Critiques

Maurice : Hymne à la beauté

sortir coma décrit permanente© Emilie Dumais

Au sortir de son coma, qu’il décrit comme une permanente et sublime lumière, Maurice est ébloui par la beauté du monde : son lit, le soleil, la chambre, l’infirmière. Tout est tellement beau qu’il en pleure de joie. Il est revenu de ce paradis accidentel pour les deux personnes indispensables de sa vie : sa mère et son fils de 9 ans, unique témoin de son AVC. Heureusement, l’enfant a eu le réflexe d’appeler le 911. 

Tout a changé dans sa vie. Il préfère les merveilles qu’il découvre aux capacités antérieures envolées, disparues. Mais lorsqu’il est seul, Maurice ne peut plus penser. Encore moins réfléchir. Sa tête est… décervelée. C’est en jasant avec les autres, que son esprit s’allume avec vivacité et précision, même s’il bute sur certains mots. Alors Anne-Marie Olivier, quand elle s’avance sur scène dans la peau de Maurice, invite au hasard une personne du public à venir la rejoindre. Hier, c’était Henri. Il deviendra son partenaire d’un soir. Celui qui lui permettra de réfléchir à voix haute. Car la pensée se développe en parlant. À chaque représentation, un nouveau ou une nouvelle volontaire. C’est par ce truchement que Maurice peut raconter son histoire. 

© Émilie Dumais

La réalité augmentée

Métamorphosé par cet accident cérébral, Maurice se reconstruit dans cet échange dynamique avec Henri. Il l’utilise comme témoin actif, s’appuie sur lui pour compléter et articuler des informations qu’il ne peut plus traiter, dont les chiffres, les phrases complexes, les noms propres. Alors Maurice, dans son langage à la syntaxe disloquée, se déploie devant nous telle la chrysalide s’ouvre au monde.

Car la colère de l’homme face à sa paralysie et son refus d’être le légume diagnostiqué par les médecins le placent du côté des battant·es. À l’horreur du vide, aussi lumineux soit-il, il oppose le torrent de la vie, cette chose faite de merveilles. Les chiffres dans sa tête d’économiste n’existent plus, ils ont été emportés par son aphasie. Heureusement. Cela laisse toute la place à l’art, à la littérature et surtout à l’opéra.

Lorsque Anne-Marie Olivier disparaît dans la peau de Maurice, une chimère naît sous un jet de lumière. Sa force, sa fragilité, la puissance de sa volonté contre la paralysie sont contenues dans ce geste lent et laborieux d’éplucher une orange de sa main gauche, la droite étant retenue dans une attelle. Alors s’engage l’ultime narration avec son acolyte d’un soir. Le jeu est périlleux, mais mardi, soir de première, Olivier a transcendé la scène et la salle. Elle s’est appuyée sur la réjouissante habileté d’Henri à entrer dans le jeu pour aussitôt confondre le public et en faire un complice conquis.

Maurice ne cache rien, son récit nous fait basculer dans un univers peu connu. Malgré les douleurs, la rage, le travail acharné, il affirme avec une conviction non feinte qu’il ne voudrait pas retourner à la réalité d’avant. Son cerveau transformé ne peut plus désormais que vivre dans la magie du monde. Tout le reste n’existe pas. Il ne regrette que l’amour perdu naguère, tel que le chante le fol amoureux dans le célèbre opéra de Gluck, Orphée et Eurydice

En jouant l’émotion contre la raison, la beauté entremêlée au banal, Maurice est un petit bijou d’humanité. Et Anne-Marie Olivier, avec une fluidité désarmante, nous invite à entrer en osmose avec ce phénoménal personnage plus grand que nature, à qui le tableau final rend un vibrant hommage en nous arrachant le cœur. Olivier Arteau, le nouveau directeur artistique du Théâtre du Trident, nous propose une mise en scène dépouillée, dans un cadre épuré qui laisse toute la place à l’actrice et au déroutant texte. Le débridé metteur en scène d’Antigone et de Made in Beautiful fait ici la preuve qu’il peut jouer sur plusieurs registres. Un spectacle à ne pas manquer.

Maurice

Texte : Anne-Marie Olivier. Mise en scène : Olivier Arteau. Scénographie et costumes : Erica Schmitz. Éclairages : Lucie Bazzo. Environnement sonore : Sarah Villeneuve-Desjardins. Conseils artistiques : Julie Marie Bourgeois. Avec Anne-Marie Olivier et Michèle Motard. Une production du Théâtre Bienvenue aux dames !, présentée au Théâtre Périscope jusqu’au 12 novembre 2022.