Sébastien David le dramaturge aime les univers décalés et les transmet avec une plume particulièrement incisive. Cette fois, il change de chapeau, devenant traducteur et metteur en scène de Scratch, un texte autobiographique mené tambour battant de la jeune auteure torontoise Charlotte Corbeil-Coleman.
Anna semble une adolescente semblable à toutes les autres, exception faite peut-être qu’elle n’a pas été élevée dans un environnement tout à fait traditionnel (son père est musicien et sa mère peintre), qu’elle mène un combat inégal contre les poux et que sa mère se meurt d’un cancer.
Au fil d’une quarantaine de petites scènes, on la suit au quotidien, alors qu’elle interagit avec sa meilleure amie Madeleine (Marie-Ève Milot, impeccable), ses parents dépassés par les événements (Henri Chassé et Monique Spaziani, qui ne forcent pas le pathos), sa tante vaguement compulsive (Micheline Bernard, essentiel élément de comic relief) et un poète assez peu doué qui s’occupe des repas de la malade (Robin-Joël Cool, idéal dans ce rôle). Chacun voudrait raconter «sa» version de l’histoire, expliquer la relation entretenue avec celle que l’on sait condamnée.
Du déni total aux adieux, Anna apprivoise le deuil, mais de façon éclatée, fragmentée, les différents types de narration se juxtaposant, dans un désordre apparent qui rappelle la chevelure emmêlée de la jeune fille autant que la maison mal tenue ou les peintures abstraites de la mère et de Madeleine, représentées par une murale en papier adhésif.
La traduction de Sébastien David, au service du texte, permet d’ancrer le propos – certes universel – dans le Québec d’aujourd’hui, sans jamais que l’on n’ait l’impression d’assister à une superposition d’égos ou d’entendre une voix masculine. (On regrettera peut-être tout au plus ici de ne pas avoir transposé le Toronto Star en Journal de Montréal et les Prairies canadiennes en une région du Québec.)
La distribution est bien encadrée par une mise en scène qui refuse tout artifice inutile. Émilie Cormier, qui nous avait offert une Électre inoubliable dans Les Atrides l’année dernière, dispose ainsi de toute la latitude nécessaire pour déployer une palette expressive remarquable, passant du désaveu au déchirement, sans jamais forcer la note. Son corps devient aussi deuxième voix, qu’elle court, se jette sur le mur du fond, danse frénétiquement ou s’interroge dans la cabine d’essayage de chez Gap.
Quelques accessoires (chapeaux, verres, pailles, vêtements de rechange) sont rangés sur les murs, côtés cour et jardin, les acteurs ne participant pas à une scène y attendant d’être convoqués. La trame sonore d’Antoine Bédard joue adroitement avec l’idée du scratch, évoquant par moments le bruit du ruban adhésif – ou des pansements – que l’on arrache.
Texte de Charlotte Corbeil-Coleman. Traduction et mise en scène de Sébastien David. Une production de La Bataille. À La Licorne jusqu’au 2 mai 2014.
Sébastien David le dramaturge aime les univers décalés et les transmet avec une plume particulièrement incisive. Cette fois, il change de chapeau, devenant traducteur et metteur en scène de Scratch, un texte autobiographique mené tambour battant de la jeune auteure torontoise Charlotte Corbeil-Coleman.
Anna semble une adolescente semblable à toutes les autres, exception faite peut-être qu’elle n’a pas été élevée dans un environnement tout à fait traditionnel (son père est musicien et sa mère peintre), qu’elle mène un combat inégal contre les poux et que sa mère se meurt d’un cancer.
Au fil d’une quarantaine de petites scènes, on la suit au quotidien, alors qu’elle interagit avec sa meilleure amie Madeleine (Marie-Ève Milot, impeccable), ses parents dépassés par les événements (Henri Chassé et Monique Spaziani, qui ne forcent pas le pathos), sa tante vaguement compulsive (Micheline Bernard, essentiel élément de comic relief) et un poète assez peu doué qui s’occupe des repas de la malade (Robin-Joël Cool, idéal dans ce rôle). Chacun voudrait raconter «sa» version de l’histoire, expliquer la relation entretenue avec celle que l’on sait condamnée.
Du déni total aux adieux, Anna apprivoise le deuil, mais de façon éclatée, fragmentée, les différents types de narration se juxtaposant, dans un désordre apparent qui rappelle la chevelure emmêlée de la jeune fille autant que la maison mal tenue ou les peintures abstraites de la mère et de Madeleine, représentées par une murale en papier adhésif.
La traduction de Sébastien David, au service du texte, permet d’ancrer le propos – certes universel – dans le Québec d’aujourd’hui, sans jamais que l’on n’ait l’impression d’assister à une superposition d’égos ou d’entendre une voix masculine. (On regrettera peut-être tout au plus ici de ne pas avoir transposé le Toronto Star en Journal de Montréal et les Prairies canadiennes en une région du Québec.)
La distribution est bien encadrée par une mise en scène qui refuse tout artifice inutile. Émilie Cormier, qui nous avait offert une Électre inoubliable dans Les Atrides l’année dernière, dispose ainsi de toute la latitude nécessaire pour déployer une palette expressive remarquable, passant du désaveu au déchirement, sans jamais forcer la note. Son corps devient aussi deuxième voix, qu’elle court, se jette sur le mur du fond, danse frénétiquement ou s’interroge dans la cabine d’essayage de chez Gap.
Quelques accessoires (chapeaux, verres, pailles, vêtements de rechange) sont rangés sur les murs, côtés cour et jardin, les acteurs ne participant pas à une scène y attendant d’être convoqués. La trame sonore d’Antoine Bédard joue adroitement avec l’idée du scratch, évoquant par moments le bruit du ruban adhésif – ou des pansements – que l’on arrache.
Scratch
Texte de Charlotte Corbeil-Coleman. Traduction et mise en scène de Sébastien David. Une production de La Bataille. À La Licorne jusqu’au 2 mai 2014.