Critiques

L.U.C.A. : Hybridité, identité, fraternité

© Caroline Hayeur

Grégory Carnoly et Hervé Guerrisi sont des comédiens italo-belges qui forment la compagnie Eranova. Ensemble, ils fouillent leur passé, interrogent leurs familles respectives et prêtent même leur corps à la science pour livrer un spectacle hybride mêlant humour, science et commentaire social incisif autour de la question omniprésente : d’où viens-tu ?

C’est avec un enthousiasme contagieux et un rapport engagé auprès du public que le duo aborde les thèmes qui le préoccupent : la construction de l’identité et les origines de l’humanité, mais aussi les migrations des populations et le rapport à l’Autre, notamment sous l’aspect du racisme. Ainsi, ils parviennent ensemble à convaincre le public de sa parenté avec des êtres vivants parfois incongrus, et dont ils soulignent avec jubilation les points communs avec les humains, que ce soit le chant ou la digestion.

D’ailleurs, la jubilation est pratiquement un personnage à part entière dans ce drôle de monologue à deux, qui est en même temps un enchaînement de sketches et du théâtre documentaire. Par cet amalgame de genres, soutenu par divers supports visuels et surtout auditifs, Grégory Carnoly et Hervé Guerrisi veulent nous raconter rien de moins que l’histoire de l’humanité et du vivant, à partir de la cellule nommée Last Universal Common Ancestor (L.U.C.A.).

La recherche de leurs origines leur permet de tisser des liens avec un nombre croissant d’individus à mesure que la pièce avance. À travers une recherche génétique par analyse d’ADN, les deux comédiens en arrivent à une conclusion incontestable : la caractéristique que partagent les humains d’aujourd’hui et nos lointains ancêtres, c’est la migration.

Or les parallèles établis avec des précurseurs si lointains ne se calquent pas aussi impunément sur les générations plus proches. Car en interrogeant la mémoire familiale, le duo touche un point sensible qui l’amène au cœur de son propos : ce qu’on en commun les migrant·es qui traversent actuellement la Méditerranée sur des bateaux de fortune, et dont la présence enflamme la politique européenne, avec les immigrant·es qu’étaient aussi leurs propres grands-parents venus d’Italie.

© Caroline Hayeur

Le Soi et l’Autre

Par leur jeu formidablement physique, leur maîtrise technique et l’alchimie qui se dégage de leur rapport, les deux comédiens ajoutent à la thématique du spectacle une dimension plus sensible, celle de la fraternité. Alors que celle-ci s’épanouit sous nos yeux, elle manque cruellement au discours qui entoure les mouvements actuels de populations.

Plusieurs modes visuels sont employés, de la vidéo en direct aux images sur écran en passant par l’écriture blanche sur fond noir de style ardoise. Mais ce sont les supports auditifs, sous la forme d’enregistrement de conversations avec les membres de la famille des comédiens, qui s’avèrent les plus puissants, car ce sont eux qui portent l’aspect documentaire, versant parfois dans le réquisitoire, de ce spectacle qu’on pourrait qualifier de coup de poing dans un gant de velours.

Sans répondre à la question d’origine, le duo creuse si bien les notions de génétique, d’épigénétique et de généalogie qu’il parvient à faire la démonstration que, puisqu’on est tous un peu cousins, il ne devrait pas réellement exister de notion d’Autre… La finesse avec laquelle il juxtapose humour, rhétorique et émotion fait de L.U.C.A. un spectacle jouissif et profond dont on sort à la fois ravie et songeuse.

© Caroline Hayeur

L.U.C.A.

Conception et texte : Gregory Carnoli et Hervé Guerrisi. Co-mise en scène : Quantin Meert. Regard extérieur : Romain David. Mouvement : Èlia López. Assistanat : Laurence Briand. Costumes : Frédérick Denis. Création lumière et vidéo : Antoine Vilain. Son : Ludovic Van Pachterbeke. Régie lumière et vidéo : Coralie Scauflaire. Régie son : Christophe Deprez. Consultance vidéo : Arié Van Egmond. Création : Cie Eranova. Avec Gregory Carnoli et Hervé Guerrisi. Une production de L’Ancre – Théâtre Royal et une coproduction Théâtre National Wallonie-Bruxelles, du Théâtre Jean Vilar Vitry-sur-Seine, de la Coop asbl et de La Charge du Rhinocéros, présentée en collaboration avec le Théâtre de l’Ancre (Belgique) à La Chapelle Scènes Contemporaines dans le cadre du Festival Phénomena du 10 au 13 octobre 2023.