Critiques

Une vie de femme : Métaphores philosophiques

© Yanick Macdonald

Farfelue, déstructurée, délurée, inspirante, et profonde, la nouvelle création de l’autrice et metteuse en scène Marie-Laurence Rancourt à Espace Go nous en fait voir de toutes les couleurs, parfois à en perdre l’équilibre, mais jamais sans plaisir.

L’œuvre débute par une simple narration, quoiqu’originale, qui raconte la disparition d’une femme, Marie. La réflexion s’immisce dès le départ dans l’œuvre avec le questionnement sur la vie, son sens, mais aussi la possibilité de s’en détacher, de la transformer, d’en vivre plusieurs à la fois. C’est la quête de soi, de liberté, l’assouvissement des désirs; et tout son contraire; se sentir coincé dans une vie, la lassitude, laisser passer la seule vie qu’on a, qui se joue devant nos yeux sans qu’on y soit le maître. C’est de toutes ces contradictions que traite Une vie de femme et qui fait forcément écho à chacun de nous. Qui n’a jamais pris un pas de recul pour observer sa vie, ses accomplissements, de haut, de loin ? Qui n’a jamais rêvé de l’impossible, de tout quitter, et tout recommencer ? Ainsi, le ton est rapidement posé. On plonge dans nos pensées, dans la philosophie que permettent l’art et la culture. Et dès le départ, il est aussi clair que rien de limpide et linéaire ne nous sera présenté. Bien au contraire. Il s’agit d’un hommage aux lignes aléatoires, aux lignes courbes, cassantes. Et déjà là, une belle métaphore de l’existence.

De fil en aiguille, les personnages prennent place sur scène, dans des rôles divers, pour des sénescentes, dans des instants éphémères de vie. Les personnages féminins se prénomment toutes Maries et elles sont toutes à un tournant dans leur vie. Mais s’agit-il de plusieurs personnes ou d’une seule et unique Marie ? La composition et l’enchaînement des tableaux chamboulent la compréhension. Qui est qui, on ne le sait pas vraiment. On se perd parfois, mais on n’arrive toujours à se rattraper. De plus, Une vie de femme propose des environnements toujours décalés, drôles, notamment grâce à des dialogues remplis de réparties. Il n’y a donc pas vraiment d’histoire, mais bien plein d’histoires et le but recherché n’est pas vraiment d’entrer dans la narration de toute façon. Ainsi, personnages et scènes se transforment sans cesse en un carrousel farfelu d’images et d’émotions.

© Yanick Macdonald

Scénographie subtile et habile

D’une visite d’appartement à une rupture, en passant par une émission télévisée, un concours ou les coulisses d’un jeu vidéo, Une vie de femme explore et transgresse les univers. Certes, il faut réussir à poser le cerveau et cesser de trop penser, mais le voyage en vaut la peine. À notre tour, comme Marie, on se détache des idées préconçues et des attentes qui mènent toujours aux mêmes résultats. Une vie de femme, c’est un peu fou, et c’est comme ça. Et la beauté dans tout ça, c’est que l’humour et le burlesque de la pièce amène évidemment du rire, mais pas seulement. Entre les lignes, dans chaque moment imagé et joué se cache du sous-texte, des réflexions profondes sur l’existence, sur ses vies possibles, impossibles, sur les risques que ça prend pour rêver. La complexité des rapports que l’on entretient avec la famille, l’amour, le temps, le désir, le travail, l’argent, la mémoire, est questionnée, remise en question, déclamée de façon théâtrale et intelligente. La métaphore est filée, tout au long de l’œuvre, pour le bonheur de celles et ceux qui veulent se triturer les méninges ou simplement se laisser porter par l’imaginaire.

En plus d’un texte très élaboré, la pièce s’appuie aussi sur une scénographie simple, mais bien imaginée. En effet, à part quelques changements de costumes, pas de flafla scénique, pas de grands décors ou d’abus dans les accessoires. La sobriété est de mise. La créatrice a cependant misé sur les petits détails, comme un changement d’angle lors d’une discussion ou encore une lumière projetée horizontalement comme pour changer d’environnement. De grands murs gris délimitent l’espace. Un lit, parfois une table s’y ajoute. Mais la simplicité demeure. Les éléments extérieurs ne viennent pas surcharger la vue, ou dévier la conversation artistico-philosophique qui se joue devant nous. La musique est quasi omniprésente et apporte à la fois un rythme à la pièce, mais aussi un fond constant, comme dans une illusion, un mirage. Même utilité et effet pour la fumée, très présente tout au long de la pièce.

Après ce tourbillon abstrait, parfois absurde, et rempli de sensations, la pièce finit sur une note plus simple, plus douce. Un hommage au théâtre, à l’amour de la scène. Bien que le propos soit tout à fait louable, et partagé par nombre d’entre nous, celui-ci tombe un peu à plat et surtout réduit et restreint toute l’étendue du périple didactique et riche que l’on vient de vivre. Une vie de femme est une pièce qui soulève beaucoup d’interrogations, avec pourtant toute la légèreté du monde. Un moment de plaisir, parfois instable, mais rempli de petits délices.

© Yanick Macdonald

Une vie de femme

Texte et mise en scène : Marie-Laurence Rancourt. Interprètes : Annick Bergeron, Larissa Corriveau, Martine Francke, Maxim Gaudette, Roger La Rue. Voix : Olena Khomyakova. Assistance à la mise en scène : Andrée-Anne Garneau. Scénographie : Odile Gamache. Lumières : Chantal Labonté. Costumes : Oleksandra Lykova. Accessoires : Julie Maesroch. Musique : Medhi Cayenne. Mouvement : Geneviève Boulet. Présentée à Espace Go jusqu’au 8 février 2025.