Entrevues

Andrea Peña : Grande première à Venise

© Félixe Godbout Delavaud

Événement important pour la danse d’ici, la jeune chorégraphe Andrea Peña ouvre la Biennale de Venise avec sa pièce Bogota à la suite d’un concours international. Elle était jusqu’à récemment en création à Montréal avec neuf interprètes qui travaillent avec elle depuis sept ans.

Dans Bogota d’Andrea Peña, on verra des symboles, une ambiance de chaos, une ville grouillante et des personnalités confrontées à ce monde en devenir, comme c’est le cas d’autres pays.

« Bogota est une ville extrêmement contrastée, entre l’ère coloniale et le monde trash industriel, explique la chorégraphe. La scéno mélange ces éléments. Un échafaudage peut être un objet sacré et monter dessus peut le désacraliser ! Les danseurs et danseuses y trouvent des archétypes qui les représentent personnellement, mais ces archétypes vivent aussi à travers eux et elles. »

Avec sa musique électronique, la pièce aura une portée atmosphérique et conceptuelle. Des sons ont été enregistrés en Amazonie, par exemple. La chorégraphe a découvert comment utiliser son identité dans son champ expérimental.

« Pour la première fois, je mets ma culture en avant. Rendre hommage à un pays qu’on a quitté parce que c’était trop difficile est important pour quelqu’un qui ne vit plus dans cette réalité. Il y a une fragilité et une beauté à retourner dans la riche mythologie colombienne et d’y entrer avec une équipe. »

Dans une grande scénographie de chantier et de paysage industriel, chaque interprète y représente un personnage mythologique, transposé dans des costumes contemporains, au gré de l’imaginaire d’Andrea Peña. « J’essaie de ne pas chercher des généralités ni des stéréotypes, mais des éléments précis de cette culture. La mort et la résurrection, aujourd’hui, sont au cœur de cette culture en construction continuelle. »

En répétition, les cycles de vie sont au centre de la thématique. La résilience, la joie, le fait de célébrer la vie donnent aux Colombien·nes un sens de la fête, poursuit-elle.

Andrea Peña © Bobby León

Origines

Cette jeune chorégraphe, davantage connue comme interprète au Ballet Jazz de Montréal, est arrivée au Canada avec sa famille à l’âge de trois ans.

« Deux ans plus tard, nous sommes repartis en Colombie où j’ai suivi des cours de danse classique. Puis mes parents ont décidé de retourner au Canada, à Vancouver, lorsque j’ai eu treize ans. Je suis allée ensuite à San Francisco danser avec Alonzo King, puis j’ai travaillé avec le Ballet B.C., et ensuite avec B. J. M. à Montréal. »

Andrea Peña n’avait pas l’intention d’être chorégraphe, mais une blessure lui a fait abandonner la danse. Elle prépare alors un diplôme de design à l’université Concordia, qui débute par un stage de création. Cette résidence de deux semaines avec cinq danseurs lui a donné la passion de la chorégraphie.

Venue d’une famille où l’on est habile de ses mains, Andrea Peña est attirée par les matériaux : le bois, le métal, la couture. « J’ai travaillé dans la mode comme styliste. Jeune, j’ai peint et dessiné beaucoup, par plaisir. Maintenant que je ne danse plus, le design me permet d’utiliser tous mes talents manuels. La curiosité de travailler la matérialité du métal pour lui donner du mouvement m’a amenée à la conception. »

Manifesto © Bobby León

Danse et design

Andrea Peña décide alors de mettre en lumière les aspects humains de cette activité : « Je m’efforce de privilégier l’agentivité des personnes, tout en travaillant le corps d’une façon structurelle, mais en donnant de l’importance aux choix de chacun·e. »

Ses premières pièces, pendant la COVID, au Centre Phi, lui ont permis d’explorer les relations spatiales, temporelles, sensorielles. Pendant 12 h, le public suivait ce qui s’y passait par les caméras de surveillance. Puis, Performing Intimacies a intégré le design, en proposant à des artistes séparés par la géographie de se toucher grâce à des écrans numériques.

Y a-t-il un fil conducteur avec ses nouvelles créations ? « Oui. Le code qui a été utilisé dans Performing Intimacies est le même que celui que j’ai gardé dans Manifesto, mais la pièce est plus performative. C’est une recherche transposée dans un nouveau contexte. »

Comment le corps peut-il alors comprendre la matière brute ?, lui demande-t-on.

« Dans Bogota, le dialogue entre danse et technologie est dirigé par la relation entre corps et matériaux. Je l’observe. Dans ma thèse de maîtrise, j’ai cherché comment les objets, comme une chaise, créent une gestuelle sur le corps. Un·e designer crée une chorégraphie dans l’environnement. Peut-on porter ce dialogue sur scène ? Je pose la question. »

Bogota est présenté à la Biennale de Venise les 13, 15 et 16 juillet 2023.