Avant même que le rideau ne se lève, ça palabre en coulisse. Les membres du Projet Bocal expriment leur trac, se querellent sur des détails de la représentation, dont, entre autres, le fait que Simon ait gardé ses chaussettes et ne soit pas vêtu de noir comme ses deux collègues : Sonia et Raphaëlle. Le ton est donné et le public est averti. Ce n’est pas un spectacle convenu auquel il s’apprête à assister. La petite compagnie, réputée pour son autodérision et son côté volontairement brouillon (qui en est à sa cinquième production en 10 ans), se prépare à déverser sa folie créatrice sur le vaste plateau de la vénérable institution.
Maintenant à l’avant-scène, le trio trace laborieusement les grandes lignes de sa démarche de création. Il souligne le fait qu’au terme de sa résidence, il avait en tête de monter une grosse pièce de théâtre américain (clin d’œil au courant qui a longtemps prévalu chez Duceppe), mais qu’après mûre réflexion, le jeu dans sa plus simple expression s’était imposé : l’improvisation. Dénuement oblige : l’important financement du principal commanditaire a été versé à une obscure fondation.
Le rideau se lève enfin sur une scène complètement vide, où les trois comparses se préparent, se concentrent, s’arc-boutant pour livrer leur prestation improvisée. Mais rien ne se passe, cela s’éternise. Après de longues minutes, on tente un mouvement, on se rétracte et on craque. Ce n’est pas possible, les protagonistes en viennent à la conclusion que ça ne fonctionne pas. La première idée, le théâtre américain, refait surface. Mais sans budget adéquat, c’est impensable. Surprise : on apprend que le transfert bancaire n’a pas été complété. On dispose donc de tout l’argent nécessaire à la réalisation du grand rêve.
Feu roulant
Alors, showtime ! Le plateau tourne, dévoilant comme par magie le fastueux intérieur d’une riche demeure aux allures victoriennes, nichée quelque part en Nouvelle-Angleterre. À cheval entre l’humour décalé des Monty Python et de celui absurde de La Petite Vie, une famille dysfonctionnelle s’apprête à fêter Thanksgiving. Autour de Robert (désopilant Éric Bernier), le patriarche engoncé dans un ensemble de couleur rose trop serré pour lui, gravitent femme, maîtresse, gendre, enfants et petit-enfant totalement déjanté·es. La table est mise pour une comédie extravagante où digressions, apartés, anachronismes et ruptures de ton foisonnent.
Mais ce serait sous-estimer l’imagination débordante du Projet Bocal que de croire à un probable statu quo. Donc, à la suite d’une discorde entre les membres du trio, le chaos surgit, le décor se disloque, nous entraînant cette fois dans un délirant pastiche de genres théâtraux. Après une espiègle parodie de la comédie musicale Cats, suivie d’un surprenant happening expérimental, puis d’un extrait de théâtre documentaire aussi jouissif qu’austère, ainsi que d’un tonitruant affrontement de rap, faisant réapparaître les tensions entre Simon, Raphaëlle et Sonia, tout va basculer vers une finale à la fois extravagante et inattendue.
Le Projet bocal, entouré de sept autres ineffables interprètes, nous livre, au fil de tous cess tableaux irrésistibles, où danses et chants se succèdent, une performance impressionnante. Sous son allure échevelée, le spectacle exige un rythme soutenu et une rigueur indéniable.
Cette fausse mise en abyme où tout le milieu théâtral (y compris Robert Lepage) est gentiment raillé n’a rien de revanchard, au contraire. La proposition du Projet Bocal est un bol d’air frais jubilatoire, un véritable élixir à la morosité ambiante.
Texte et mise en scène : Sonia Cordeau, Simon Lacroix et Raphaëlle Lalande. Assistance à la mise en scène : Andrée-Anne Garneau. Scénographie : Odile Gamache. Costumes : Elen Ewing. Éclairages : Étienne Boucher. Musique : Yves Morin. Accessoires : Julie Measroch. Maquillages et coiffures : Justine Denoncourt Bélanger. Chorégraphies : Isabelle Boulanger. Avec Éric Bernier, Sonia Cordeau, Jean-Marc Dalphond, Natacha Filiatrault, Simon Lacroix, Raphaëlle Lalande, Dominique Leduc, Étienne Lou, Alexia Martel et Olivier Rousseau. Une production du Projet Bocal, présentée au Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 17 décembre 2022.
Avant même que le rideau ne se lève, ça palabre en coulisse. Les membres du Projet Bocal expriment leur trac, se querellent sur des détails de la représentation, dont, entre autres, le fait que Simon ait gardé ses chaussettes et ne soit pas vêtu de noir comme ses deux collègues : Sonia et Raphaëlle. Le ton est donné et le public est averti. Ce n’est pas un spectacle convenu auquel il s’apprête à assister. La petite compagnie, réputée pour son autodérision et son côté volontairement brouillon (qui en est à sa cinquième production en 10 ans), se prépare à déverser sa folie créatrice sur le vaste plateau de la vénérable institution.
Maintenant à l’avant-scène, le trio trace laborieusement les grandes lignes de sa démarche de création. Il souligne le fait qu’au terme de sa résidence, il avait en tête de monter une grosse pièce de théâtre américain (clin d’œil au courant qui a longtemps prévalu chez Duceppe), mais qu’après mûre réflexion, le jeu dans sa plus simple expression s’était imposé : l’improvisation. Dénuement oblige : l’important financement du principal commanditaire a été versé à une obscure fondation.
Le rideau se lève enfin sur une scène complètement vide, où les trois comparses se préparent, se concentrent, s’arc-boutant pour livrer leur prestation improvisée. Mais rien ne se passe, cela s’éternise. Après de longues minutes, on tente un mouvement, on se rétracte et on craque. Ce n’est pas possible, les protagonistes en viennent à la conclusion que ça ne fonctionne pas. La première idée, le théâtre américain, refait surface. Mais sans budget adéquat, c’est impensable. Surprise : on apprend que le transfert bancaire n’a pas été complété. On dispose donc de tout l’argent nécessaire à la réalisation du grand rêve.
Feu roulant
Alors, showtime ! Le plateau tourne, dévoilant comme par magie le fastueux intérieur d’une riche demeure aux allures victoriennes, nichée quelque part en Nouvelle-Angleterre. À cheval entre l’humour décalé des Monty Python et de celui absurde de La Petite Vie, une famille dysfonctionnelle s’apprête à fêter Thanksgiving. Autour de Robert (désopilant Éric Bernier), le patriarche engoncé dans un ensemble de couleur rose trop serré pour lui, gravitent femme, maîtresse, gendre, enfants et petit-enfant totalement déjanté·es. La table est mise pour une comédie extravagante où digressions, apartés, anachronismes et ruptures de ton foisonnent.
Mais ce serait sous-estimer l’imagination débordante du Projet Bocal que de croire à un probable statu quo. Donc, à la suite d’une discorde entre les membres du trio, le chaos surgit, le décor se disloque, nous entraînant cette fois dans un délirant pastiche de genres théâtraux. Après une espiègle parodie de la comédie musicale Cats, suivie d’un surprenant happening expérimental, puis d’un extrait de théâtre documentaire aussi jouissif qu’austère, ainsi que d’un tonitruant affrontement de rap, faisant réapparaître les tensions entre Simon, Raphaëlle et Sonia, tout va basculer vers une finale à la fois extravagante et inattendue.
Le Projet bocal, entouré de sept autres ineffables interprètes, nous livre, au fil de tous cess tableaux irrésistibles, où danses et chants se succèdent, une performance impressionnante. Sous son allure échevelée, le spectacle exige un rythme soutenu et une rigueur indéniable.
Cette fausse mise en abyme où tout le milieu théâtral (y compris Robert Lepage) est gentiment raillé n’a rien de revanchard, au contraire. La proposition du Projet Bocal est un bol d’air frais jubilatoire, un véritable élixir à la morosité ambiante.
Showtime, une grosse pièce de théâtre
Texte et mise en scène : Sonia Cordeau, Simon Lacroix et Raphaëlle Lalande. Assistance à la mise en scène : Andrée-Anne Garneau. Scénographie : Odile Gamache. Costumes : Elen Ewing. Éclairages : Étienne Boucher. Musique : Yves Morin. Accessoires : Julie Measroch. Maquillages et coiffures : Justine Denoncourt Bélanger. Chorégraphies : Isabelle Boulanger. Avec Éric Bernier, Sonia Cordeau, Jean-Marc Dalphond, Natacha Filiatrault, Simon Lacroix, Raphaëlle Lalande, Dominique Leduc, Étienne Lou, Alexia Martel et Olivier Rousseau. Une production du Projet Bocal, présentée au Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 17 décembre 2022.