« Nous nous racontons des histoires pour vivre », a jadis écrit la romancière américaine Joan Didion. L’esprit de Neecheemus, spectacle à plusieurs voix qui célèbre la féminité autochtone, fait écho à ces paroles qui nous rappellent que l’art de se raconter mutuellement – et d’ouvrir le cercle à des allié·es – est une pratique propre à restaurer l’humanité. Un art ancestral ancré dans le besoin de ne pas oublier, de se remémorer, de se reconnaître dans l’autre et peut-être même de guérir, de se réconcilier dans la dignité. Neecheemus rassemble des brides de savoirs sur l’amour provenant d’avant la colonisation, le confinement de la vie dans les réserves, les règles répressives des prêtres, ces « robes noires » qui ont imposé le cadre hétéronormatif du mariage aux pratiques amoureuses. Un précieux enseignement, qui invite tout autant à écouter qu’à désapprendre.
Sous la direction d’Émilie Mollet, les artisanes de ce très beau spectacle nous rappellent que nous sommes tous et toutes fait·es pour la chaleur, pour l’amour, la rencontre, la sensualité, l’épanouissement des sens. La scène de l’Espace GO est ainsi métamorphosée en un vaste salon d’inspiration marocaine, avec des divans, des peaux d’animaux, des amas de chandelles et de larges tapis qui créent une atmosphère enveloppante. Les raconteuses de la soirée, Joséphine Bacon, Elisapie, Catherine Boivin, Sharon Fontaine-Ishpatao, Virginia Pésémapéo Bordeleau, Isabelle Picard, Angélique Willkie et Tatiana Zinga Botao, prennent place à la manière de huit heureuses membres d’un cercle de paroles 100 % féminin. Les platinistes Anachnid et Frannie Holder ajoutent une ambiance sonore festive.
Confidences à la chandelle
Le temps de quelques soirées de janvier, Espace GO est donc transformé en un chaleureux lieu de confidences, de récits, de légendes, des arts narratifs qui tous célèbrent et réclament la grandeur et la spécificité de la sexualité autochtone. Dans une mise en scène qui offre toute la place à la présence des artistes, leur écoute attentive devient aussi importante que les prises de parole. Et cette dynamique réussie s’installe de manière très naturelle et authentique.
Sans complexe, et dans un esprit très candide, les conteuses se livrent en abordant le sujet de la sexualité selon plusieurs perspectives. On a le privilège d’entrer dans la vie intime des peuples innus et atikamekw, avec un détour du côté de l’Afrique centrale. Il y a Elisapie qui nous berce de sa voix si limpide, avec un récit doucement fragmenté de rencontres sensuelles teintées de Guns’n’Roses et de sorties en motoneige, une traversée enveloppée par le froid du territoire, la découverte de la sexualité et les aîné·es qui veillent au grain. Dans un autre registre, l’ethnologue Isabelle Picard offre avec éloquence une mise en contexte quant à la monogamie au temps du labeur migratoire, avec notamment une intrigante allusion aux « conjointes temporaires ».
Neecheemus est aussi un espace où le corps, le baiser, la peau, la jouissance se dévoilent. La jeune Sharon Fontaine-Ishpatao y participe de manière brève, sensuelle et assumée. Son aînée Virginia Pésémapéo Bordeleau, quant à elle, le fait avec des mots choisis avec plus de réserve, mais qui distillent élégamment le goût du plaisir charnel. Sans oublier l’incomparable Joséphine Bacon, drôle et philosophe, qui se glisse avec humour dans l’aspect légendaire de la rencontre amoureuse, avec une prestation qui l’amène à prendre le sol à bras le corps. Sous la bienveillante gouverne de ces guides, le public se glisse dans une ambiance tout en douceur, où l’humour, le mouvement, la poésie, la musique, les confidences coquines s’entremêlent.
Certes, l’aspect festif et rassembleur domine, tout au long de cette soirée empreinte de la joie de se retrouver ensemble autour d’un thème aussi heureux. Mais il y a aussi une parole politique qui se trame. À l’ère du #metoo, on peut certainement y repérer quelques voies et clés pour (ré)apprendre le lien avec l’autre. Parce que Neecheemus (qui signifie ma/mon chéri·e en cri), parle davantage de libre-arbitre et de connaissance intime et même ancestrale du plaisir, que de consentement, un concept qui soudainement nous paraît bien beige et passif.
C’est bien ce qui arrive quand on ouvre le cercle de paroles à celles que l’Histoire, telle que construite par les Blancs, n’a pas cru bon d’honorer de son regard officiel : on reconstitue un toile faite d’une toute autre perspective, d’autres odeurs et saveurs, qui composent le savoir des femmes cueilleuses, amantes, poétesses, survivantes, mères et gardiennes du territoire.
Textes : Joséphine Bacon, Marie-Louise Bibish Mumbu, Catherine Boivin, Elisapie, Sharon Fontaine-Ishpatao, Virginia Pésémapao Bordeleau, Isabelle Picard et Angélique Willkie. Direction artistique et mise en scène : Émilie Monnet. Assistance à la mise en scène et direction de production : Suzanne Crocker. Scénographie : Eruowa Awashish. Conception sonore et musique : Anachnid et Frannie Holder. Une coproduction d’Espace GO et d’Onishka, présentée au Théâtre Espace GO jusqu’au 22 janvier 2023.
« Nous nous racontons des histoires pour vivre », a jadis écrit la romancière américaine Joan Didion. L’esprit de Neecheemus, spectacle à plusieurs voix qui célèbre la féminité autochtone, fait écho à ces paroles qui nous rappellent que l’art de se raconter mutuellement – et d’ouvrir le cercle à des allié·es – est une pratique propre à restaurer l’humanité. Un art ancestral ancré dans le besoin de ne pas oublier, de se remémorer, de se reconnaître dans l’autre et peut-être même de guérir, de se réconcilier dans la dignité. Neecheemus rassemble des brides de savoirs sur l’amour provenant d’avant la colonisation, le confinement de la vie dans les réserves, les règles répressives des prêtres, ces « robes noires » qui ont imposé le cadre hétéronormatif du mariage aux pratiques amoureuses. Un précieux enseignement, qui invite tout autant à écouter qu’à désapprendre.
Sous la direction d’Émilie Mollet, les artisanes de ce très beau spectacle nous rappellent que nous sommes tous et toutes fait·es pour la chaleur, pour l’amour, la rencontre, la sensualité, l’épanouissement des sens. La scène de l’Espace GO est ainsi métamorphosée en un vaste salon d’inspiration marocaine, avec des divans, des peaux d’animaux, des amas de chandelles et de larges tapis qui créent une atmosphère enveloppante. Les raconteuses de la soirée, Joséphine Bacon, Elisapie, Catherine Boivin, Sharon Fontaine-Ishpatao, Virginia Pésémapéo Bordeleau, Isabelle Picard, Angélique Willkie et Tatiana Zinga Botao, prennent place à la manière de huit heureuses membres d’un cercle de paroles 100 % féminin. Les platinistes Anachnid et Frannie Holder ajoutent une ambiance sonore festive.
Confidences à la chandelle
Le temps de quelques soirées de janvier, Espace GO est donc transformé en un chaleureux lieu de confidences, de récits, de légendes, des arts narratifs qui tous célèbrent et réclament la grandeur et la spécificité de la sexualité autochtone. Dans une mise en scène qui offre toute la place à la présence des artistes, leur écoute attentive devient aussi importante que les prises de parole. Et cette dynamique réussie s’installe de manière très naturelle et authentique.
Sans complexe, et dans un esprit très candide, les conteuses se livrent en abordant le sujet de la sexualité selon plusieurs perspectives. On a le privilège d’entrer dans la vie intime des peuples innus et atikamekw, avec un détour du côté de l’Afrique centrale. Il y a Elisapie qui nous berce de sa voix si limpide, avec un récit doucement fragmenté de rencontres sensuelles teintées de Guns’n’Roses et de sorties en motoneige, une traversée enveloppée par le froid du territoire, la découverte de la sexualité et les aîné·es qui veillent au grain. Dans un autre registre, l’ethnologue Isabelle Picard offre avec éloquence une mise en contexte quant à la monogamie au temps du labeur migratoire, avec notamment une intrigante allusion aux « conjointes temporaires ».
Neecheemus est aussi un espace où le corps, le baiser, la peau, la jouissance se dévoilent. La jeune Sharon Fontaine-Ishpatao y participe de manière brève, sensuelle et assumée. Son aînée Virginia Pésémapéo Bordeleau, quant à elle, le fait avec des mots choisis avec plus de réserve, mais qui distillent élégamment le goût du plaisir charnel. Sans oublier l’incomparable Joséphine Bacon, drôle et philosophe, qui se glisse avec humour dans l’aspect légendaire de la rencontre amoureuse, avec une prestation qui l’amène à prendre le sol à bras le corps. Sous la bienveillante gouverne de ces guides, le public se glisse dans une ambiance tout en douceur, où l’humour, le mouvement, la poésie, la musique, les confidences coquines s’entremêlent.
Certes, l’aspect festif et rassembleur domine, tout au long de cette soirée empreinte de la joie de se retrouver ensemble autour d’un thème aussi heureux. Mais il y a aussi une parole politique qui se trame. À l’ère du #metoo, on peut certainement y repérer quelques voies et clés pour (ré)apprendre le lien avec l’autre. Parce que Neecheemus (qui signifie ma/mon chéri·e en cri), parle davantage de libre-arbitre et de connaissance intime et même ancestrale du plaisir, que de consentement, un concept qui soudainement nous paraît bien beige et passif.
C’est bien ce qui arrive quand on ouvre le cercle de paroles à celles que l’Histoire, telle que construite par les Blancs, n’a pas cru bon d’honorer de son regard officiel : on reconstitue un toile faite d’une toute autre perspective, d’autres odeurs et saveurs, qui composent le savoir des femmes cueilleuses, amantes, poétesses, survivantes, mères et gardiennes du territoire.
Neecheemus
Textes : Joséphine Bacon, Marie-Louise Bibish Mumbu, Catherine Boivin, Elisapie, Sharon Fontaine-Ishpatao, Virginia Pésémapao Bordeleau, Isabelle Picard et Angélique Willkie. Direction artistique et mise en scène : Émilie Monnet. Assistance à la mise en scène et direction de production : Suzanne Crocker. Scénographie : Eruowa Awashish. Conception sonore et musique : Anachnid et Frannie Holder. Une coproduction d’Espace GO et d’Onishka, présentée au Théâtre Espace GO jusqu’au 22 janvier 2023.