’embrassent, elle sonne, à cause d’une alarme corporelle, une puce, qu’elle s’est fait implanter dans le cou pour se protéger des relations qui pourraient faire « pleurer son cœur » (le côté kitsch de la formule est pleinement assumé ici).

Entrée en scène de Jean-Michel Girouard, qui incarne un technophile à l’âme tendre obsédé par les procédures, dont ce projet entrepreneurial inusité a été financé par les Dragons de l’émission du même nom. On voit tout de suite le potentiel comique d’une telle idée, que le texte de Carolanne Foucher et le jeu de Jean-Michel Girouard, parfait pour ce rôle, exploitent à fond. Les solutions technologiques pour compenser nos défaillances font depuis longtemps partie de nos vies. Cette puce qui met en quelque sorte le cœur sur haut-parleur, parce qu’on ne sait pas l’écouter, est un prétexte à disséquer, avec fougue, flegme et douleur, les insécurités qui nous rongent.

Même en voyant la mécanique du drame et en tentant de rester à distance, il est impossible de ne pas s’identifier, ne serait-ce qu’un peu, à chacun des personnages. La mise en scène de Pascale Renaud-Hébert est aussi discrète que magique. On ne la sent pas, on n’y pense pas, toute notre attention se concentre sur ce qui se dit, ce qui se joue et ce qu’on peut lire comme émotions mélangées sur le visage des comédien·nes : et cela démontre qu’elle sert tout à fait la pièce. En faire trop ou tomber dans l’esbroufe aurait tout fait dérayer.

Une fois de plus, on a une belle preuve que les 5 à 7 de la Bordée bonifient l’offre théâtrale de la capitale en présentant le travail d’une compagnie, d’artistes – et surtout d’une autrice, dans ce cas-ci – qui y méritaient une vitrine. 

Manipuler avec soin

Texte : Carolanne Foucher. Mise en scène : Pascale Renaud-Hébert. Décor et costumes : Lysandra Denis. Éclairages : Étienne Marquis. Avec Carolanne Foucher, Jean-Michel Girouard et Simon Landry-Désy. Une production du Théâtre Bistouri, en codiffusion avec La Bordée, présentée au théâtre La Bordée jusqu’au 9 septembre 2022.