Critiques

Festival TransAmériques : Je me souviens

© Bea Borgers

Dans ses deux spectacles présentés au FTA (Oblivion, 2018) et Mémé cette année, Sarah Vanhee revendique son droit au passé. Le travail documenté qu’elle effectue en creusant la mémoire sert à éclairer le présent, le sien et celui des femmes en général.

Avec Oblivion, Sarah Vanhee faisait l’inventaire de tous ses déchets amassés pendant une année complète. Ces objets parlaient autant que les poupées de chiffon, de la taille d’un jouet ou de grandeur nature, qui représentent les membres de sa famille dans Mémé, ce très beau spectacle créé l’an dernier au Kunstenfestivaldesarts.

La pièce se penche sur la vie complexe de ses deux grands-mères, l’une forte, l’autre dépressive. Elles pourraient être les nôtres, ces mémés qui ont connu des existences souvent pénibles, limitées par les lois du patriarcat : bosser du matin au soir en élevant à la maison de nombreux enfants, et ce, sans aucune reconnaissance.

Les fantômes des grands-mères de l’autrice lui permettent de faire la dénonciation tranquille de conditions de vie des femmes tout compte fait inhumaines et qui, malheureusement, perdurent encore à certains endroits aujourd’hui.

Les hommes partent à la guerre ou travaillent la terre, pendant que les femmes font absolument tout le reste, mentionne l’artiste. Mais ce ne sont pas que des restes dont il s’agit vraiment, bien plutôt les bases du vivant et des relations humaines. Entre abnégation, résilience et foi.

© Bea Borgers

Silence évocateur

Même si cela se passe dans le plat pays de la Flandre, un territoire imposant le silence, Mémé se veut une pièce universelle basée sur la vie intime des femmes. Sarah Vanhee utilise avec justesse le théâtre d’objets et d’ombres chinoises ainsi que des vidéos de son fils pour parler de filiation et d’un avenir qu’on peut espérer différent.

Malgré un départ un peu lent, le spectacle prend de l’ampleur pour verser peu à peu dans l’émotion pure et bienveillante en passant par un humour de bon ton. À la fin, l’autrice et performeuse s’assoit avec les marionnettes des mémés pour leur offrir des lectures féministes contemporaines.

Entre ces grands-mères et Sarah Vanhee, ce qui ne change pas et permet la suite du monde est la pratique du care dans un monde post-pandémique qui en a bien besoin.

© Bea Borgers

Mémé

Conception, texte et interprétation : Sarah Vanhee. Objets et scénographie : Toztli Abril de Dios. Son : Ibelisse Guardia Ferragutti. Regard extérieur : Christine de Smedt. Technique : Babette Poncelet et Geeraard Respeel. À l’écran : Leander Polzer Vanhee. Avec la collaboration de Famille Vanhee-Deseure. Production : CAMPO. Coproduction : Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles), Kaaitheater (Bruxelles), Wiener Festwochen (Vienne), BUDA (Courtrai), HAU (Berlin), De Grote Post (Ostende), Théâtre de la Bastille (Paris), Festival d’Automne à Paris, Perpodium avec le soutien du Tax Shelter du Gouvernement Fédéral de Belgique via uFund. Résidences : KWP Kunstenwerkplaats (Bruxelles), Kaaitheater (Bruxelles) et BUDA (Courtrai). Spectacle dédié à Denise Desaever et Margaretha Ghyselen. Présenté au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui dans le cadre du FTA, du 5 au 7 juin 2023.

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À propos de

Journaliste depuis 30 ans, Mario Cloutier est spécialisé en arts et culture après avoir été chef de division aux arts (La Presse), correspondant parlementaire (La Presse, Le Devoir) et rédacteur de nouvelles à la radio (Radio-Canada). Membre du comité de rédaction et chef de pupitre web de la revue JEU, il siège aussi aux conseils d’administration de l’Association des journalistes indépendants du Québec et de la revue Séquences. Dans les arts vivants, c’est la poésie qui le passionne, celle que l’on retrouve dans des créations originales, sortant des sentiers battus.