La danse peut-elle tout exprimer, de la légèreté presque désincarnée à la violence la plus sublimée? Zone Homa proposait hier un programme qui semblait vouloir faire la preuve que, même lorsque l’on croit avoir tout vu, tout ressenti, une décomposition inattendue d’un mouvement, une nouvelle façon d’aborder un langage pourtant balisé peut mener le spectateur si non dans un espace entièrement étranger, du moins offrir un éclairage différent.
Laboratoire vivant II : Bêta
La soirée s’articulait autour de deux axes. Le premier, volontiers plus ludique, Laboratoire vivant II : Bêta, une conception originale de Sébastien Talbot, sollicitait la participation du public qui s’est amusé ferme à assembler des séquences chorégraphiques et à parfois semer volontairement des embuches sur le trajet des interprètes, juxtaposant des segments dans la salle ou sur scène.
Les quatre interprètes étaient prêtes à reproduire l’un des 100 fragments, articulés autour de 10 paramètres: trash (la juxtaposition de quatre solos de cette catégorie s’est avérée particulièrement intéressante par la multiplicité de ses déclinaisons), personnages et actions, télécommande, émotions, sons, contrainte, dans le public (bel abandon des danseuses ici), audition, espace texturé et description (plus proche de l’improvisation théâtrale que de la danse). Certaines séquences n’ayant pas démontré tout leur potentiel ont même été reprises, prenant alors une densité et une cohérence renouvelées, tout en offrant aux spectateurs la possibilité de passer derrière le miroir du geste chorégraphique.
R*pe
La deuxième partie était consacrée à R*pe, un assemblage de dix tableaux conçus pour Marika Dumoulin Lafond, signés par autant de chorégraphes, qui explorent le difficile sujet du viol, autant de parcelles d’une histoire que l’on se croit d’abord incapable de raconter, mais qui finira par prendre forme, sans jamais se révéler entièrement.
Le premier segment, «Elle» (chorégraphie d’Elizabeth Suich), magnifiquement mis en contexte par les éclairages de Lucie Bazzo, qui dévoilaient avec parcimonie certains éléments du corps de la danseuse, offrait un double regard sur la victime et l’assaillant, le spectateur pouvant aussi bien se projeter dans l’une que l’autre. «Toi» (Zoé Martine Olivier) s’attardait à l’après-viol, douleur et désespoir se jumelant à la mélodie cristalline d’une boîte à musique. «Kick» (Philippe Dandonneau) nous amenait dans l’univers artificiel d’une discothèque, posant la délicate question de la responsabilisation, qui trouvait un écho dans «Fête» (Claudia Chan Tak). Dans «Viol» (Gelymar Sanchez), des explications semblent s’emmêler aux gestes, avant que la jeune femme, dans «Perdida» (Miguel Aguiano), ne prenne à partie les témoins impuissants: «Monsieur, madame, aidez-moi!». Combien d’actes de violence gratuite pourraient avorter si seulement quelqu’un se manifestait?
Si «Testostérone» (Karine Théorêt), sur une trame sonore d’échanges de platitudes sur les maigres et les rondes, m’a moins convaincue, la quatrième mission de l’étrange dernier segment, «Sauce» (Sébastien Talbot), que l’on aurait cru tiré d’un film de science-fiction, pendant lequel Marika Dumoulin Lafond se délestait du désespoir profond de la victime sur une spectatrice (visiblement bouleversée), se lisait comme l’apex de ce récit troublant, encore plus que cette déconstruction finale de la gestuelle, cet écartèlement du corps, après que la danseuse se soit enduite de peinture rouge.
Saluons en terminant, en introduction et entracte du spectacle, l’étonnante performance d’Ian Yaworsky, qui déconstruit les pas de la gigue et les transforme en véhicules narratifs puissants, ce qui lui permet d’exprimer aussi bien une pulsion presque dévastatrice (qui évoque le sujet traité en deuxième partie) que de camper un portrait de chanteur de charme revenu de tout.
Laboratoire vivant II : Bêta. Interprètes: Alexandra Brady, Maude Choquet Blanchet, Marika Dumoulin et Sandrine Martel. Chorégraphe: Sébastien Talbot.
R*pe. Interprète: Marika Dumoulin Lafond. Chorégraphes: Miguel Anguiano, Claudia Chan Tak, Philippe Dandonneau, Simon Gélinas Beauregard, Zoé Martine Olivier, Gélymar Sanchez, Elizabeth Suich, Sébastien Talbot, Karine Théorêt et Marie-Ève Tremblay.
Programme double présenté le 24 juillet 2013, à la maison de la culture Maisonneuve, à l’occasion de la Zone Homa.
La danse peut-elle tout exprimer, de la légèreté presque désincarnée à la violence la plus sublimée? Zone Homa proposait hier un programme qui semblait vouloir faire la preuve que, même lorsque l’on croit avoir tout vu, tout ressenti, une décomposition inattendue d’un mouvement, une nouvelle façon d’aborder un langage pourtant balisé peut mener le spectateur si non dans un espace entièrement étranger, du moins offrir un éclairage différent.
Laboratoire vivant II : Bêta
La soirée s’articulait autour de deux axes. Le premier, volontiers plus ludique, Laboratoire vivant II : Bêta, une conception originale de Sébastien Talbot, sollicitait la participation du public qui s’est amusé ferme à assembler des séquences chorégraphiques et à parfois semer volontairement des embuches sur le trajet des interprètes, juxtaposant des segments dans la salle ou sur scène.
Les quatre interprètes étaient prêtes à reproduire l’un des 100 fragments, articulés autour de 10 paramètres: trash (la juxtaposition de quatre solos de cette catégorie s’est avérée particulièrement intéressante par la multiplicité de ses déclinaisons), personnages et actions, télécommande, émotions, sons, contrainte, dans le public (bel abandon des danseuses ici), audition, espace texturé et description (plus proche de l’improvisation théâtrale que de la danse). Certaines séquences n’ayant pas démontré tout leur potentiel ont même été reprises, prenant alors une densité et une cohérence renouvelées, tout en offrant aux spectateurs la possibilité de passer derrière le miroir du geste chorégraphique.
R*pe
La deuxième partie était consacrée à R*pe, un assemblage de dix tableaux conçus pour Marika Dumoulin Lafond, signés par autant de chorégraphes, qui explorent le difficile sujet du viol, autant de parcelles d’une histoire que l’on se croit d’abord incapable de raconter, mais qui finira par prendre forme, sans jamais se révéler entièrement.
Le premier segment, «Elle» (chorégraphie d’Elizabeth Suich), magnifiquement mis en contexte par les éclairages de Lucie Bazzo, qui dévoilaient avec parcimonie certains éléments du corps de la danseuse, offrait un double regard sur la victime et l’assaillant, le spectateur pouvant aussi bien se projeter dans l’une que l’autre. «Toi» (Zoé Martine Olivier) s’attardait à l’après-viol, douleur et désespoir se jumelant à la mélodie cristalline d’une boîte à musique. «Kick» (Philippe Dandonneau) nous amenait dans l’univers artificiel d’une discothèque, posant la délicate question de la responsabilisation, qui trouvait un écho dans «Fête» (Claudia Chan Tak). Dans «Viol» (Gelymar Sanchez), des explications semblent s’emmêler aux gestes, avant que la jeune femme, dans «Perdida» (Miguel Aguiano), ne prenne à partie les témoins impuissants: «Monsieur, madame, aidez-moi!». Combien d’actes de violence gratuite pourraient avorter si seulement quelqu’un se manifestait?
Si «Testostérone» (Karine Théorêt), sur une trame sonore d’échanges de platitudes sur les maigres et les rondes, m’a moins convaincue, la quatrième mission de l’étrange dernier segment, «Sauce» (Sébastien Talbot), que l’on aurait cru tiré d’un film de science-fiction, pendant lequel Marika Dumoulin Lafond se délestait du désespoir profond de la victime sur une spectatrice (visiblement bouleversée), se lisait comme l’apex de ce récit troublant, encore plus que cette déconstruction finale de la gestuelle, cet écartèlement du corps, après que la danseuse se soit enduite de peinture rouge.
Saluons en terminant, en introduction et entracte du spectacle, l’étonnante performance d’Ian Yaworsky, qui déconstruit les pas de la gigue et les transforme en véhicules narratifs puissants, ce qui lui permet d’exprimer aussi bien une pulsion presque dévastatrice (qui évoque le sujet traité en deuxième partie) que de camper un portrait de chanteur de charme revenu de tout.
Laboratoire vivant II : Bêta. Interprètes: Alexandra Brady, Maude Choquet Blanchet, Marika Dumoulin et Sandrine Martel. Chorégraphe: Sébastien Talbot.
R*pe. Interprète: Marika Dumoulin Lafond. Chorégraphes: Miguel Anguiano, Claudia Chan Tak, Philippe Dandonneau, Simon Gélinas Beauregard, Zoé Martine Olivier, Gélymar Sanchez, Elizabeth Suich, Sébastien Talbot, Karine Théorêt et Marie-Ève Tremblay.
Programme double présenté le 24 juillet 2013, à la maison de la culture Maisonneuve, à l’occasion de la Zone Homa.