Il est des sujets difficiles, voire impossibles à aborder sur une scène. L’agression sexuelle subie durant l’enfance, quand on en a été soi-même victime, en fait sans doute partie. Même si la nécessité d’exorciser, de dire l’indicible, de sortir du cercle vicieux de la mémoire – qui tait puis ramène des souvenirs enfouis dont les détails sont demeurés intacts – peut être hautement compréhensible. Pour Charles Voyer, qui présente Le gardien des enfants à la salle intime du Théâtre Prospero, le processus de décantation mémorielle a été long pour en arriver à partager la douleur ressentie, dans le but avoué de rejoindre la sensibilité des spectateurs et des spectatrices. Il réussit ce pari risqué en s’éloignant de tout réalisme scénique.
Le comédien, qui signe aussi le texte, a opté pour une sorte de parabole, un conte poétique, pour rendre compte des expériences traumatisantes vécues lorsqu’il était enfant puis adolescent. On y parle d’une « bête délicate », qu’on appelait l’Innocence. Cela se passe dans une forêt, où des jeunes vont libres, joyeux et joyeuses, et où un Gardien, « le seul à ne pouvoir jouir des félicités de l’Innocence », finit par s’en saisir et la détruire. Cela, Charles Voyer nous le raconte lentement, en mots pesés, jalonnés de silences, la voix posée, en confidence mais sans mièvrerie ; le texte porte d’autant plus que la scène, plongée dans la pénombre, dévoile peu à peu la nudité de l’interprète s’exposant ainsi dans toute sa vulnérabilité. Sa voix, chacune de ses paroles, se répercute en écho, alliée à un montage sonore et musical ponctuant l’action, parfois de façon percutante. Les jeux d’éclairage, subtils et précis, impliquant des panneaux lumineux rouges s’allumant en alternance, dirigent adroitement l’attention du public au fil du récit.
Voix internalisées
Tout en se maintenant d’un bout à l’autre de la représentation dans la lenteur d’un rituel, le comédien utilise un bidon – comme ceux servant à transporter l’essence –, verse de l’eau dans un bassin évoquant celui du révélateur où l’on développait jadis les photos, et s’y s’étend, invoquant son passé. Puis, accroupi, pratiquement sans remuer les lèvres, à la manière d’un ventriloque, le visage en pleine lumière, il donne une voix basse, inquiétante, au Gardien, à laquelle répond celle, légère, apeurée, de l’enfant. Moment particulièrement fort, où l’eau, ses bruits, ses reflets, épousent le flou des souvenirs lui revenant par bribes après 20 ans d’oubli : comme celui d’un site de snuff movies, ces vidéos violentes de torture, de meurtre et de viol, découvert à l’adolescence, et ayant perturbé son développement psychologique. « Le chaos de l’intimité est inexprimable », dit-il. Plus tard, une bouilloire ancienne lui sert à purifier son corps et peut-être son esprit, geste de réappropriation ultime.
Utilisant une minuterie marquant le temps d’un récit enregistré, où sont révélés les attouchements criminels d’un gardien dans les toilettes d’un service de garde – révélations quelque peu tardives –, l’auteur et interprète en profite pour se vêtir et, après un changement brusque d’éclairage, entame une dernière scène silencieuse. Il enfile alors au bout de ses doigts, à l’aide d’une aiguille, d’étranges petites fleurs de papier… avant de regarder le public avec une certaine sérénité intense. Le cérémonial, à la fois intrigant et envoûtant, demeure en partie énigmatique. On en ressort pourtant, après une heure, avec un sentiment de paix, et d’admiration devant la maîtrise des divers éléments d’une performance somme toute plutôt inattendue.
Texte et interprétation : Charles Voyer. Mise en scène : JJ Houle. Conception lumière : Flavie Lemée. Scénographie : Léo Gaudreault. Conception sonore : Antoine Racine. Une production du Théâtre indépendant, présentée à la salle intime du Théâtre Prospero jusqu’au 22 octobre 2022.
Il est des sujets difficiles, voire impossibles à aborder sur une scène. L’agression sexuelle subie durant l’enfance, quand on en a été soi-même victime, en fait sans doute partie. Même si la nécessité d’exorciser, de dire l’indicible, de sortir du cercle vicieux de la mémoire – qui tait puis ramène des souvenirs enfouis dont les détails sont demeurés intacts – peut être hautement compréhensible. Pour Charles Voyer, qui présente Le gardien des enfants à la salle intime du Théâtre Prospero, le processus de décantation mémorielle a été long pour en arriver à partager la douleur ressentie, dans le but avoué de rejoindre la sensibilité des spectateurs et des spectatrices. Il réussit ce pari risqué en s’éloignant de tout réalisme scénique.
Le comédien, qui signe aussi le texte, a opté pour une sorte de parabole, un conte poétique, pour rendre compte des expériences traumatisantes vécues lorsqu’il était enfant puis adolescent. On y parle d’une « bête délicate », qu’on appelait l’Innocence. Cela se passe dans une forêt, où des jeunes vont libres, joyeux et joyeuses, et où un Gardien, « le seul à ne pouvoir jouir des félicités de l’Innocence », finit par s’en saisir et la détruire. Cela, Charles Voyer nous le raconte lentement, en mots pesés, jalonnés de silences, la voix posée, en confidence mais sans mièvrerie ; le texte porte d’autant plus que la scène, plongée dans la pénombre, dévoile peu à peu la nudité de l’interprète s’exposant ainsi dans toute sa vulnérabilité. Sa voix, chacune de ses paroles, se répercute en écho, alliée à un montage sonore et musical ponctuant l’action, parfois de façon percutante. Les jeux d’éclairage, subtils et précis, impliquant des panneaux lumineux rouges s’allumant en alternance, dirigent adroitement l’attention du public au fil du récit.
Voix internalisées
Tout en se maintenant d’un bout à l’autre de la représentation dans la lenteur d’un rituel, le comédien utilise un bidon – comme ceux servant à transporter l’essence –, verse de l’eau dans un bassin évoquant celui du révélateur où l’on développait jadis les photos, et s’y s’étend, invoquant son passé. Puis, accroupi, pratiquement sans remuer les lèvres, à la manière d’un ventriloque, le visage en pleine lumière, il donne une voix basse, inquiétante, au Gardien, à laquelle répond celle, légère, apeurée, de l’enfant. Moment particulièrement fort, où l’eau, ses bruits, ses reflets, épousent le flou des souvenirs lui revenant par bribes après 20 ans d’oubli : comme celui d’un site de snuff movies, ces vidéos violentes de torture, de meurtre et de viol, découvert à l’adolescence, et ayant perturbé son développement psychologique. « Le chaos de l’intimité est inexprimable », dit-il. Plus tard, une bouilloire ancienne lui sert à purifier son corps et peut-être son esprit, geste de réappropriation ultime.
Utilisant une minuterie marquant le temps d’un récit enregistré, où sont révélés les attouchements criminels d’un gardien dans les toilettes d’un service de garde – révélations quelque peu tardives –, l’auteur et interprète en profite pour se vêtir et, après un changement brusque d’éclairage, entame une dernière scène silencieuse. Il enfile alors au bout de ses doigts, à l’aide d’une aiguille, d’étranges petites fleurs de papier… avant de regarder le public avec une certaine sérénité intense. Le cérémonial, à la fois intrigant et envoûtant, demeure en partie énigmatique. On en ressort pourtant, après une heure, avec un sentiment de paix, et d’admiration devant la maîtrise des divers éléments d’une performance somme toute plutôt inattendue.
Le gardien des enfants
Texte et interprétation : Charles Voyer. Mise en scène : JJ Houle. Conception lumière : Flavie Lemée. Scénographie : Léo Gaudreault. Conception sonore : Antoine Racine. Une production du Théâtre indépendant, présentée à la salle intime du Théâtre Prospero jusqu’au 22 octobre 2022.