Un texte de Thomas Gunzig nostalgique, parfois caustique, des pages musicales porteuses qui nous font voyager de Vivaldi à Gorecki, des maquettes qui semblent prendre vie sous le regard habile de la caméra de Jaco Van Dormeal, des mains qui racontent, se métamorphosent, émeuvent, chorégraphiées par Michèle Anne De Mey et Gregory Grosjean. Même si on a lu au sujet du spectacle, visionné quelques extraits, rien ne nous prépare entièrement à ce voyage sur le fil, entre rêve et réalité, hier et aujourd’hui, le geste de création et sa réception.
Collaboration autant que confrontation entre les univers en apparence parallèles du cinéma, de la danse, du théâtre et de la littérature, Kiss & Cry reste un objet protéiforme par nature, néanmoins organique, presque magique. En permettant au spectateur de vivre de façon simultanée l’expérience devant et derrière la caméra, il abat définitivement le quatrième mur et pourtant, ce faisant, invite – contraint presque – notre imaginaire à prendre le dessus, à superposer nos souvenirs aux flammes évoquées dans l’habile texte de Gunzig, tantôt bouleversant, tantôt surréaliste. (Je paraphrase : « Il y a des amours comme des râpes à fromage. Pour râper le fromage, c’est bien. Sinon, cela ne sert à rien. ») Ne nous sommes-nous pas tous perdus à un moment ou l’autre dans une relation ou avons laissé son évocation s’immiscer dans notre quotidien, réconfort aussi bien qu’agent paralysant?
Quelques secondes de l’air « Lascia ch’io pianga » de Händel, sur lesquelles les mains deviennent de véritables danseurs de ballet, suffisent pour envouter. Quand s’y juxtaposent les premières phrases du texte de Gunzig, on devine qu’il sera impossible de résister à la vague. « La première fois qu’elle était tombée amoureuse, ça avait duré treize secondes. […] Les mains s’étaient touchées. Pour elle, c’était la dernière fois qu’il avait fait jour. Elle ne l’avait jamais revu. C’était devenu la nuit pour toujours même quand il était midi. » Selon les scènes, on passera devant ou derrière le rideau du magicien, captif des images projetées sur l’écran (cette main qui tente de se blottir contre cette autre dans un lit à deux places, ces séances de patinage) ou curieux de découvrir l’envers du décor (Nothing Compares 2 U par exemple, qui évoque l’univers du cirque). On deviendra passager de ce train qui file dans la nuit au son de la guitare de Carlos Paredes, sourira à cette histoire d’amour improbable entre une main et un pied, laissera le regard s’embuer lors de cette relecture presque douloureuse des Feuilles mortes. Une impression d’être témoin de scènes terriblement intimes, qui puisent au cœur même de l’émotion, vécues de façon semblable, mais jamais identique, depuis des millénaires.
Devoir de mémoire, de dire, de laisser au spectateur la chance d’ouvrir à son rythme ses boîtes gigognes? « Tout ce qu’elle aurait voulu, c’était des mains qui n’évoquaient rien d’autre que des mains, les mêmes que dans la boîte fermée du fond de sa mémoire. » Y a-t-il au fond geste plus bouleversant que d’effleurer la main de l’autre pour la première fois, de joindre deux paumes en une entité autre? Il faut remercier l’équipe de créateurs de nous l’avoir rappelé.
Kiss & Cry
Texte de Thomas Gunzi
Idée originale : Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael
Mise en scène : Jaco Van Dormael
Production Charleroi/Danses et Le Manège.mons (Belgique)
À l’Usine C jusqu’au 28 avril
Un texte de Thomas Gunzig nostalgique, parfois caustique, des pages musicales porteuses qui nous font voyager de Vivaldi à Gorecki, des maquettes qui semblent prendre vie sous le regard habile de la caméra de Jaco Van Dormeal, des mains qui racontent, se métamorphosent, émeuvent, chorégraphiées par Michèle Anne De Mey et Gregory Grosjean. Même si on a lu au sujet du spectacle, visionné quelques extraits, rien ne nous prépare entièrement à ce voyage sur le fil, entre rêve et réalité, hier et aujourd’hui, le geste de création et sa réception.
Collaboration autant que confrontation entre les univers en apparence parallèles du cinéma, de la danse, du théâtre et de la littérature, Kiss & Cry reste un objet protéiforme par nature, néanmoins organique, presque magique. En permettant au spectateur de vivre de façon simultanée l’expérience devant et derrière la caméra, il abat définitivement le quatrième mur et pourtant, ce faisant, invite – contraint presque – notre imaginaire à prendre le dessus, à superposer nos souvenirs aux flammes évoquées dans l’habile texte de Gunzig, tantôt bouleversant, tantôt surréaliste. (Je paraphrase : « Il y a des amours comme des râpes à fromage. Pour râper le fromage, c’est bien. Sinon, cela ne sert à rien. ») Ne nous sommes-nous pas tous perdus à un moment ou l’autre dans une relation ou avons laissé son évocation s’immiscer dans notre quotidien, réconfort aussi bien qu’agent paralysant?
Quelques secondes de l’air « Lascia ch’io pianga » de Händel, sur lesquelles les mains deviennent de véritables danseurs de ballet, suffisent pour envouter. Quand s’y juxtaposent les premières phrases du texte de Gunzig, on devine qu’il sera impossible de résister à la vague. « La première fois qu’elle était tombée amoureuse, ça avait duré treize secondes. […] Les mains s’étaient touchées. Pour elle, c’était la dernière fois qu’il avait fait jour. Elle ne l’avait jamais revu. C’était devenu la nuit pour toujours même quand il était midi. » Selon les scènes, on passera devant ou derrière le rideau du magicien, captif des images projetées sur l’écran (cette main qui tente de se blottir contre cette autre dans un lit à deux places, ces séances de patinage) ou curieux de découvrir l’envers du décor (Nothing Compares 2 U par exemple, qui évoque l’univers du cirque). On deviendra passager de ce train qui file dans la nuit au son de la guitare de Carlos Paredes, sourira à cette histoire d’amour improbable entre une main et un pied, laissera le regard s’embuer lors de cette relecture presque douloureuse des Feuilles mortes. Une impression d’être témoin de scènes terriblement intimes, qui puisent au cœur même de l’émotion, vécues de façon semblable, mais jamais identique, depuis des millénaires.
Devoir de mémoire, de dire, de laisser au spectateur la chance d’ouvrir à son rythme ses boîtes gigognes? « Tout ce qu’elle aurait voulu, c’était des mains qui n’évoquaient rien d’autre que des mains, les mêmes que dans la boîte fermée du fond de sa mémoire. » Y a-t-il au fond geste plus bouleversant que d’effleurer la main de l’autre pour la première fois, de joindre deux paumes en une entité autre? Il faut remercier l’équipe de créateurs de nous l’avoir rappelé.
Kiss & Cry
Texte de Thomas Gunzi
Idée originale : Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael
Mise en scène : Jaco Van Dormael
Production Charleroi/Danses et Le Manège.mons (Belgique)
À l’Usine C jusqu’au 28 avril