Critiques

Mōnad : Partager son authenticité

© David Wong

Le 4 avril dernier avait lieu la première de Mōnad, la nouvelle création d’Alexandra ‘Spicey’ Landé et pour une fois, elle n’est pas là en tant que chorégraphe, mais bien en tant qu’interprète, et en solo en plus. Un moment rare, tout en authenticité, qui nous transporte dans la multiplicité des univers de l’artiste de street dance.

Pas de début officiel pour Alexandra ‘Spicey’ Landé. En effet, dès l’entrée en salle, elle nous invite dans son monde, ou devrait-on dire ses multiples mondes. Au départ plutôt discrète, cachée par la noirceur de son costume et de ses accessoires, l’artiste transpire la danse et nous transporte par son corps qui lui est 100 % assumé, 100 % dans sa vérité.

Machine à coudre, à écrire, mètres de papier, tables, grandes toiles semi-transparentes… le décor est divers et intrigant, mais on comprend rapidement qu’il sera important. En effet, celui-ci, ainsi que les accessoires, prennent une part significative dans l’œuvre. Alexandra ‘Spicey’ Landé se laisse inspirer par ces différents objets, joue avec, danse avec, ou vit tout simplement avec. Car, plus qu’une performance de danse, Spicey nous livre un moment à elle, partage avec nous un moment d’authenticité. Ainsi, la danse alterne avec des moments plus loufoques, des explorations personnelles et des images fortes. Spicey se laisse aller, bouge quand elle l’entend, parle et s’amuse avec le public ou avec les éléments scéniques. Même suremballée dans du papier, la gestuelle est en toute maîtrise, véridique. Et surtout, les intentions de Spicey restent sincères.

Les nombreux jeux de lumière soulignent aussi la profondeur de la recherche et l’aspect primordial des représentations, des symboles que Spicey souhaite créer. Ceux-ci focalisent sur la performance, sur la musique, sur une part de l’artiste, ou encore embrassent la pénombre. Les lumières sont très bien choisies et créent des moments distincts qui se figent, telles des photos. Ces passages créent une trame narrative durant la pièce, nous plongent les uns dans les autres et nous restent par la suite en tête.

© David Wong

Toujours en connexion

L’une des constantes de la pièce est la collaboration entre le concepteur sonore Jai Nitai Lotus et Alexandra ‘Spicey’ Landé. En effet, bien qu’il s’agisse théoriquement d’un solo, les deux artistes ne font qu’un durant toute la performance. Ils sont toujours à l’écoute l’un de l’autre et s’alternent dans la lumière. Les moments plus calmes et apaisés de la danseuse laissent place à la création musicale de son partenaire de jeu. Et lorsque le corps se met davantage en mouvement, c’est lui qu’on suit davantage, sans pour autant oublier les sonorités qui l’animent. En effet, tant dans la gestuelle minimaliste que dans les mouvements plus grands et assumés, Spicey incarne sans cesse la musique. Son corps ne faisant qu’un avec les rythmes et les intentions qui s’y cachent en arrière, le hip-hop vibrant en elle telle son essence.

Tout au long de Mōnad, Spicey est libre de ses mouvements et y va à sa guise, à son envie du moment. Figure incontestable du freestyle, elle dévoile son carburant hip-hop dans chacun de ses états de corps et nous révèle, dans toute la beauté de l’improvisation, les nombreuses recherches corporelles qu’elle a faites dans les dernières années, mais aussi spécifiquement pour cette œuvre. On décèle beaucoup de jeux de mains, de musicalités plurielles dans le corps, de micromouvements et d’interprétations jusque dans le visage, même lorsque celui-ci est plus dissimulé.

Avec Mōnad, Spicey semble aussi vouloir connecter avec le public. En se livrant oui, mais aussi en riant, en partageant des éléments, en animant même parfois la foule. Et ce lien avec l’auditoire, elle l’a depuis plus de 20 ans, mais rarement de façon directe comme ça, au cœur même de la création, de son œuvre.

Avec cette nouvelle œuvre, Spicey voulait dépasser les atteintes et elle y parvient parfaitement en outrepassant largement l’image de la danseuse de hip-hop ou de la chorégraphe. De plus, avec philosophie, elle nous questionne sur la multiplicité de l’être et sa place dans le passé, le présent et le futur. Performance multidisciplinaire, Mōnad nous transmet à la fois des images et des sensations, mais nous livre aussi une part intime de l’artiste, dans une complexe simplicité.

© David Wong

Mōnad

Directrice artistique et performance : Alexandra ‘Spicey’ Landé. Concepteur sonore et performance : Jai Nitai Lotus. Conception d’éclairages : Leticia Hamaoui. Conceptrice de costumes : Nalo Soyini Bruce. Scénographie : Alexandra ‘Spicey’ Landé, Leticia Hamaoui. Conseillère artistique, répétitrice et coach : Frédérique ‘Pax’ Dumas. Aide à la dramaturgie : Helen Simard. Œil extérieur : Natasha Jean-Bart, Ellen Furey, Frédérique ‘Pax’ Dumas. Directeur technique : Zachary Dupuis. Figurante scénique : Jaleesa Coligny. Audiodescription : Etienne Lou, en collaboration avec Enora Rivière. Une coproduction d’Ebnflōh, Danse-Cité et Parbleux, présentée à La Chapelle Scènes Contemporaines jusqu’au 13 avril 2024.