Avec Marcelle Dubois, directrice générale et artistique du Festival du Jamais Lu, qui se tient à Montréal depuis 15 ans et à Québec depuis quatre ans, Marie-Ève Perron, auteure et comédienne qui travaille au Québec et en France, et Marc-Antoine Cyr, auteur québécois ayant migré vers la France, ont donné naissance au premier Festival du Jamais Lu – Paris.
Dans leur éditorial, signé à trois mains, on peut lire : « Trois jours de festivités denses et intenses. Trois jours durant lesquels les Québécois vont driver la patente. Au-delà des caribous et des grands lacs, nous espérons que la vraie rencontre ait lieu. Que de ce choc des cultures naissent des compréhensions nouvelles du monde. » Marc-Antoine Cyr a accepté de répondre à nos questions.
Qu’est-ce qui vous décidé à lancer cette édition parisienne du Jamais Lu?
L’étincelle, c’est Marie-Ève Perron. Elle sentait, dans son parcours d’actrice, en France, depuis quelques années, que quelque chose manquait : une énergie dans les lectures publiques, un esprit clamant que tout est possible, immédiat, fédérateur. Vu les conditions de création en France, qui sont très longues et souvent laborieuses, elle piaffait. Sans le savoir, je piaffais aussi. Car il a fallu que Marcelle Dubois nous mette en relation pour que je me dise : mais oui, il faut un Jamais Lu à Paris ! En France depuis six ans, j’observe que les auteurs sont souvent isolés, ou disséminés dans des réseaux très étanches. Je suis plutôt du genre « trip de gang », assez prompt à chercher les rencontres, à les provoquer même parfois. J’ai beau avoir migré en France, je ne perd rien de l’esprit qui m’a forgé. Un Jamais Lu à Paris, c’est l’exacte incarnation de ma « bipolarité créative » : une griffe québécoise lâchée lousse dans ce formidable vivier qu’est Paris.
Comment tout cela s’est-il concrètement mis en place?
Du rêve un peu fou jusqu’à la fabrication de cette première édition française, il s’est passé moins d’une année ! On s’est vus en novembre, on a dessiné les contours du projet, nos envies. On ambitionnait déjà de faire venir à Paris les Claude Poissant, Martin Faucher, Alexia Bürger, Sébastien David et plein d’autres, puis de les associer à des auteurs de la relève, mais on savait qu’il valait mieux débuter modestement. Or, dès le premier rendez-vous avec le Centre National du Théâtre, ils ont voulu nous donner les moyens de nos ambitions. Puis, dès la première rencontre avec Caroline Marcilhac et l’équipe de Théâtre Ouvert, on a senti que nos nécessités se rejoignaient : il fallait faire ce festival ensemble. Caroline a aimé le côté joyeux, dynamique et singulier du projet. On ne pouvait trouver meilleur endroit : Théâtre Ouvert est le lieu qui a vu naître Koltès, Lagarce, Vinaver, Minyana et tant d’autres, et qui défend chaque jour obstinément les écritures contemporaines. Grâce à eux, le Jamais Lu débarque à Paris dans un écrin !
Quels sont vos objectifs?
J’ai souvent dit au début du projet que je souhaitais simplement à tous mes camarades d’écriture de connaître au moins une fois la griserie d’un Jamais Lu. De voir son texte porté dans la joie d’un soir de fête. Et de croire à ce moment-là que tout est possible, juste parce que ça existe dans l’instant, et parce que d’autres auteurs sont venus faire front commun avec soi. Un soir de lecture au Festival, on se sent un peu le roi du pétrole, on se sait soutenu, entendu, défendu.
Il nous a semblé, à Marcelle, Marie-Ève et moi que c’était aux metteurs en scène québécois de débarquer ici avec leur énergie, leur patte, leur singularité, pour présenter les textes choisis d’une manière étonnante, détonante. Marcelle a créé les binômes entre nos quatre auteurs lauréats et les metteurs en scène invités, par association de sensibilités. Sur papier et à distance, la rencontre est déjà féconde. On trépigne de les voir tous réunis dans les salles de répétitions et sur le plateau de Théâtre Ouvert. On veut que ce soit électrique. Pour ce qui est des retombées, on ne souhaite rien d’autre que des auteurs frémissants et heureux. Des textes qui continuent de s’écrire et qui provoquent le désir d’en écrire d’autres. Évidemment, on rêve plein d’éditions du Jamais Lu Paris dans la foulée. Et pourquoi pas devenir une courroie de transmission des écritures contemporaines françaises vers le Québec ?
Parlez-moi un peu des textes français que vous avez retenus.
D’abord, disons que nous avons reçu 102 propositions. Ce n’est pas rien ! Au terme de nos lectures, nous en avons dégagé plusieurs qui nous plaisaient, nous questionnaient, nous rendaient curieux. Les quatre textes retenus ont en commun leur singularité, une sorte de bizarrerie heureuse. Clémence Weill a fait trois années de recherches et de collecte de paroles à travers trois continents pour creuser le lien entre religion et superstition. Dans Plus ou moins l’infini, elle explore à travers une vingtaine de petits fictions cette étrange corrélation. Comme le dit Martin Faucher, c’est autant absurde que métaphysique, drôle, grinçant et tendre. En tout cas, c’est drôlement contemporain. Solenn Denis, qui nous a habitués à des textes corrosifs sur des sujets sordides (SStockholm, Sandre), devient tendre et grinçante avec P.P.H. (Passera Pas l’Hiver), qui raconte le suicide organisé d’un vieux couple d’amoureux qui perd la boule.
Tiphaine Raffier nous a complètement bluffés avec Recall Them Corp., dans lequel elle part d’un sujet commun, la rupture ou plutôt la disparition de l’être aimé, pour créer un monde futuriste, décalé, où la mémoire personnelle se stocke au fond des mers et peut être réactivée. Enfin, Guillaume Cayet, qui sort tout juste de la section écriture de l’Ensatt à Lyon, propose avec La nuit hurlera de chiens si les hirondelles ne sifflent pas l’histoire d’une famille fracassée, comme si les hostilités du monde autour étaient entrées dans les chairs et avait explosé la cellule intime. C’est un texte à la fois délicat et très secouant, d’une grande acuité, plein d’invention.
Comment avez vous choisi les extraits de textes québécois?
Les quinze ans du Jamais Lu, c’est 200 textes de théâtre. C’est un répertoire énorme. Impossible d’en montrer toutes les facettes tellement ça s’est étendu, propagé comme un virus. C’est aussi très multiple, bigarré. Pour témoigner de la vitalité des écritures québécoises et donner envie aux spectateurs d’aller plus loin dans leurs découvertes, Marcelle Dubois, Nathalie Fillion et moi avons sélectionné douze textes jalons. Des paroles fortes, des langues distinctes. Nous avons voulu faire entendre des paroles qui n’ont pas forcément voyagé jusqu’ici. Avec un groupe de dix jeunes acteurs de l’École d’Asnières, nous allons littéralement traverser quinze années d’écriture, et voir comment les textes s’éclairent les uns les autres quand on les met comme ça en constellation.
À quoi ressemble votre nouvelle vie en France?
Quitter Montréal – sans tout à fait en disparaître – était un vrai choix. Non pas une fuite. Plutôt un exil choisi et heureux. Je me sens à ma place quand je suis étranger, voyageur. Ça me nourrit beaucoup dans l’écriture. À Paris, je prolonge une errance tout en fondant de nouvelles assises. Mon écriture se déplace elle aussi, bien sûr – ça m’intéressait de voir comment. Ici, on fabrique le théâtre différemment. On manipule les textes d’une manière qui me fascine encore et que j’apprends. Grâce à différentes reconnaissances obtenues ici, des prix, des bourses, des invitations en résidence, j’ai été emmené dans des aventures de création qui ont nourri mon imaginaire et qui m’ont surtout ému d’une manière que je ne soupçonnais pas. J’ai le sentiment que cette double maison – celle qui m’a vu grandir et celle qui me reçoit aujourd’hui – est très agréable à habiter. Je ne saurais me passer ni de l’une ni de l’autre. Et je souhaite que ce genre de communication entre Montréal et Paris continue. Je veux bien faire le lien, à ma mesure.
Au Théâtre Ouvert (4 bis, cité Véron, Paris), du 16 au 18 octobre 2015.
Avec Marcelle Dubois, directrice générale et artistique du Festival du Jamais Lu, qui se tient à Montréal depuis 15 ans et à Québec depuis quatre ans, Marie-Ève Perron, auteure et comédienne qui travaille au Québec et en France, et Marc-Antoine Cyr, auteur québécois ayant migré vers la France, ont donné naissance au premier Festival du Jamais Lu – Paris.
Dans leur éditorial, signé à trois mains, on peut lire : « Trois jours de festivités denses et intenses. Trois jours durant lesquels les Québécois vont driver la patente. Au-delà des caribous et des grands lacs, nous espérons que la vraie rencontre ait lieu. Que de ce choc des cultures naissent des compréhensions nouvelles du monde. » Marc-Antoine Cyr a accepté de répondre à nos questions.
Qu’est-ce qui vous décidé à lancer cette édition parisienne du Jamais Lu?
L’étincelle, c’est Marie-Ève Perron. Elle sentait, dans son parcours d’actrice, en France, depuis quelques années, que quelque chose manquait : une énergie dans les lectures publiques, un esprit clamant que tout est possible, immédiat, fédérateur. Vu les conditions de création en France, qui sont très longues et souvent laborieuses, elle piaffait. Sans le savoir, je piaffais aussi. Car il a fallu que Marcelle Dubois nous mette en relation pour que je me dise : mais oui, il faut un Jamais Lu à Paris ! En France depuis six ans, j’observe que les auteurs sont souvent isolés, ou disséminés dans des réseaux très étanches. Je suis plutôt du genre « trip de gang », assez prompt à chercher les rencontres, à les provoquer même parfois. J’ai beau avoir migré en France, je ne perd rien de l’esprit qui m’a forgé. Un Jamais Lu à Paris, c’est l’exacte incarnation de ma « bipolarité créative » : une griffe québécoise lâchée lousse dans ce formidable vivier qu’est Paris.
Comment tout cela s’est-il concrètement mis en place?
Du rêve un peu fou jusqu’à la fabrication de cette première édition française, il s’est passé moins d’une année ! On s’est vus en novembre, on a dessiné les contours du projet, nos envies. On ambitionnait déjà de faire venir à Paris les Claude Poissant, Martin Faucher, Alexia Bürger, Sébastien David et plein d’autres, puis de les associer à des auteurs de la relève, mais on savait qu’il valait mieux débuter modestement. Or, dès le premier rendez-vous avec le Centre National du Théâtre, ils ont voulu nous donner les moyens de nos ambitions. Puis, dès la première rencontre avec Caroline Marcilhac et l’équipe de Théâtre Ouvert, on a senti que nos nécessités se rejoignaient : il fallait faire ce festival ensemble. Caroline a aimé le côté joyeux, dynamique et singulier du projet. On ne pouvait trouver meilleur endroit : Théâtre Ouvert est le lieu qui a vu naître Koltès, Lagarce, Vinaver, Minyana et tant d’autres, et qui défend chaque jour obstinément les écritures contemporaines. Grâce à eux, le Jamais Lu débarque à Paris dans un écrin !
Quels sont vos objectifs?
J’ai souvent dit au début du projet que je souhaitais simplement à tous mes camarades d’écriture de connaître au moins une fois la griserie d’un Jamais Lu. De voir son texte porté dans la joie d’un soir de fête. Et de croire à ce moment-là que tout est possible, juste parce que ça existe dans l’instant, et parce que d’autres auteurs sont venus faire front commun avec soi. Un soir de lecture au Festival, on se sent un peu le roi du pétrole, on se sait soutenu, entendu, défendu.
Il nous a semblé, à Marcelle, Marie-Ève et moi que c’était aux metteurs en scène québécois de débarquer ici avec leur énergie, leur patte, leur singularité, pour présenter les textes choisis d’une manière étonnante, détonante. Marcelle a créé les binômes entre nos quatre auteurs lauréats et les metteurs en scène invités, par association de sensibilités. Sur papier et à distance, la rencontre est déjà féconde. On trépigne de les voir tous réunis dans les salles de répétitions et sur le plateau de Théâtre Ouvert. On veut que ce soit électrique. Pour ce qui est des retombées, on ne souhaite rien d’autre que des auteurs frémissants et heureux. Des textes qui continuent de s’écrire et qui provoquent le désir d’en écrire d’autres. Évidemment, on rêve plein d’éditions du Jamais Lu Paris dans la foulée. Et pourquoi pas devenir une courroie de transmission des écritures contemporaines françaises vers le Québec ?
Parlez-moi un peu des textes français que vous avez retenus.
D’abord, disons que nous avons reçu 102 propositions. Ce n’est pas rien ! Au terme de nos lectures, nous en avons dégagé plusieurs qui nous plaisaient, nous questionnaient, nous rendaient curieux. Les quatre textes retenus ont en commun leur singularité, une sorte de bizarrerie heureuse. Clémence Weill a fait trois années de recherches et de collecte de paroles à travers trois continents pour creuser le lien entre religion et superstition. Dans Plus ou moins l’infini, elle explore à travers une vingtaine de petits fictions cette étrange corrélation. Comme le dit Martin Faucher, c’est autant absurde que métaphysique, drôle, grinçant et tendre. En tout cas, c’est drôlement contemporain. Solenn Denis, qui nous a habitués à des textes corrosifs sur des sujets sordides (SStockholm, Sandre), devient tendre et grinçante avec P.P.H. (Passera Pas l’Hiver), qui raconte le suicide organisé d’un vieux couple d’amoureux qui perd la boule.
Tiphaine Raffier nous a complètement bluffés avec Recall Them Corp., dans lequel elle part d’un sujet commun, la rupture ou plutôt la disparition de l’être aimé, pour créer un monde futuriste, décalé, où la mémoire personnelle se stocke au fond des mers et peut être réactivée. Enfin, Guillaume Cayet, qui sort tout juste de la section écriture de l’Ensatt à Lyon, propose avec La nuit hurlera de chiens si les hirondelles ne sifflent pas l’histoire d’une famille fracassée, comme si les hostilités du monde autour étaient entrées dans les chairs et avait explosé la cellule intime. C’est un texte à la fois délicat et très secouant, d’une grande acuité, plein d’invention.
Comment avez vous choisi les extraits de textes québécois?
Les quinze ans du Jamais Lu, c’est 200 textes de théâtre. C’est un répertoire énorme. Impossible d’en montrer toutes les facettes tellement ça s’est étendu, propagé comme un virus. C’est aussi très multiple, bigarré. Pour témoigner de la vitalité des écritures québécoises et donner envie aux spectateurs d’aller plus loin dans leurs découvertes, Marcelle Dubois, Nathalie Fillion et moi avons sélectionné douze textes jalons. Des paroles fortes, des langues distinctes. Nous avons voulu faire entendre des paroles qui n’ont pas forcément voyagé jusqu’ici. Avec un groupe de dix jeunes acteurs de l’École d’Asnières, nous allons littéralement traverser quinze années d’écriture, et voir comment les textes s’éclairent les uns les autres quand on les met comme ça en constellation.
À quoi ressemble votre nouvelle vie en France?
Quitter Montréal – sans tout à fait en disparaître – était un vrai choix. Non pas une fuite. Plutôt un exil choisi et heureux. Je me sens à ma place quand je suis étranger, voyageur. Ça me nourrit beaucoup dans l’écriture. À Paris, je prolonge une errance tout en fondant de nouvelles assises. Mon écriture se déplace elle aussi, bien sûr – ça m’intéressait de voir comment. Ici, on fabrique le théâtre différemment. On manipule les textes d’une manière qui me fascine encore et que j’apprends. Grâce à différentes reconnaissances obtenues ici, des prix, des bourses, des invitations en résidence, j’ai été emmené dans des aventures de création qui ont nourri mon imaginaire et qui m’ont surtout ému d’une manière que je ne soupçonnais pas. J’ai le sentiment que cette double maison – celle qui m’a vu grandir et celle qui me reçoit aujourd’hui – est très agréable à habiter. Je ne saurais me passer ni de l’une ni de l’autre. Et je souhaite que ce genre de communication entre Montréal et Paris continue. Je veux bien faire le lien, à ma mesure.
1er Festival du Jamais Lu – Paris
Au Théâtre Ouvert (4 bis, cité Véron, Paris), du 16 au 18 octobre 2015.