Critiques

We are shining forever à la recherche de l’entrée du royaume des morts : Orchestration du vivant

© Valérie Remise

À l’occasion du Festival Phénomena, le metteur en scène Christian Lapointe et l’auteur Mathieu Arsenault se sont réunis pour présenter, à La Chapelle Scènes Contemporaines, une œuvre hybride, au croisement de la littérature et du théâtre, tentant de raconter la mort autrement. Le texte, divisé en trois monologues respectivement interprétés par Mathieu Arsenault, Ève Landry puis Mélodie Bujold-Henri, est tiré du plus récent roman de l’écrivain, La Morte, dans lequel le narrateur entre en contact avec le fantôme de son amie, l’autrice Vickie Gendreau, décédée d’une tumeur au cerveau il y a plusieurs années, qui vient le visiter en rêve. Entre onirisme, fragments de mémoire et réflexions funestes, la performance orchestrée par Lapointe déploie un filtre de paillettes magiques sur l’imaginaire du deuil, où les pleurs et le silence sont souvent de mise.

À la manière d’un stand up littéraire, les trois comédien·nes ont, à tour de rôle, leur moment au micro pour porter ce récit, éclaté et audacieux, de la rencontre entre le monde des mort·es et celui des vivant·es. La première partie du spectacle, illuminée par la verve impressionnante de Mathieu Arsenault, agit à titre de prologue. Seul devant le rideau noir tiré, camouflant ainsi le reste du décor, il incarne son propre archétype, celui de l’auteur qui cherche à se raconter, à exposer son deuil, avec humilité et ludisme. Le rideau se lève ensuite sur le personnage d’Ève Landry, campant une Vickie Gendreau hallucinée, à la fois fantôme et tragédienne, représentante du royaume des trépassé·es. À ses côtés, aux claviers, se trouve Mélodie Bujold-Henri, qui ne les quitte que pour la grande finale, devenant alors l’icône de l’entre-deux, au discours hachuré, ancré autant dans la réalité que dans le délire.

Dans ces trois parties, une série de gestes rapides rythme la parole ; chaque mouvement est associé à un terme précis, un bras dans les airs pour le mot « rêve », deux doigts sur l’œil droit pour la « mort », deux doigts sur l’œil gauche pour la « vie ». Cette danse symbolique se déploie comme une fresque imagée liant les différentes figures entre elles, telle une autre langue s’ajoutant à l’oralité. Est-ce Vickie qui parle à travers les corps ? Ou plutôt les vivant·es qui communiquent ainsi avec l’au-delà ou le territoire des rêves ? Mis à part le dynamisme que cela confère au spectacle, le sens de ce choix de mise en scène reste cryptique.

© Valérie Remise

Articuler l’hybridité

Derrière le rideau se cachent de grandes installations, création de Claudie Gagnon, dont la pertinence laisse perplexe. D’un côté de la scène, un tas de boîtes blanches, qu’on devine remplies de cendres, et, de l’autre côté, un empilement de cercueils en carton, entourés d’ornements de fleurs séchées et flétries. Au courant du spectacle, deux de ces cercueils seront soulevés et ouverts, révélant les visages en carton d’Arsenault et de Landry, surmontés de couvre-chefs rappelant les traits de Vickie. Autrement, le décor restera inutilisé, imposant dans sa forme, mais figé dans son espace, très figuratif et concret, au contraire de la richesse métaphorique qui berce l’entièreté de la performance.

En effet, c’est avec élégance et une maîtrise magistrale de la narration que les images se déplient habilement entre le monde littéraire et celui, beaucoup plus incarné, de la performance. La lumière de Martin Sirois, à la fois éblouissante et grinçante grâce à des tons de blancs et de gris, et entraînante par des teintes chaudes et vives, donne au texte une cadence, dicte aux mots une couleur. La superbe musique du groupe rock Navet Confit, jouée aux claviers par Mélodie Bujold-Henri, ajoute au spectacle une texture de fête, de soirée de poésie éclatée et de rêves dansants. Cette production hybride, au-delà d’une simple superposition des disciplines, transforme la scène en un espace d’échange et de construction collective où les interprètes agissent comme canaux réceptifs des divers éléments. We are shining forever à la recherche du royaume des morts ne fait pas que raconter la mort, elle la fait valser avec nous.

We are shining forever à la recherche de l’entrée du royaume des morts 

Texte : Mathieu Arsenault. Mise en scène et adaptation : Christian Lapointe. Assistance, direction de production et régie : Jacinthe Nepveu. Installation : Claudie Gagnon. Lumières : Martin Sirois. Musique : Navet Confit. Interprétation aux claviers : Mélodie Bujold-Henri. Costumes : Kate Lecours. Direction technique : Laurence Moisan-Bédard. Avec Mathieu Arsenault, Ève Landry et Mélodie Bujold-Henri. Une coproduction de Carte Blanche et de Rhizome, présentée, à l’occasion du Festival Phénomena, à La Chapelle Scènes Contemporaines jusqu’au 15 octobre 2022.