Après Fairfly, joué au Théâtre La Licorne la saison dernière, Brefs entretiens avec des femmes exceptionnelles donne à voir et à entendre la traduction d’un texte du même jeune dramaturge espagnol, Joan Yago García, reconnu notamment pour le regard critique qu’il porte sur la société contemporaine. Mise en scène par Gabrielle Lessard (Ici, 2019 ; Guide d’éducation sexuelle pour le nouveau millénaire, 2020), la pièce, originalement écrite en catalan, dresse cinq tableaux dans lesquels des femmes échangent avec leur interlocuteur des propos sur leur vie marginale. Dans un cadre qui rappelle l’entrevue télévisuelle, une Barbie humaine, une députée politique, une chercheuse en transhumanisme, une fillette de six ans dans la peau d’une quinquagénaire et une personne vivant avec une anomalie médicale sont tour à tour confrontées au jugement du monde. Alors qu’il est facile d’extraire de chacun de ces discours un message sociopolitique pour beaucoup déjà empoussiéré, il faut plutôt se tourner du côté de la forme pour déceler la véritable force de Brefs entretiens avec des femmes exceptionnelles.
La salle de la Petite Licorne est pour beaucoup dans la justesse de la mise en scène de la pièce. Près du public, à la manière d’artefacts sous leur cloche de verre, les comédiennes prennent place sur une chaise austère au centre d’une scène étroite et noire. Des miroirs longiformes disposés côté cour multiplient les points de vue et les angles d’attaque, réfractent incontrôlablement les lumières projetées. Il devient ainsi difficile de ne pas comparer ces entretiens aux allures de talk-show américain à des interrogatoires incriminants, comme ceux qui ont lieu derrière un miroir sans tain dans les films policiers. En ce sens, la mise en scène pose d’emblée une distance entre le titre de la pièce, qui structure un certain horizon d’attente, et le réel enjeu de Brefs entretiens avec des femmes exceptionnelles ; les discussions entre chaque femme et l’interlocuteur en voix hors champ seront empreintes d’une gravité insoupçonnée.
Bien que la trame narrative soit scindée en cinq parties distinctes, le jeu irréprochable des actrices crée un sentiment d’unité ; à travers leur obstination, leur colère et leur passion, elles se donnent métaphoriquement la main.
Derrière les discours
Les cinq entrevues sont dirigées par une voix masculine, dont le ton condescendant et présomptueux force à prendre conscience d’un inconfort plus systémique que celui induit par les sujets abordés (l’image publique, le port d’armes à feu ou l’avenir de l’existence humaine), soit celui des rapports de pouvoir entre les genres. En effet, l’homme hors champ orchestre un échange souvent unilatéral. Son manque d’écoute et de considération pour les femmes qui passent tour à tour devant lui fait partie d’un dispositif inhérent à Brefs entretiens avec des femmes exceptionnelles : l’ironie. Grâce à sa présence autant dans la mise en scène que dans le texte, chaque parole se double d’un sous-discours critique.
Certes, les abus de pouvoir et l’intolérance sont deux problèmes sociétaux qui seront toujours d’actualité. C’est pourquoi la position critique qu’adopte l’œuvre de García, bien que remarquablement ficelée, est loin d’être inédite. Force est donc de quitter le théâtre quelque peu inébranlé·e, ce qui est d’autant plus décevant dans le contexte d’une traduction, processus qui implique un brûlant désir de montrer le novateur et l’audacieux.
Texte : Joan Yago García. Traduction : Juan Arango et Laurent Gallardo. Mise en scène : Gabrielle Lessard. Assistance à la mise en scène : Stéphanie Capistran-Lalonde. Décor et costumes : Wendy Kim Pires. Éclairages : Robin Kittel-Ouimet. Musique : Benjamin Prescott La Rue. Avec Ariane Bellavance-Fafard, Louise Cardinal, Nathalie Coupal, Daniel D’Amours, Charlotte Desbiens, Kariane Héroux-Danis et Tracy Marcelin. Une production du Théâtre à l’eau froide, en codiffusion avec La Manufacture, présentée au Théâtre La Licorne jusqu’au 23 septembre 2022.
Après Fairfly, joué au Théâtre La Licorne la saison dernière, Brefs entretiens avec des femmes exceptionnelles donne à voir et à entendre la traduction d’un texte du même jeune dramaturge espagnol, Joan Yago García, reconnu notamment pour le regard critique qu’il porte sur la société contemporaine. Mise en scène par Gabrielle Lessard (Ici, 2019 ; Guide d’éducation sexuelle pour le nouveau millénaire, 2020), la pièce, originalement écrite en catalan, dresse cinq tableaux dans lesquels des femmes échangent avec leur interlocuteur des propos sur leur vie marginale. Dans un cadre qui rappelle l’entrevue télévisuelle, une Barbie humaine, une députée politique, une chercheuse en transhumanisme, une fillette de six ans dans la peau d’une quinquagénaire et une personne vivant avec une anomalie médicale sont tour à tour confrontées au jugement du monde. Alors qu’il est facile d’extraire de chacun de ces discours un message sociopolitique pour beaucoup déjà empoussiéré, il faut plutôt se tourner du côté de la forme pour déceler la véritable force de Brefs entretiens avec des femmes exceptionnelles.
La salle de la Petite Licorne est pour beaucoup dans la justesse de la mise en scène de la pièce. Près du public, à la manière d’artefacts sous leur cloche de verre, les comédiennes prennent place sur une chaise austère au centre d’une scène étroite et noire. Des miroirs longiformes disposés côté cour multiplient les points de vue et les angles d’attaque, réfractent incontrôlablement les lumières projetées. Il devient ainsi difficile de ne pas comparer ces entretiens aux allures de talk-show américain à des interrogatoires incriminants, comme ceux qui ont lieu derrière un miroir sans tain dans les films policiers. En ce sens, la mise en scène pose d’emblée une distance entre le titre de la pièce, qui structure un certain horizon d’attente, et le réel enjeu de Brefs entretiens avec des femmes exceptionnelles ; les discussions entre chaque femme et l’interlocuteur en voix hors champ seront empreintes d’une gravité insoupçonnée.
Bien que la trame narrative soit scindée en cinq parties distinctes, le jeu irréprochable des actrices crée un sentiment d’unité ; à travers leur obstination, leur colère et leur passion, elles se donnent métaphoriquement la main.
Derrière les discours
Les cinq entrevues sont dirigées par une voix masculine, dont le ton condescendant et présomptueux force à prendre conscience d’un inconfort plus systémique que celui induit par les sujets abordés (l’image publique, le port d’armes à feu ou l’avenir de l’existence humaine), soit celui des rapports de pouvoir entre les genres. En effet, l’homme hors champ orchestre un échange souvent unilatéral. Son manque d’écoute et de considération pour les femmes qui passent tour à tour devant lui fait partie d’un dispositif inhérent à Brefs entretiens avec des femmes exceptionnelles : l’ironie. Grâce à sa présence autant dans la mise en scène que dans le texte, chaque parole se double d’un sous-discours critique.
Certes, les abus de pouvoir et l’intolérance sont deux problèmes sociétaux qui seront toujours d’actualité. C’est pourquoi la position critique qu’adopte l’œuvre de García, bien que remarquablement ficelée, est loin d’être inédite. Force est donc de quitter le théâtre quelque peu inébranlé·e, ce qui est d’autant plus décevant dans le contexte d’une traduction, processus qui implique un brûlant désir de montrer le novateur et l’audacieux.
Brefs entretiens avec des femmes exceptionnelles
Texte : Joan Yago García. Traduction : Juan Arango et Laurent Gallardo. Mise en scène : Gabrielle Lessard. Assistance à la mise en scène : Stéphanie Capistran-Lalonde. Décor et costumes : Wendy Kim Pires. Éclairages : Robin Kittel-Ouimet. Musique : Benjamin Prescott La Rue. Avec Ariane Bellavance-Fafard, Louise Cardinal, Nathalie Coupal, Daniel D’Amours, Charlotte Desbiens, Kariane Héroux-Danis et Tracy Marcelin. Une production du Théâtre à l’eau froide, en codiffusion avec La Manufacture, présentée au Théâtre La Licorne jusqu’au 23 septembre 2022.