Âmes sœurs : Moment d’émerveillement
Dans un costume marionnettique fait d’une tête surdimensionnée et d’un tronc potelé duquel sortent ses propres bras et jambes, l’artiste visuelle et théâtrale Magali Chouinard campe une fillette – les proportions des membres et du costume s’arrimant à la morphologie typique de la petite enfance – qui laisse libre cours à sa curiosité, à sa créativité et à sa fascination au cœur de la nature. Traînant sur un ruisseau (imaginaire) un nid dont émerge un arbre, cette singulière (et muette) protagoniste rencontre diverses créatures du règne animal auxquelles son interprète donnera vie. Les oiseaux, le lièvre, l’escargot, la tortue ainsi qu’un superbe et colossal cervidé – opéré par le complice Frédéric Jeanrie – qui, grâce à un système de fils, piaffe des sabots arrière et remue l’oreille, ne manquent pas de charmer spectateurs et spectatrices de tous âges.
Précisons que cet univers esthétique complexe (chaque détail de la scénographie recèle son ou ses usages insoupçonnés) et soigné (tout y est magnifique, de l’arbre aux visages d’animaux), entièrement en noir et blanc, bien qu’en constante évolution, propose des compositions picturales d’une imparable harmonie. Ce tableau vivant est complété par une trame sonore riche de battements d’ailes (qui font se tourner les petites têtes, dans le public, à la recherche des voltigeurs qu’ils suggèrent), de coassements, de stridulations et de clapotis. Il y a bien eu, lors de la première représentation, quelques défauts de synchronicité entre les sons et les actions (une chute dans l’eau, suivis de quelques secondes par le bruit d’éclaboussures qu’elle est censée engendrer, par exemple), mais cela rentrera sans aucun doute dans l’ordre au fil du temps. Il en va de même de la jupe de brindilles, qui refusait obstinément de rester sur le corps de l’héroïne. Autre bémol, un peu plus sérieux, dans ce superbe spectacle à un cheveu – pour ne pas dire un poil – du sublime : l’interpellation d’un membre du public, qui vient faire quelques mouvements sur scène, brise non seulement la cohérence visuelle en mille et une nuances de gris régnant sur l’aire de jeu, mais aussi la magie de ce microcosme hors du temps dans lequel il fait si bon s’échapper. On ne peut d’ailleurs que se réjouir viscéralement du fait que l’on offre à une jeunesse souvent surstimulée un asile de lenteur, un éden de découvertes, une oasis d’émerveillement.
Conception, scénographie et interprétation : Magali Chouinard. Mise en scène : Magali Chouinard, Myriame Larose et Karine St-Arnaud. Assistance à la scénographie : Marie Muyard et Les ateliers Sylvain Racine. Manipulation : Frédéric Jeanrie. Environnement sonore : Julien-Robert Legault-Salvail. Éclairages et spatialisation sonore : Varnen Pareanan. Une production de Magali Chouinard, présentée, à l’occasion du Festival de Casteliers, à L’Illusion, théâtre de marionnettes du 26 février au 6 mars 2025.
Un océan d’amour : Naufrage en papier
C’est avec doigté et inventivité que les artistes de la compagnie française La Salamandre raconte, en théâtre d’objets (pour ne pas dire de papier) et sans paroles, l’histoire d’un pêcheur perdu en mer et de sa dulcinée éperdue d’inquiétude, qui ira jusqu’à Cuba pour tenter de le retrouver. Cette histoire est celle de la bande dessinée éponyme de Wilfrid Lupano et Grégory Panaccione, telle qu’adaptée et mise en scène par Denis Athimon. Si tous les clins d’œil que comportent la production n’apparaissent pas nécessairement limpides, certains ravissent, comme cette variation sur l’échelle, où l’esquif de l’égaré devient de plus en plus petit à mesure que la perspective sur sa perdition dans l’immensité de l’océan s’élargit.
On appréciera, en outre, le jeu comique des irrésistibles acteurs-manipulateurs Samuel Lepetit et Christophe Martin – dont la dynamique rappelle un peu celle du clown blanc et de l’auguste – qui se superpose à l’action se déroulant sur la table à laquelle ils sont assis. Celle-ci verra son panneau avant se transformer en écran d’ombres chinoises illustrant les fonds marins. Une autre jolie idée. La trame sonore, faite de bruits buccaux produits en direct et de grands airs classiques aux envolées épiques, entre autres, concourt aussi au charme de l’ensemble. Néanmoins, longueurs et itérations laissent l’impression que le matériau narratif manque pour nourrir ce périple de 50 minutes et captiver l’auditoire tout du long. Les démêlés avec des pirates et une créature aquatique sanguinaire, ainsi que de véritables explosions constituent tout de même des péripéties efficaces. Et toute cette exaltation, de même que la poésie que recèle ce spectacle repose, en guise de matière principale, sur le papier, dont la fragilité n’est pas sans évoquer celle du bonheur, voire de la vie humaine.
Texte : Denis Athimon, d’après la bande dessinée de Wilfrid Lupano et Grégory Panaccione. Mise en scène : Denis Athimon. Avec Samuel Lepetit et Christophe Martin. Une production de La Salamandre, présentée, à l’occasion du Festival Gourmand d’arts vivants, au théâtre de la Ville le 5 mars et, à l’occasion du Festival de Casteliers, à L’Illusion, théâtre de marionnettes du 7 au 9 mars 2025.
Âmes sœurs : Moment d’émerveillement
Dans un costume marionnettique fait d’une tête surdimensionnée et d’un tronc potelé duquel sortent ses propres bras et jambes, l’artiste visuelle et théâtrale Magali Chouinard campe une fillette – les proportions des membres et du costume s’arrimant à la morphologie typique de la petite enfance – qui laisse libre cours à sa curiosité, à sa créativité et à sa fascination au cœur de la nature. Traînant sur un ruisseau (imaginaire) un nid dont émerge un arbre, cette singulière (et muette) protagoniste rencontre diverses créatures du règne animal auxquelles son interprète donnera vie. Les oiseaux, le lièvre, l’escargot, la tortue ainsi qu’un superbe et colossal cervidé – opéré par le complice Frédéric Jeanrie – qui, grâce à un système de fils, piaffe des sabots arrière et remue l’oreille, ne manquent pas de charmer spectateurs et spectatrices de tous âges.
Précisons que cet univers esthétique complexe (chaque détail de la scénographie recèle son ou ses usages insoupçonnés) et soigné (tout y est magnifique, de l’arbre aux visages d’animaux), entièrement en noir et blanc, bien qu’en constante évolution, propose des compositions picturales d’une imparable harmonie. Ce tableau vivant est complété par une trame sonore riche de battements d’ailes (qui font se tourner les petites têtes, dans le public, à la recherche des voltigeurs qu’ils suggèrent), de coassements, de stridulations et de clapotis. Il y a bien eu, lors de la première représentation, quelques défauts de synchronicité entre les sons et les actions (une chute dans l’eau, suivis de quelques secondes par le bruit d’éclaboussures qu’elle est censée engendrer, par exemple), mais cela rentrera sans aucun doute dans l’ordre au fil du temps. Il en va de même de la jupe de brindilles, qui refusait obstinément de rester sur le corps de l’héroïne. Autre bémol, un peu plus sérieux, dans ce superbe spectacle à un cheveu – pour ne pas dire un poil – du sublime : l’interpellation d’un membre du public, qui vient faire quelques mouvements sur scène, brise non seulement la cohérence visuelle en mille et une nuances de gris régnant sur l’aire de jeu, mais aussi la magie de ce microcosme hors du temps dans lequel il fait si bon s’échapper. On ne peut d’ailleurs que se réjouir viscéralement du fait que l’on offre à une jeunesse souvent surstimulée un asile de lenteur, un éden de découvertes, une oasis d’émerveillement.
Âmes sœurs
Conception, scénographie et interprétation : Magali Chouinard. Mise en scène : Magali Chouinard, Myriame Larose et Karine St-Arnaud. Assistance à la scénographie : Marie Muyard et Les ateliers Sylvain Racine. Manipulation : Frédéric Jeanrie. Environnement sonore : Julien-Robert Legault-Salvail. Éclairages et spatialisation sonore : Varnen Pareanan. Une production de Magali Chouinard, présentée, à l’occasion du Festival de Casteliers, à L’Illusion, théâtre de marionnettes du 26 février au 6 mars 2025.
Un océan d’amour : Naufrage en papier
C’est avec doigté et inventivité que les artistes de la compagnie française La Salamandre raconte, en théâtre d’objets (pour ne pas dire de papier) et sans paroles, l’histoire d’un pêcheur perdu en mer et de sa dulcinée éperdue d’inquiétude, qui ira jusqu’à Cuba pour tenter de le retrouver. Cette histoire est celle de la bande dessinée éponyme de Wilfrid Lupano et Grégory Panaccione, telle qu’adaptée et mise en scène par Denis Athimon. Si tous les clins d’œil que comportent la production n’apparaissent pas nécessairement limpides, certains ravissent, comme cette variation sur l’échelle, où l’esquif de l’égaré devient de plus en plus petit à mesure que la perspective sur sa perdition dans l’immensité de l’océan s’élargit.
On appréciera, en outre, le jeu comique des irrésistibles acteurs-manipulateurs Samuel Lepetit et Christophe Martin – dont la dynamique rappelle un peu celle du clown blanc et de l’auguste – qui se superpose à l’action se déroulant sur la table à laquelle ils sont assis. Celle-ci verra son panneau avant se transformer en écran d’ombres chinoises illustrant les fonds marins. Une autre jolie idée. La trame sonore, faite de bruits buccaux produits en direct et de grands airs classiques aux envolées épiques, entre autres, concourt aussi au charme de l’ensemble. Néanmoins, longueurs et itérations laissent l’impression que le matériau narratif manque pour nourrir ce périple de 50 minutes et captiver l’auditoire tout du long. Les démêlés avec des pirates et une créature aquatique sanguinaire, ainsi que de véritables explosions constituent tout de même des péripéties efficaces. Et toute cette exaltation, de même que la poésie que recèle ce spectacle repose, en guise de matière principale, sur le papier, dont la fragilité n’est pas sans évoquer celle du bonheur, voire de la vie humaine.
Un océan d’amour
Texte : Denis Athimon, d’après la bande dessinée de Wilfrid Lupano et Grégory Panaccione. Mise en scène : Denis Athimon. Avec Samuel Lepetit et Christophe Martin. Une production de La Salamandre, présentée, à l’occasion du Festival Gourmand d’arts vivants, au théâtre de la Ville le 5 mars et, à l’occasion du Festival de Casteliers, à L’Illusion, théâtre de marionnettes du 7 au 9 mars 2025.