A-t-on raison parfois d’avoir peur d’aller au théâtre? En lisant les papiers sur ce spectacle slovène où on parlait de «pièce délibérément agressive», de «terrorisme théâtral» abordant la responsabilité individuelle et collective en ex-Yougoslavie, pays disloqué par une guerre fratricide, on pouvait être un peu craintif. Avec raison. L’avertissement à l’entrée de la salle – «Des coups de feu seront tirés durant la représentation» – d’anodin, prendrait un tout autre sens après-coup. Car les salves, choquantes, viendront à répétition.
Au début, huit hommes d’âges variés, étendus au sol, chacun faisant corps avec un instrument de musique – grosse caisse, accordéon, instruments à vent – entament une marche funèbre; les deux femmes, assises de chaque côté, observant en silence. Puis, se levant un à un, ils déposent leurs instruments derrière et disparaissent. De retour sur scène, chacun évoque la mort d’un acteur slovène célèbre, rendu fameux par la scène de la branlette dans Hé, les Slaves! dont on nous fait entendre l’hymne joyeux. Rires dans la salle. L’un d’eux sort un revolver et abat ses camarades l’un après l’autre! Rupture.
Alignés à l’avant-scène, les voici pleurant en se dévêtant sur fond de chanson triste. (Certains arborent le carré rouge, clin d’œil à la crise sociale québécoise.) Se remémorant la mort du maréchal Tito, ils pleurent, vulnérables dans leur nudité. Coups de feu! Le même les abat, avant d’hurler au public : « Qu’est-ce que vous regardez, femmelettes de Québécois! » Rire jaune. Ils défilent, mannequins vêtus de drapeaux, avec un air de bravade implacable, couteau à la main. Coups de feu! « Métèques, rentrez chez vous! Connards de Croates! Suceurs de bites serbes! », et, vers nous : « Public de merde! » Tout cela répété, chuchoté, comme une douce berceuse…
Rompant avec le jeu, les acteurs se rhabillent en jasant, comme en salle de répétition. Insidieusement, la suspicion s’installe envers l’un d’eux : est-il croate ou slovène? Et sa mère? Et son grand-père, n’était-il pas bosniaque? Sur une version serbo-croate de la chanson « Elle était si jolie » d’Alain Barrière, le même tireur descend le suspect, puis un autre, puis tous, puis les recouvre du drapeau yougoslave. Nouvelle rupture : on allume les lumières dans la salle et le tueur se met à invectiver le public, violemment…
La mécanique de déconstruction des codes de la représentation se poursuit jusqu’au moment où une actrice, après avoir interprété une chanson anti-guerre – « Non, je n’irai pas me battre contre ma nation, contre mon frère » – explique le débat que cette chanson a suscité au sein du groupe au moment de la création du spectacle. Refaisant ce débat, les voici s’entredéchirant, les jeunes accusant les vieux et vice versa. Ce spectacle politiquement incorrect, méchant, décapant, démonstration des méfaits de la guerre et des nationalismes exacerbés, mais aussi réflexion et remise en question du théâtre, du rôle de l’artiste, de la responsabilité de chacun en temps de guerre, comme après, est sans doute l’un des grands crus de cette 6e édition du Festival TransAmériques.
A-t-on raison parfois d’avoir peur d’aller au théâtre? En lisant les papiers sur ce spectacle slovène où on parlait de «pièce délibérément agressive», de «terrorisme théâtral» abordant la responsabilité individuelle et collective en ex-Yougoslavie, pays disloqué par une guerre fratricide, on pouvait être un peu craintif. Avec raison. L’avertissement à l’entrée de la salle – «Des coups de feu seront tirés durant la représentation» – d’anodin, prendrait un tout autre sens après-coup. Car les salves, choquantes, viendront à répétition.
Au début, huit hommes d’âges variés, étendus au sol, chacun faisant corps avec un instrument de musique – grosse caisse, accordéon, instruments à vent – entament une marche funèbre; les deux femmes, assises de chaque côté, observant en silence. Puis, se levant un à un, ils déposent leurs instruments derrière et disparaissent. De retour sur scène, chacun évoque la mort d’un acteur slovène célèbre, rendu fameux par la scène de la branlette dans Hé, les Slaves! dont on nous fait entendre l’hymne joyeux. Rires dans la salle. L’un d’eux sort un revolver et abat ses camarades l’un après l’autre! Rupture.
Alignés à l’avant-scène, les voici pleurant en se dévêtant sur fond de chanson triste. (Certains arborent le carré rouge, clin d’œil à la crise sociale québécoise.) Se remémorant la mort du maréchal Tito, ils pleurent, vulnérables dans leur nudité. Coups de feu! Le même les abat, avant d’hurler au public : « Qu’est-ce que vous regardez, femmelettes de Québécois! » Rire jaune. Ils défilent, mannequins vêtus de drapeaux, avec un air de bravade implacable, couteau à la main. Coups de feu! « Métèques, rentrez chez vous! Connards de Croates! Suceurs de bites serbes! », et, vers nous : « Public de merde! » Tout cela répété, chuchoté, comme une douce berceuse…
Rompant avec le jeu, les acteurs se rhabillent en jasant, comme en salle de répétition. Insidieusement, la suspicion s’installe envers l’un d’eux : est-il croate ou slovène? Et sa mère? Et son grand-père, n’était-il pas bosniaque? Sur une version serbo-croate de la chanson « Elle était si jolie » d’Alain Barrière, le même tireur descend le suspect, puis un autre, puis tous, puis les recouvre du drapeau yougoslave. Nouvelle rupture : on allume les lumières dans la salle et le tueur se met à invectiver le public, violemment…
La mécanique de déconstruction des codes de la représentation se poursuit jusqu’au moment où une actrice, après avoir interprété une chanson anti-guerre – « Non, je n’irai pas me battre contre ma nation, contre mon frère » – explique le débat que cette chanson a suscité au sein du groupe au moment de la création du spectacle. Refaisant ce débat, les voici s’entredéchirant, les jeunes accusant les vieux et vice versa. Ce spectacle politiquement incorrect, méchant, décapant, démonstration des méfaits de la guerre et des nationalismes exacerbés, mais aussi réflexion et remise en question du théâtre, du rôle de l’artiste, de la responsabilité de chacun en temps de guerre, comme après, est sans doute l’un des grands crus de cette 6e édition du Festival TransAmériques.
Maudit soit le traître à sa patrie!
Texte et mise en scène : Oliver Frljic
Une production du Mladinsko Theatre (Slovénie), présentée au Théâtre rouge du Conservatoire d’art dramatique de Montréal jusqu’au 2 juin
Dans le cadre du Festival TransAmériques