Critiques

«M» : Un optimisme sans faille

© Sylvie-Ann Paré

Joli·es. Réjouissant·es. Frais et fraîches. Les danseurs et danseuses de Marie Chouinard font éclater leur joie. La chorégraphe a toujours été fantaisiste, émerveillée par le jeu. Elle aime la vitalité, les sons de gorge, la jeunesse et la fébrilité tremblante des interprètes. Elle éclaire, avec «M», un agréable parterre d’artistes pétillant·s, rose, orange, pourpre, vert bonbon, tels des sucres fondants.

Torses nus, emperruqué·es à la façon des mannequins de vitrines, pantalons de sport légers et brillants, ils et elles s’arcboutent, rampent, sautent et s’élancent, dansent en groupe serré et encore en ronde. La troupe est unie dans ce M comme Marie, honorant la signature de la chorégraphe, M comme Mouvement et Musique, M marquant d’un sceau l’inimitable monde de Chouinard.

Pêche, mandarine, lime, violet. Éclairé sur un fond de lumière étale, sorte de rideau de scène dématérialisé, l’essaim des interprètes s’active. La créatrice décline ses jeux en harmonie et présente une chorégraphie bien finie, rythmée sans défaut. Un espace sonore entêtant accompagne cette danse, avec la composition originale d’un fidèle partenaire, Louis Dufort. L’ensemble constitue une pièce ludique très au point, pétillante et divertissante.

Sylvie-Ann Paré

Fidélité

On peut revoir, dans «M», le style des chorégraphies de Marie Chouinard. Qu’on pense aux Trous du Ciel ou au Cri du monde, elle a toujours conjugué théâtralité et souplesse, féminité et touche d’exotisme, et la façon dont les enfants espiègles imitent ce qu’ils et elles voient. Son talent est de surprendre à tout coup avec une œuvre plastique raffinée.

Dans «M», à l’esthétique estivale, elle ajoute silhouettes égyptiennes, déhanchements africains et teintes coréennes. Les couleurs vives des costumes et perruques font penser aux emballages japonais, aux parfums exotiques et, surtout, aux kokeshi, ces poupées japonaises représentant de petites filles sculptées dans du bois, qui sont très aimées des touristes. Leur signification s’est un peu perdue, qu’on les conçoive symboles du désir d’enfant, fétiches, offrandes aux déesses de la fertilité, jouets ou cadeaux d’affection. Avec leur tête ronde encadrée d’une chevelure coupée au carré et leur corps blanc cylindrique, égayé de dessins joyeux, on dit aussi qu’elles gardent le souvenir d’enfants jadis sacrifié·es. Fabriquées par des artisan·es, elles servent parfois aux massages.

Les interprètes de «M» ont, en outre, quelque chose des avatars Mii qui circulent dans les jeux vidéo et les applications pour téléphones. Mii signifie « moi ». Ces avatars sont tous pareils, sauf en taille et légèrement individualisés, et sont fort populaires dans le monde de la bande dessinée et du jeu. Cette référence imagée s’impose dans M. Librement, bien sûr, car, en fait de poupées, elles s’époumonent ! Toute la pièce s’accompagne de tremblements, de secousses, qui font le lien avec les cris sauvages et les sons inventés que livrent ces danseurs et danseuses aux mille facéties.

Ainsi la douzaine de « Miis » circulent ici tels des dessins animés, des animaux indomptés, des bébés agités. Ils et elles gémissent, soufflent, grognent, poussent des hurlements étranges, travaillant le corps intérieur comme des instruments nouveaux. C’est électrique, nerveux, original, aussi acidulé qu’un gin fizz citronné. Peu de soda, beaucoup d’alcool ! La recherche vocale est superbe, donnant l’impression générale d’une jeunesse éternelle, grâce à cette orchestration des couleurs, tendance 2023, côté Côte d’Azur.

Sylvie-Ann Paré

«M»

Chorégraphie, lumières, scénographie, costumes, perruques et partition vocale : Marie Chouinard. Musique : Louis Dufort. Maquillages : Jacques-Lee Pelletier. Direction de production : Jérémie Boucher. Répétitions : Lucie Vigneault, Isabelle Poirier, Tony Chong et Amy Shulman. Avec Carol Prieur, Valeria Galluccio, Motrya Kozbur, Paige Culley, Clémentine Schindler, Luigi Luna, Jossua Collin Dufour, Adrian W.S. Batt, Celeste Robbins, Michael Baboolal, Rose Gagnol et Scott McCabe. Une production de la Compagnie Marie Chouinard, présentée au théâtre Maisonneuve de la Place des Arts jusqu’au 4 février 2023.