Critiques

M’appelle Mohamed Ali : Le ring comme dialogue, la scène comme champ de bataille

scène Théâtre Quat’Sous mise© Yanick Macdonald

Sur la scène du Théâtre de Quat’Sous mise à nue, huit hommes sobrement vêtus de pantalons à bretelles sont rassemblés dans une sorte de danse. Ils prennent place dans un espace textuel et gestuel où les niveaux narratifs se juxtaposent autour des métaphores de la boxe, du théâtre, de l’exil et de la libération de l’état d’esclavage. Leurs propos – déclamés sous forme d’un récit syncopé – évoquent la résistance, la soif d’affirmation, l’aspiration à une justice sociale, la lutte pour l’égalité.

La somme de ce labeur est nette, incisive, précise, à l’image du style de Mohamed Ali, dont la vie et le destin traversent cette œuvre. Leur présence est intense et habilement intégrée, se déployant sans jamais voler la vedette à cette lutte, qui est avant tout collective et concertée vers un dessein commun et noble, orienté vers l’épanouissement de l’âme humaine, et non vers sa destruction.

Avec M’appelle Mohamed Ali, une mise en scène de Philippe Racine et Tatiana Zinga Botao présentée à Montréal lors du dernier Festival TransAmériques, La Sentinelle offre à voir une pièce à la fois profonde et vivifiante. Dans cette œuvre que l’auteur congolais Dieudonné Niangouna a initialement créée en association avec l’homme de théâtre burkinabé Étienne Minoungou, les spectateurs et les spectatrices sont témoins de la trajectoire héroïque d’un acteur appelé à jouer la vie et le combat de Mohamed Ali. Le résultat est une suite d’aller-retour entre des réflexions philosophiques sur l’influence d’Ali et la reconstitution théâtrale de quelques événements ayant marqué son histoire et son mythe.

scène Théâtre Quat’Sous mise © Yanick Macdonald

Chorale des ancêtres

L’attrait de cette production repose avant tout sur la symbiose des artistes qui composent ce tableau vivant à divers niveaux. Parce qu’une distribution d’acteurs aussi doués pour le verbe que le mouvement s’imposait pour un tel objet, qui exige une exécution rythmée et sans faille.

En guise de prélude, une mère (Nadine Jean) somme son fils Étienne, un comédien, d’entreprendre le passage nécessaire vers l’âge adulte. Ce moment charnière est le « big bang » où naît le dialogue entre l’art et le sport comme véhicules d’affranchissement : le spectacle est une danse où la scène et le ring de boxe sont juxtaposés en tant que sites d’expression de la lutte des personnes afrodescendantes.

La pensée de Dieudonné Niangouna paraît clairement influencée par les théories du psychiatre et essayiste Franz Fanon, reprises dans les complaintes de ces hommes où s’entremêlent les voix des artistes, intellectuels et sportifs noirs, qui évoquent le chant des ancêtres humiliés, opprimés par l’esclavage. Une certaine posture psychologique de l’état d’homme noir devant forcément développer des talents de boxeur pour non seulement tirer son épingle du jeu, mais carrément survivre, traverse cette pièce aux qualités littéraires flagrantes. Le texte nous garde en haleine, tout comme les mouvements de ces artistes-danseurs qui maîtrisent l’espace.

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis la nuit du 30 octobre 1974 où Mohamed Ali a affronté George Foreman lors du mythique combat de Kinshasa. Le mythe du boxeur, comme emblème de l’affranchissement, a été exploré et utilisé abondamment. Par conséquent, la pièce n’échappe pas à une vision stéréotypée fondée sur le recours au culte de la personnalité. Une certaine hypermasculinité est aussi mise en valeur, non sans pertinence. Une telle approche nous laisse souhaiter un prochain chapitre qui donnerait la réplique à une voix afrodescendante féminine.

Reste que La Sentinelle nous livre une leçon d’histoire, d’esprit sportif et de théâtre avec ce M’appelle Mohamed Ali qui relie habilement l’expérience d’être Noir telle que vécue ici en Amérique du Nord, en Belgique et sur le continent africain.

M’appelle Mohamed Ali 

Texte : Dieudonné Niangouna. Mise en scène : Philippe Racine et Tatiana Zinga Botao. Assistance à la mise en scène : Jasmine Kamruzzaman. Décor : Marie-Ève Fortier. Lumières : Valérie Bourque. Costumes et maquillage : Ange Blédja Kouassi. Conception sonore : Elena Stoodley. Mouvements : Claudia Chan Tak. Avec Lyndz Dantiste, Nadine Jean, Fayolle Jean Junior, Anglesh Major, Maxime Mompérousse, Widemir Normil, Martin-David Peters, Rodley Pitt et Franck Sylvestre. Une coproduction de La Sentinelle du Théâtre de Quat’sous et du Festival TransAmériques, présentée au Théâtre de Quat’sous jusqu’au 21 septembre 2022.